L’âge légal de départ à la retraite sera bien relevé à 64 ans. Vendredi 14 avril, le Conseil constitutionnel a validé la majorité du projet de réforme des retraites du gouvernement. Avec la mesure phare du texte, les seniors vont donc devoir rester dans l’emploi plus longtemps. Mais la route est encore (très) longue pour y parvenir. Ainsi, d’après une étude de Robert Half menée en novembre 2022, 63% des salariés âgés de 45 à 55 ans déclaraient ne pas avoir été sollicités par les recruteurs au cours des six derniers mois. À titre de comparaison, cela n’a concerné que 26% des 18-34 ans et 46% de l’ensemble des sondés par le cabinet de recrutement.

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Il faut dire que les clichés contre les “seniors” - les salariés âgés de plus de 60, 55, 50, voire même 45 ans selon la définition retenue - ont encore la peau dure en entreprise. Parmi les freins à recruter des seniors, on retrouve principalement les problèmes de santé (cités par 46% des dirigeants), leurs attentes en matière de rémunération (34%) et leur difficulté à s’approprier les outils numériques (32%), selon une enquête menée par Indeed*. Ainsi, lors de recrutements passés, près d’un salarié sur quatre (23%) s’est déjà vu reprocher d’être trop âgé pour le poste visé.

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Résultat : le taux d’emploi des 55-64 ans s’élève à 56% en France, soit bien en deçà de la moyenne européenne (60,5%), d’après une récente étude de la Dares, le service statistiques du ministère du Travail. La Première ministre, Élisabeth Borne, a d’ailleurs elle-même admis qu’il y avait un problème, lors de la présentation de son projet de réforme des retraites, le 10 janvier dernier : de nombreuses entreprises ont recours à une pratique “abusive”, voire “discriminatoire”, qui consiste à “faire partir les salariés quelques années avant la retraite”. Et “ces plans existent dans tous les secteurs et ils ont, dans le cadre juridique actuel, toutes leurs pertinences. C’est bien là le souci par rapport à la question du maintien des seniors en activité”, observe Didier Cauchois, directeur de projet expertise “Stratégie et performance sociale” au sein de LHH, cabinet de conseil en ressources humaines.

Des salariés seniors harcelés par leur employeur pour les pousser vers la sortie

Pour en avoir le cœur net, Capital a lancé un appel à témoignages fin janvier. Harcèlement, mise en préretraite, licenciement... les méthodes des entreprises pour pousser vers la sortie des salariés à quelques années de leur retraite sont variées, d’après les récits que nous avons recueillis. Roger**, 65 ans, employé depuis plus de trente ans dans une entreprise du secteur de la presse, est constamment harcelé par le dirigeant de sa société pour savoir quand il compte partir à la retraite. “Cela a commencé dès mes 61 ans. Lorsque je lui ai dit que j’aimais mon travail et que je ne comptais pas partir tout de suite, il m’a pris en grippe et ne m’a plus du tout adressé la parole depuis. C’est un professionnel de l’humiliation”, témoigne-t-il.

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Le temps a passé et au plus fort de la crise sanitaire, l’ensemble des salariés est passé en télétravail intégral. “Mon patron m’a immédiatement redemandé si je comptais partir à la retraite car je touchais l’un des plus gros salaires et il estimait que je mettais en péril la santé financière de l’entreprise pendant la crise. Je suis également le seul salarié de l’entreprise à avoir été placé en chômage partiel pendant plus d’un an. Il pensait sûrement que j’allais craquer. Quand je suis revenu au bureau, il avait changé mes horaires et m’avait retiré toutes les tâches que j’appréciais”, ajoute ce salarié qui, malgré l’acharnement de son employeur et même s’il a validé le nombre de trimestres suffisants pour bénéficier d’une retraite à taux plein, reste en emploi car il exerce un “métier passion”, qu’il ne “considère pas comme une corvée”. “Travailler plus longtemps me permet aussi de bénéficier d’une surcote et donc d’éviter d’avoir à chercher des petits boulots pour compléter ma retraite”, admet-il par ailleurs.

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De harcèlement, Sophie**, 60 ans aujourd’hui, en a également été victime. Fin 2015, la société qui l’employait a été reprise par un important groupement de laboratoires. Avant l’opération, “j’étais appréciée et j’avais la confiance de mon ancien patron, qui m’avait débauchée. Je me donnais à fond pour le bien de l’entreprise, dans laquelle je me sentais très bien. Mais lors du rachat de mon entreprise, cela s’est mal passé avec le repreneur, notamment en raison de mon âge”, soupire-t-elle. Dès septembre 2016, elle a dû faire face à un management “peu humain” et à des collègues des bureaux adjacents qui “avaient pour consigne de ne pas me parler et de reporter mes moindres faits et gestes aux supérieurs”. Épiée et isolée, Sophie a fini par être licenciée pour faute grave avec une proposition de transaction pour couvrir l’absence de versement d’indemnité de licenciement. Et ce, en 2017, lorsqu’elle avait 55 ans.

