Le billet de Victoria Novikova

Les enfants kidnappés, oubliés de la guerre en Ukraine

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Victoria Novikova travaille pour The Reckoning Project, un groupe de journalistes et chercheurs ukrainiens et internationaux qui rassemble des preuves de crimes de guerre en Ukraine.
par Victoria Novikova
publié le 20 février 2023 à 2h49

Un an après le début de la guerre en Ukraine, Libération donne la parole et la plume aux habitants et aux réfugiés d’un pays meurtri, avec le Libé des Ukrainiens. Retrouvez tous les articles de cette édition ici, et le journal en kiosques, lundi 20 février.

Un an déjà que les Russes commettent l’un des pires crimes de guerre internationaux qui soit : la déportation d’enfants, souvent arrachés à leurs parents. Pendant que les autorités ukrainiennes cherchent le moyen de rapatrier les civils, les parents désespérés tentent de récupérer par eux-mêmes leurs enfants en Russie. Mais ils font face à des obstacles démesurés.

Iryna, mère de Maksym (1), 15 ans, a voyagé plus de 10 000 kilomètres pour retrouver son fils, cinq mois après leur séparation en octobre. Elle a traversé trois pays en bus, en train et en avion. Maksym étudiait au Collège maritime à Kherson, alors encore occupé par les Russes. Un jour, il a appelé sa mère : «Maman, je suis sur un bateau, ils nous emmènent en Crimée.» Les enfants ont été brutalement sortis de leur classe et embarqués de la rive droite à la rive gauche du fleuve, dans la région qui est toujours aujourd’hui sous occupation russe.

Maksym s’est retrouvé dans un centre de vacances à Yevpatoria, en Crimée. Jamais personne n’a demandé à Iryna l’autorisation d’emmener son fils en «vacances». L’adolescent est resté coincé là jusqu’en janvier. Avant d’être soudain, avec plusieurs autres collégiens, transféré une nouvelle fois vers la région occupée de Kherson. Là, les Russes ont expliqué aux adolescents qu’ils allaient leur apprendre à tirer et à contrôler des check-points.

Lorsque Iryna a finalement réussi à retrouver son fils, le directeur du collège a posé des conditions drastiques. «Ils ne voulaient pas me rendre mon fils. Ils m’ont demandé divers documents et nous ont retenus plusieurs jours. Il était clair qu’ils ne voulaient pas laisser partir mon enfant. C’est un miracle que nous ayons pu nous échapper», raconte Iryna.

Presque tous les parents qui se sont rendus en Russie pour récupérer leurs enfants ont témoigné que tout a été fait pour les empêcher de les emmener. Selon les volontaires qui les aident dans leurs démarches, l’une des raisons de cette réticence pourrait être la peur des tribunaux. Car ces enfants ne sont pas seulement des victimes mais aussi des témoins précieux des crimes de déportation.

Pour Ibrahim Olabi, directeur juridique de The Reckoning Project, le contexte des hostilités annule toute justification des Russes. «Leurs tentatives de qualifier ces déportations d’évacuations ou de voyages de vacances n’ont jamais marché dans le passé lorsque d’autres ont tenté de se justifier de cette manière devant des tribunaux internationaux. La déportation forcée est un crime de droit international qui peut être qualifié de crime de guerre ou de crime contre l’humanité.»

Maksym a finalement réussi à se réfugier dans un pays sûr avec sa mère. Mais cette histoire est l’une des rares à bien se terminer. Les autorités ukrainiennes estiment à 16 000 le nombre d’enfants ukrainiens déportés et retenus en Russie. Sur ce nombre, seuls un peu plus de 300 ont été rendus à l’Ukraine depuis le début de l’invasion. En Russie, les enfants ukrainiens sont, de fait, retenus en otage.

(1) Les prénoms ont été changés.

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