Un an de guerre en Ukraine

Un an de guerre en Ukraine : qui condamne la Russie ? Qui la sanctionne ? Qui soutient l’Ukraine ? Le monde face au conflit

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Par Daphné Van Ossel

Condamnations et sanctions pour la Russie, aide militaire ou civile pour l’Ukraine, c’est un cocktail très occidental. Tous les pays du monde ne s’alignent pas sur cette position.

Un an après l’invasion de l’Ukraine par les forces russes, nous vous proposons de changer de lunettes pour regarder ce conflit qui nous est si proche. Considérons-le à travers une paire indienne, chinoise, malienne ou israélienne, et constatons que les points de vue sont bien différents selon l’endroit où l’on vit.

Un des repères pour évaluer les positions des États par rapport à ce conflit, c’est le vote, par l’Assemblée générale de l’ONU, le 2 mars 2022, d’une résolution déplorant "l’agression" commise par la Russie contre l’Ukraine. Entre ce vote, et celui d’une autre résolution, en octobre 2022, qui demande à la Russie de revenir sur sa "tentative d’annexion illégale" de quatre régions ukrainiennes, les prises de position ont relativement peu changé.

  • 141 pays ont voté pour cette résolution,
  • 5 ont voté contre,
  • et 35 se sont abstenus.

Une vaste majorité de membres a donc condamné l’agression.

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En termes de population, on atteint presque la moitié de la population mondiale, et 37 à 40% du PIB mondial

Ce décompte est pourtant à nuancer, précise Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain : "En termes de nombre de pays, ceux qui s’abstiennent ne forment pas un groupe immense, mais en termes de population, avec des pays comme la Chine et l’Inde, on atteint presque la moitié de la population mondiale, et 37 à 40% du PIB mondial !"

On pourrait classer les pays en trois catégories :

  • Un bloc "occidental", qui n’est pas majoritaire au sein de l’ONU, parmi lesquels on retrouve les Européens, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud ou le Japon : des pays qui votent les sanctions et les condamnations de la Russie, qui soutiennent clairement l’Ukraine, qui lui fournissent des armes et/ou de l’aide humanitaire.

  • Un petit groupe de pays qui soutiennent clairement la Russie et ont voté avec elle contre la résolution du 2 mars 2022 : la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Erythrée et la Syrie.

  • Un groupe très important de pays qui évitent de se positionner. Parmi eux, il y a ceux qui se sont abstenus lors du vote qui déplorait l’agression (Chine, Inde, Pakistan, Kazakhstan, Kirghizistan, mais aussi Afrique du Sud, Soudan, et d’autres pays africains) mais il y a aussi des pays qui ont soutenu la condamnation de la Russie, mais qui ne s’opposent pas frontalement à elle pour autant (comme la Turquie ou le Brésil par exemple).

"La plupart de ces derniers pays n’approuvent pas le recours à la force pour régler les problèmes internationaux", explique Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, "mais ils ne veulent pas s’aligner sur un bloc occidental, parce qu’ils sont traditionnellement critiques par rapport à une forme de domination des grandes puissances occidentales sur le monde."

L’Occident ne défend pas toujours les valeurs démocratiques de la même manière

"Il y a aussi cette notion que l’on ressent beaucoup en Afrique et au Moyen-Orient", ajoute Tanguy Struye, également professeur de relations internationales à l’UCLouvain, "qui est celle du 'deux poids deux mesures' : les Occidentaux soutiennent les Ukrainiens (bien blancs) mais n’ont rien fait pour la Syrie. Ça passe mal dans ces populations. C’est aussi l’idée que l’Occident ne défend pas toujours les valeurs démocratiques de la même manière par rapport à tous les pays, selon ses intérêts."

Économie, proximité, sanctions

Les intérêts économiques jouent évidemment aussi, complète Tanguy de Wilde d’Estmael : "Il y a une capacité à encaisser l’effet boomerang des sanctions qui est plus forte chez les Européens que dans d’autres pays qui souffrent déjà. Il y a par ailleurs un effet d’aubaine pour la Chine ou pour l’Inde par exemple, qui peuvent obtenir à bon prix les produits que la Russie ne peut plus écouler ailleurs."

L’éloignement géographique influence également les positions des différents pays. L’Ukraine nous est proche, mais en Amérique latine, elle doit paraître bien lointaine, tout comme en RDC, ou au Yémen qui ont par ailleurs des problèmes bien plus prégnants à régler.

La position des pays sur ce conflit peut par ailleurs s’évaluer à l’aune de leur participation aux sanctions vis-à-vis de la Russie. "À peine une quarantaine de pays imposent des sanctions économiques, rappelle Tanguy Struye. Des pays comme l’Inde, la Chine, la Turquie, l’Indonésie, le Brésil ou le Mexique n’y participent pas. C’est un énorme échec de la diplomatie occidentale. "

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La carte ci-dessus présente les pays qui imposent des sanctions à la Russie, et ceux qui lui apportent un soutien militaire. On voit bien l’axe occidental qui se dessine.

