"Ce métier n'est plus soutenable" : le navigateur Stan Thuret arrête la voile pour raisons écologiques

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"Ce métier n'est plus soutenable" : le navigateur Stan Thuret arrête la voile pour raisons écologiques

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Stan Thuret, ici à l'arrivée de la dernière Route du Rhum en Guadeloupe, a décidé d'arrêter sa carrière pour "raison écologique"
Stan Thuret, ici à l'arrivée de la dernière Route du Rhum en Guadeloupe, a décidé d'arrêter sa carrière pour "raison écologique"
- Alexis Courcoux #RDR2022

À 35 ans, Stan Thuret a décidé de mettre un terme à sa carrière de skipper professionnel et à la compétition, devenues selon lui incompatibles avec l’urgence climatique. Il souhaite un changement de mentalité dans la course au large.

Stan Thuret avait terminé 25ème de la dernière Route du Rhum en Class40 à bord de son monocoque "Everial". Cette traversée de l’Atlantique a donc été la dernière course de sa carrière. Il appelle les autres marins à une prise de conscience rapide des enjeux environnementaux dans ce sport. Toujours aux Antilles et en attendant de revenir en métropole, Stan Thuret s’est confié à France Inter.

FRANCE INTER : Il y a quelques semaines encore, vous étiez en mer à bord de votre bateau pour la Route du Rhum. Vous décidez aujourd'hui de ne plus faire de courses. Quel est le point de départ de votre réflexion ?

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STAN THURET : "Le point de départ de tout ça, c'est quand j'ai fait la mini-transat en 2017 [une traversée de l’Atlantique sur des bateaux de 6m50, NDLR]. J'ai passé 30 jours sur l'eau et j'ai découvert l'autonomie, qu'on pouvait vivre avec très peu d'électricité, très peu d'eau. Quand tu reviens à terre, ça te fait vraiment une claque dans la tête. En 2019, on a commencé à réfléchir avec d’autres skippers (Arthur le Vaillant, Roland Jourdain, Paul Meilhat…) à monter une association qui s’appelle La Vague. On s'est dit qu'il fallait qu'on fasse bouger les choses.

Plus tu creuses, plus tu te rends compte que ça ne va pas, dans le domaine de la voile comme dans la société en général. J'étais vraiment tiraillé entre le fait de dire qu'il fallait changer et ne pas changer moi-même. Le modèle que l'on défend, qui est de dire que la performance, c'est d'aller plus vite et d'être le premier, ce n'est plus possible. Il va falloir dans le futur qu'on se réinvente et qu'on mette d'autres critères de performance. Les courses peuvent exister d'une autre manière. C'est juste à nous de le décider."

Aujourd’hui, à vos yeux, la voile ne fait plus rêver ?

"Je suis arrivé à ce constat : pourquoi les gens aiment-ils la course au large ? Parce que ça les fait rêver. C'est le mot qui revient tout le temps. Mais à quoi fait-on rêver ? À quelque chose qui est, je pense, d'un autre temps, d'une époque où il n'y avait pas de limites, où on pouvait tout faire. Et ce message pour les gens de ma génération ne passe plus. Il faut qu’on les fasse rêver à autre chose de plus humain.

Ce métier de skipper, il n’est plus soutenable, il ne fait pas du bien à la planète. Ce métier, s'il ne prend pas un virage, il va être pointé du doigt dans quelques années, comme on pointe déjà du doigt un footballeur comme Karim Benzema qui passe ses vacances à Miami, fait du jet ski et se déplace en avion à gogo. La voile a cette image verte, il faut qu'elle la garde mais il faut qu'elle fasse une transition."

"Tout le monde se regarde et personne n'ose faire des choses"

Qu’est-ce qui est le plus gênant dans ce milieu de la course au large : les bateaux, l’organisation des épreuves, c’est un tout ?

"Je pense qu'effectivement il y aurait moyen de faire des bateaux plus durables si on imposait des limites et des nouvelles règles. Il faut accepter d'être plus lourd et d'aller moins vite. La construction d'un bateau, c'est moins de 25 % du bilan carbone total d'une saison.