Au chômage depuis, elle a dans un premier temps subi une rechute d’une précédente hernie discale, un an après son licenciement, et a été placée en arrêt maladie pendant 18 mois. Désormais reconnue travailleuse handicapée, elle ne peut ni prendre les transports en commun en raison des vibrations, ni porter des charges lourdes. “Je ne trouve pas d’autres postes dans mon secteur. On m’a par exemple proposé de m’occuper de l’accueil dans un laboratoire, mais ce n’est pas possible avec ma condition physique”, relate-t-elle. Depuis 2021, elle alterne donc les périodes de chômage et d’intérim en tant que préparatrice de commandes chez Amazon. “Oui, il peut y avoir des problèmes de management chez Amazon, mais on peut dire ce qu’on veut, au moins, ils acceptent tout le monde et n’ont pas mis de limites à cause de mon âge”, tient-elle à signaler.

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Dans la banque, on est considéré comme un senior à partir de 45 ans.

Fort heureusement, tous les salariés de plus de 45 ans n’ont pas été victimes de harcèlement dans leur entreprise. Mais certains ont tout de même dû faire face aux lourds clichés qui sévissent envers les “seniors” dans le monde du travail. “Dans mon entreprise, c’est clairement assumé au niveau des ressources humaines : à partir de 45 ans, on est considéré comme un senior. Sur l’intranet, des programmes dédiés aux seniors sont d’ailleurs proposés”, décrit Luc**, 61 ans, employé d’une banque française qui a décidé de bénéficier d’un plan de départs volontaires lancé par son entreprise courant 2019, dans le cadre duquel il perçoit actuellement 60% de son précédent salaire jusqu’à son départ à la retraite, prévu en septembre prochain. “Lorsque ce plan (qui ne vise pas uniquement les seniors, ndlr) a été lancé, j’étais déjà perçu comme étant en fin de carrière par ma hiérarchie et mes collègues. Cela faisait trois/quatre ans que je n’évoluais plus, pointe-t-il. Dans la banque, si on veut travailler jusqu’à 67 ans, c’est possible. Mais reste à savoir dans quelles conditions.”

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Des licenciements avec négociation des indemnités

Jean**, 59 ans et cadre dans un grand groupe de BTP/immobilier, a lui aussi été poussé vers la sortie en raison de son âge. Dans la même entreprise depuis plus de dix ans, la qualité de son travail a toujours été saluée. Pourtant, lors d’un entretien fin 2022, sa direction lui propose, au vu de son âge, de le licencier et de l’accompagner financièrement jusqu’à son départ à la retraite. Sans attendre que le salarié - qui aurait d’ailleurs aimé continuer à travailler quelques années - accepte, son chef annonce une semaine plus tard son départ du groupe à l’ensemble des équipes concernées. “Violent comme annonce”, se souvient-il. Il a depuis négocié avec son entreprise le montant perçu dans le cadre de son licenciement. Mais “opérant dans un domaine d'activité qui va être en difficulté en 2023, voire en 2024, approchant la soixantaine et étant à un niveau de rémunération élevé, les probabilités de retrouver une situation de même niveau semblent très aléatoires”, anticipe Jean.

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Vincent**, 69 ans aujourd’hui, a lui aussi fait l’objet d’un licenciement quand il avait près de 58 ans, après plus de 40 années passées dans un grand groupe du secteur de la grande distribution. Embauché dans les “belles années” (avant les années 2000), à une époque où les salaires étaient relativement importants comparés à ceux proposés aux nouvelles recrues désormais, Vincent, ainsi que plusieurs de ses collègues ayant autour de 60 ans à l’époque, s’est vu proposer par sa direction des ressources humaines de partir. “Sur le coup, ça choque un peu et le principe m’a déplu. Mais finalement, j’étais relativement satisfait : j’avais la possibilité de partir à la retraite autour de 60 ans car j’avais commencé à travailler très jeune. Je n’avais donc pas à rester longtemps au chômage avant de pouvoir partir à la retraite”, explique-t-il.

Et son entreprise avait mis en place un stratagème bien ficelé. Son contrat comportait une clause de mobilité prévoyant que le salarié accepte, à l’avance, que son lieu de travail soit modifié. En cas de refus de la mutation, le salarié est licencié. C’est la situation dans laquelle s’est retrouvé Vincent, à qui son entreprise a par ailleurs proposé de verser une indemnité de licenciement majorée, jusqu’à son départ à la retraite, pour compenser sa perte de revenus liée à son passage au chômage.

