Cette tournée passait notamment par l’Afrique du Sud, acteur majeur de la diplomatie en Afrique. L’Afrique du Sud s’est abstenue lors du vote du 2 mars 2022. Elle a accueilli Lavrov à bras ouvert, et elle mène depuis le vendredi 17 février des exercices militaires conjoints avec la Chine et la Russie au large de ses côtes.
"Il y a une forme de convergence", estime Michel Liégeois, "entre le discours de l’Afrique du Sud, qui souhaite limiter l’influence des anciennes puissances coloniales, et le discours de Vladimir Poutine qui se présente comme un libérateur par rapport à cette domination, et qui propose un soutien différent, non intrusif, sans clause de conditionnalité sur la démocratie et les droits de l’homme."
Ajoutons que certains pays africains, comme l’Egypte ou le Soudan par exemple, sont par ailleurs très dépendants du blé russe qu’ils importent massivement. Ils ne sont donc pas en mesure de s’opposer frontalement à la Russie.
Chine
Pour Michel Liégeois, la Chine est l’exemple par excellence du pays qui exclut de s’aligner sur la position occidentale, même s’il n’approuve pas l’action de la Russie, même si elle défend la notion d’intégrité territoriale. Elle s’est abstenue le 2 mars 2022, et a tenté de ménager les différentes parties.
Tanguy Struye pense, lui, que la Chine est moins neutre qu’il n’y paraît : "Si vous allez au-delà de la rhétorique, elle a clairement choisi son camp. Il ne faut pas oublier les communiqués de février 2022, juste avant l’invasion, quand Vladimir Poutine s’était rendu aux Jeux Olympiques de Pékin. Les deux pays y soulignaient leur amitié, leur défiance par rapport à l’élargissement de l’Otan, leur volonté d’intensifier leur coopération militaire. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des exercices militaires conjoints durant toute cette année (dont ceux qui ont actuellement lieu en Afrique du Sud, ndlr). Et le Wall Street Journal a publié une enquête qui montre que les Chinois ont livré des parties d’armement à la Russie."
"Il est vrai que quand l’utilisation de l’arme nucléaire tactique a été évoquée", poursuit Tanguy Struye, "les Chinois ont pris un peu de recul et ont condamné la Russie mais ils ont clairement évolué vers un partenariat stratégique."
Ce samedi 18 février 2023, le conseiller des affaires d’État chinois Wang Yi, le plus haut placé de la diplomatie chinoise, a annoncé à la conférence de Munich sur la sécurité que Pékin présenterait sous peu une initiative de paix pour mettre un terme à la guerre. Il a parlé d’une résolution "politique" de la "crise ukrainienne", affirmant que les pressions et sanctions ne fonctionnaient pas pour résoudre les litiges entre Etats.
Inde
Tout comme la Chine, l’Inde ne veut pas s’aligner sur la position occidentale. "Elle n’a par ailleurs pas, contrairement à l’Union européenne et aux États-Unis, la volonté d’imposer la démocratie dans le monde, elle ne fait pas de messianisme démocratique", commente Tanguy de Wilde d’Estmael.
Elle ménage ses relations avec les différents acteurs "mais la Russie l’a toujours soutenue sur la question du Cachemire et elle est pour l’Inde un important fournisseur de matériel militaire", ajoute Tanguy Struye. "Par ailleurs, les Indiens étant en pleine croissance économique, ils ont tout intérêt à bénéficier d’un pétrole moins cher."
Israël
Israël s’était jusqu’ici abstenu de prendre clairement parti dans le conflit. Il y a une très grande communauté russe en Israël, cela joue, et le pays doit par ailleurs ménager la Russie qui contrôle l’espace aérien de la Syrie voisine et ferme habituellement les yeux sur les opérations de l’État hébreu contre l’Iran.
Mais, dernièrement, il était question qu’Israël fournisse une aide militaire à l’Ukraine ce qu’elle s’est refusé à faire jusqu’ici, et le chef de la diplomatie israélienne, Eli Cohen, s’est rendu à Kiev le 16 février dernier, pour ce qui fut la première visite d’un ministre de l’État hébreu en Ukraine depuis l’invasion russe il y a un an. "Israël est résolument en solidarité avec les Ukrainiens et reste attaché à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine", a déclaré Eli Cohen à cette occasion.
Sur la question de la livraison d’armes, il a simplement dit, sans donner plus de détails : "Nous aiderons à développer un système d’alerte précoce intelligent pour l’Ukraine." Il a toutefois déclaré que l’État hébreu allait "soutenir et aider à approuver une garantie allant jusqu’à 200 millions de dollars pour des projets israéliens dans les infrastructures de soins de santé et civiles en Ukraine".
Turquie
La Turquie fait partie de l’Otan, elle a voté pour la condamnation de l’agression russe, mais elle a surtout tenté de s’imposer comme médiateur.
"En même temps, la Turquie a fourni à l’Ukraine des drones qui ont joué un rôle important au début de la guerre", souligne Michel Liégeois, "et en même temps Erdogan a réussi à garder suffisamment d’attaches avec Poutine pour qu’il accepte son statut de médiateur."
Iran
L’Iran s’est abstenu lors du vote de la résolution condamnant l’agression, fournit des drones à la Russie, et prépare la construction, en Russie, d’une usine de drones. Le pays a choisi son camp. "C’est à la fois une vitrine commerciale pour son savoir-faire", analyse Michel Liégeois, "un message qui dit qu’il doit être pris au sérieux, et aussi une forme de vengeance face au camp occidental qu’il tient responsable des sanctions dont il fait l’objet dans le dossier nucléaire et de l’ostracisme qui pèse sur lui. Il y a un côté ‘les amis de mes ennemis sont mes amis.’"
Arabie saoudite
Traditionnelle alliée des Etats-Unis, l’Arabie saoudite s’en est distanciée ces derniers temps. Les relations entre Joe Biden et le prince héritier Mohammed ben Salman ne sont pas au beau fixe, et, en octobre dernier, l’Opep + (les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) menés par l’Arabie saoudite et leurs 10 partenaires conduits par la Russie) a décidé de sabrer ses quotas de production, afin de soutenir les prix du brut.
Les États-Unis ont alors reproché aux Saoudiens de soutenir la Russie. "Ils sont en train de s’émanciper d’une relation trop exclusive avec les Etats-Unis", commente Michel liégeois.
Amérique latine
La plupart des pays d’Amérique latine ont condamné l’agression russe, mais aucun ne participe aux sanctions contre la Russie, ni ne fournit une aide militaire à l’Ukraine. L’éloignement géographique incite probablement ces pays à ne pas trop s’impliquer. "Ils n’ont pas d’intérêt à se prononcer dans ce dossier", commente Michel Liégeois.
Le Brésil est un des partenaires de la Russie au sein des Brics (un groupe de pays qui comprend également la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud). Son président nouvellement élu, Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, sans soutenir l’agression, ménage la Russie. Fin décembre, il a rapporté une conversation qu’il avait eue avec Vladimir Poutine, indiquant que le président russe l’avait félicité de sa victoire électorale, et qu’il lui avait dit souhaiter un renforcement des liens entre leurs deux pays.