Ce qu'il faut repenser, c'est le modèle entier et il faut créer des événements nautiques différents. Je viens du cinéma. Dans le cinéma, ce n'est pas le film qui coûte le plus cher qui gagne. Pourquoi ne pas créer des courses où celui qui gagne est celui qui raconte la plus belle histoire. C'est à nous de placer les critères de ce qu'on a envie de récompenser, de ce qu'on a envie de mettre en avant. On est vraiment dans l'immobilisme, tout le monde se regarde et personne n’ose faire des choses."

Pour Stan Thuret, il faut que la course au large change et apprenne à respecter son terrain de jeu, la mer
Pour Stan Thuret, il faut que la course au large change et apprenne à respecter son terrain de jeu, la mer
- Nicolas Fabbri

Vous dites même, et vous vous incluez dedans, que les marins sont devenus des enfants gâtés !

"Oui, on est des enfants gâtés, on est des enfants riches. On a une responsabilité parce qu'on a le luxe de réfléchir. Si on attend de tirer la dernière goutte de pétrole pour commencer à réfléchir, il sera trop tard. Mais quand on te vend ce modèle-là, c'est sûr que c'est dur d'en sortir. Depuis mon message, des gens me disent : tu dis tout haut ce qu'on pense tout bas. Mais ils sont coincés dans leur métier, ils aimeraient faire bouger les choses et ils n'y arrivent pas. Il y a l’ingénieur dans une grosse boîte qui construit des bateaux, un skippeur, un sponsor. Tous demandent à construire un nouveau bateau mais pour une raison vaine : juste vouloir gagner. Le modèle actuel est en fin de course."

C’est l’idée même du sport et de la compétition que vous remettez en cause ?

"Non, la question est plutôt : c’est quoi la performance ? Aujourd’hui, c’est juste de trouver de l'argent et de construire un bateau où on se fait mal parce que tous les bateaux sont invivables. On vit dans des boîtes, on est connectés, on ne voit plus la mer. Il y a plein de gens qui ne se retrouvent plus dans ce qu'on est en train de faire. Et je suis persuadé que les pionniers de la course au large aujourd'hui nous regarderaient en disant : mais qu'est-ce que vous avez fait de ce qu'on a créé ? On aura toujours besoin du sport, il sera toujours là. Il faut juste que les gens se posent un peu la question de ce qu'ils font et de leur responsabilité."

L’année prochaine, il y aura un tour du monde avec des ultims, ces trimarans géants qui volent. Faut-il arrêter ce genre de courses ?

"C'est super compliqué. Je serais curieux de voir combien de bateaux vont être à l'arrivée. On fait des bateaux de plus en plus fragiles et de plus en plus rapides. Si tu vas plus vite, il y a de plus en plus de chocs. On permet de réparer, c’est un peu ridicule. Ça veut dire qu'il y a de l'assistance partout. Ce qui fait rêver les gens, c'est la débrouillardise, c'est le dépassement de soi-même. Ça reste magnifique ce que vont faire ces marins d'aller naviguer à ces vitesses-là autour du monde. Mais est-ce que c'est le bon message? Je ne sais pas."

Avec cette décision de tout arrêter, avez-vous l’impression de vous sacrifier pour cette cause ?

"Non, je ne me sacrifie pas parce que je pense que je vais garder un pied là-dedans. Je suis très reconnaissant de la course au large et c'est ça qui est dur. C'est un milieu qui m'a fait rêver et qui fait rêver encore beaucoup de monde. Mais quand tu commences à creuser, il y a plein de choses qui ne sont pas très roses et c'est ça qui est dur.

J'aurais pu continuer de fermer les yeux, continuer en faisant des actions. Toutes les petites initiatives sont importantes. Je pense que je vais pouvoir fédérer plus de monde autour de moi. Il y a des marins qui m’ont contacté, des gens qui rêvaient de courses au large et qui refusent maintenant de faire une transatlantique parce qu'il faut prendre un cargo pour revenir. Il faut qu'on réinvente des trajets différents. Juste aller aux Antilles n'est pas soutenable. C'est le petit rôle que j'avais à jouer. C'est le petit battement d'ailes de colibri que j'apporte dans le vent de la course au large."

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