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La préretraite, pour éviter la case chômage

De son côté, Mona**, 63 ans, a été mise en “préretraite”, un dispositif auquel ont souvent recours les entreprises et qui leur permet de suspendre le contrat d’un salarié ou de réduire son temps de travail avant l’heure de la retraite. Dans ce cadre, le salarié continue à percevoir une partie de son salaire jusqu’à son départ à la retraite et n’a donc pas à passer par la case chômage. Suite au rachat par un fonds d’investissement de la société spécialisée dans l’édition de logiciels qui emploie Mona, la direction décide de licencier un quart de l’effectif mondial. Dans son équipe - la direction commerciale européenne de l’entreprise -, tous les salariés sont visés car considérés comme des seniors. “En janvier 2022, mon chef m’a annoncé ‘en off’ que j’allais être licenciée. Mais à l’origine, j’avais prévu de partir à la retraite en mars 2023, date à laquelle je pouvais bénéficier du taux plein.”

Suite à une phase de négociation au cours de laquelle son entreprise lui a donc d’abord proposé un licenciement, puis une rupture conventionnelle - que la salariée a refusés pour éviter d’avoir à s’inscrire à Pôle emploi -, les deux parties se sont accordées en avril 2022 sur le dispositif de préretraite, qui lui a permis de rester dans les effectifs de son entreprise et de continuer à percevoir 70% de son salaire jusqu’à son départ à la retraite. “Une fois cette décision prise toutefois, il était difficile de se motiver pour travailler en sachant qu’on me poussait vers la sortie”, indique Mona.

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Les principales mesures visant à favoriser l’emploi des seniors retoquées...

Pour elle, comme pour tous nos témoins, les mesures qui étaient prévues par le gouvernement pour favoriser l’emploi des seniors dans le cadre de la réforme des retraites étaient insuffisantes. “À moins de les inciter à garder des seniors dans leurs effectifs avec une carotte fiscale vraiment intéressante, les entreprises vont continuer à licencier les salariés plus âgés”, assure-t-elle. En effet, le projet de réforme des retraites du gouvernement comportait seulement quelques mesures visant à améliorer l’emploi des salariés les plus âgés, et notamment l’instauration d’un “index seniors”, un nouvel outil visant à mieux contrôler l’emploi des seniors, inspiré de l’index sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Son but était d’obliger les entreprises de plus de 300 salariés à communiquer chaque année sur le nombre de seniors dans leurs effectifs, sous peine d’une sanction financière allant jusqu’à 1% de la masse salariale de chaque entreprise. Mais cette mesure, ainsi que l’expérimentation d’un “CDI seniors”, ont été censurées par le Conseil constitutionnel car jugées comme des cavaliers sociaux, vendredi 14 avril.

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Une autre disposition a cependant été validée par le Conseil constitutionnel : la modulation des taux de cotisation patronale pour inciter les entreprises à maintenir dans l’emploi les seniors. Dans le détail, la réforme des retraites prévoit de porter à 30% (contre 20% actuellement) le taux de contribution patronale versée en cas de rupture conventionnelle. Ce taux serait à l’inverse ramené à 30% (contre 50% aujourd’hui) en cas de mise à la retraite d’office, dans le but d’inciter les entreprises à maintenir dans leurs effectifs les salariés jusqu’à leurs 70 ans grâce à une carotte fiscale.

... mais réintroduites dans un autre texte de loi ?

Mais l’efficacité de ces mesures est remise en question. “Elles s’attaquent à des actions individuelles, qui au regard de l’enjeu sont extrêmement peu nombreuses. La rupture conventionnelle, par exemple, est loin d’être le recours privilégié des entreprises pour faire partir les seniors. L’efficacité de telles mesures est donc douteuse. De manière générale, les ‘plans seniors’ prévus par les entreprises conduisent à 500, voire jusqu’à 4.000 départs”, pointe Didier Cauchois, du cabinet LHH.

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Malgré la censure des principales mesures sur l’emploi des seniors, il “reste une priorité pour le gouvernement”, a assuré le ministre du Travail, Olivier Dussopt, sur Twitter, suite à la publication de la décision du Conseil constitutionnel. “Nous devrons, avec les partenaires sociaux et les parlementaires, trouver les voies et moyens pour soutenir et améliorer le taux d’emploi des salariés âgés de plus 50 ans”, a-t-il ajouté, ouvrant ainsi la voie à la réintroduction de l’index et du CDI seniors dans un autre texte de loi et, peut-être, à la mise en place de mesures supplémentaires pour ces salariés.

* Étude réalisée par OpinionWay pour Indeed entre le 18 juillet et le 18 août 2022 auprès de 406 dirigeants d’entreprises privées.

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** Les prénoms ont été modifiés. Pour garantir leur anonymat et pour leur éviter d’éventuelles représailles de la part de leur employeur, Capital a également fait le choix de ne citer aucun nom d’entreprise dans cet article.