Par ailleurs, au sein même de ceux qui soutiennent l’Ukraine, les manières de traduire ce soutien en actions concrètes sont aussi diverses, que ce soit en termes de montant ou de type d’aides (militaires ou civiles).

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Passons en revue quelques pays ou continents pour avoir une idée plus précise de leur point de vue sur le conflit, et des enjeux en présence.

Afrique

Une majorité d’États africains ont condamné l’agression russe lors du vote à l’ONU, mais une quinzaine se sont abstenus tandis que d’autres n’ont pas voté.

Le discours poutinien a pénétré l’Afrique de l’Ouest. Le Mali ou le Burkina Faso ont tourné le dos à la France, leur partenaire historique, et adopté des positions très prorusses. Michel Liégeois y donne cours, il a constaté un changement : "Il n’y a pas cette indifférence qui existait généralement pour les questions européennes, comme ça a pu être le cas pour la guerre en Ex-Yougoslavie par exemple. Les étudiants ont une opinion très arrêtée sur le conflit en Ukraine, et c’est l’opinion de Poutine : la Russie agit en légitime défense face à l’expansionnisme de l’Otan."

On le sait, les Russes attisent l’anticolonialisme en Afrique (et pas uniquement dans l’Ouest), via des campagnes de désinformation, et en s’appuyant sur les échecs des Occidentaux, notamment français. Les Russes ne s’en cachent plus, comme le montre la récente tournée africaine du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. "C’est très spectaculaire, s’exclame Tanguy de Wilde d’Estmael, il n’en a pas loupé une pour mettre en exergue l’Occident prédateur qui a exploité les pays du tiers-monde."

Cette tournée passait notamment par l’Afrique du Sud, acteur majeur de la diplomatie en Afrique. L’Afrique du Sud s’est abstenue lors du vote du 2 mars 2022. Elle a accueilli Lavrov à bras ouvert, et elle mène depuis le vendredi 17 février des exercices militaires conjoints avec la Chine et la Russie au large de ses côtes.

"Il y a une forme de convergence", estime Michel Liégeois, "entre le discours de l’Afrique du Sud, qui souhaite limiter l’influence des anciennes puissances coloniales, et le discours de Vladimir Poutine qui se présente comme un libérateur par rapport à cette domination, et qui propose un soutien différent, non intrusif, sans clause de conditionnalité sur la démocratie et les droits de l’homme."

Ajoutons que certains pays africains, comme l’Egypte ou le Soudan par exemple, sont par ailleurs très dépendants du blé russe qu’ils importent massivement. Ils ne sont donc pas en mesure de s’opposer frontalement à la Russie.

Chine

Pour Michel Liégeois, la Chine est l’exemple par excellence du pays qui exclut de s’aligner sur la position occidentale, même s’il n’approuve pas l’action de la Russie, même si elle défend la notion d’intégrité territoriale. Elle s’est abstenue le 2 mars 2022, et a tenté de ménager les différentes parties.

Tanguy Struye pense, lui, que la Chine est moins neutre qu’il n’y paraît : "Si vous allez au-delà de la rhétorique, elle a clairement choisi son camp. Il ne faut pas oublier les communiqués de février 2022, juste avant l’invasion, quand Vladimir Poutine s’était rendu aux Jeux Olympiques de Pékin. Les deux pays y soulignaient leur amitié, leur défiance par rapport à l’élargissement de l’Otan, leur volonté d’intensifier leur coopération militaire. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des exercices militaires conjoints durant toute cette année (dont ceux qui ont actuellement lieu en Afrique du Sud, ndlr). Et le Wall Street Journal a publié une enquête qui montre que les Chinois ont livré des parties d’armement à la Russie."

"Il est vrai que quand l’utilisation de l’arme nucléaire tactique a été évoquée", poursuit Tanguy Struye, "les Chinois ont pris un peu de recul et ont condamné la Russie mais ils ont clairement évolué vers un partenariat stratégique."

Ce samedi 18 février 2023, le conseiller des affaires d’État chinois Wang Yi, le plus haut placé de la diplomatie chinoise, a annoncé à la conférence de Munich sur la sécurité que Pékin présenterait sous peu une initiative de paix pour mettre un terme à la guerre. Il a parlé d’une résolution "politique" de la "crise ukrainienne", affirmant que les pressions et sanctions ne fonctionnaient pas pour résoudre les litiges entre Etats.

Inde

Tout comme la Chine, l’Inde ne veut pas s’aligner sur la position occidentale. "Elle n’a par ailleurs pas, contrairement à l’Union européenne et aux États-Unis, la volonté d’imposer la démocratie dans le monde, elle ne fait pas de messianisme démocratique", commente Tanguy de Wilde d’Estmael.

Elle ménage ses relations avec les différents acteurs "mais la Russie l’a toujours soutenue sur la question du Cachemire et elle est pour l’Inde un important fournisseur de matériel militaire", ajoute Tanguy Struye. "Par ailleurs, les Indiens étant en pleine croissance économique, ils ont tout intérêt à bénéficier d’un pétrole moins cher."

Israël

Israël s’était jusqu’ici abstenu de prendre clairement parti dans le conflit. Il y a une très grande communauté russe en Israël, cela joue, et le pays doit par ailleurs ménager la Russie qui contrôle l’espace aérien de la Syrie voisine et ferme habituellement les yeux sur les opérations de l’État hébreu contre l’Iran.

Mais, dernièrement, il était question qu’Israël fournisse une aide militaire à l’Ukraine ce qu’elle s’est refusé à faire jusqu’ici, et le chef de la diplomatie israélienne, Eli Cohen, s’est rendu à Kiev le 16 février dernier, pour ce qui fut la première visite d’un ministre de l’État hébreu en Ukraine depuis l’invasion russe il y a un an. "Israël est résolument en solidarité avec les Ukrainiens et reste attaché à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine", a déclaré Eli Cohen à cette occasion.

Sur la question de la livraison d’armes, il a simplement dit, sans donner plus de détails : "Nous aiderons à développer un système d’alerte précoce intelligent pour l’Ukraine." Il a toutefois déclaré que l’État hébreu allait "soutenir et aider à approuver une garantie allant jusqu’à 200 millions de dollars pour des projets israéliens dans les infrastructures de soins de santé et civiles en Ukraine".

Turquie

La Turquie fait partie de l’Otan, elle a voté pour la condamnation de l’agression russe, mais elle a surtout tenté de s’imposer comme médiateur.

"En même temps, la Turquie a fourni à l’Ukraine des drones qui ont joué un rôle important au début de la guerre", souligne Michel Liégeois, "et en même temps Erdogan a réussi à garder suffisamment d’attaches avec Poutine pour qu’il accepte son statut de médiateur."

Iran

L’Iran s’est abstenu lors du vote de la résolution condamnant l’agression, fournit des drones à la Russie, et prépare la construction, en Russie, d’une usine de drones. Le pays a choisi son camp. "C’est à la fois une vitrine commerciale pour son savoir-faire", analyse Michel Liégeois, "un message qui dit qu’il doit être pris au sérieux, et aussi une forme de vengeance face au camp occidental qu’il tient responsable des sanctions dont il fait l’objet dans le dossier nucléaire et de l’ostracisme qui pèse sur lui. Il y a un côté ‘les amis de mes ennemis sont mes amis.’"

Arabie saoudite

Traditionnelle alliée des Etats-Unis, l’Arabie saoudite s’en est distanciée ces derniers temps. Les relations entre Joe Biden et le prince héritier Mohammed ben Salman ne sont pas au beau fixe, et, en octobre dernier, l’Opep + (les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) menés par l’Arabie saoudite et leurs 10 partenaires conduits par la Russie) a décidé de sabrer ses quotas de production, afin de soutenir les prix du brut.

Les États-Unis ont alors reproché aux Saoudiens de soutenir la Russie. "Ils sont en train de s’émanciper d’une relation trop exclusive avec les Etats-Unis", commente Michel liégeois.

Amérique latine

La plupart des pays d’Amérique latine ont condamné l’agression russe, mais aucun ne participe aux sanctions contre la Russie, ni ne fournit une aide militaire à l’Ukraine. L’éloignement géographique incite probablement ces pays à ne pas trop s’impliquer. "Ils n’ont pas d’intérêt à se prononcer dans ce dossier", commente Michel Liégeois.

Le Brésil est un des partenaires de la Russie au sein des Brics (un groupe de pays qui comprend également la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud). Son président nouvellement élu, Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, sans soutenir l’agression, ménage la Russie. Fin décembre, il a rapporté une conversation qu’il avait eue avec Vladimir Poutine, indiquant que le président russe l’avait félicité de sa victoire électorale, et qu’il lui avait dit souhaiter un renforcement des liens entre leurs deux pays.

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Pendant sa campagne, le dirigeant avait créé la polémique, en déclarant que Volodymyr Zelensky était "aussi responsable" du conflit dans son pays que son homologue russe dans un entretien au magazine américain Time publié mercredi 4 mai.

Guerre en Ukraine : discours de Poutine (JT du 21/02/2023)

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