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Cerveau et psy

Une patiente paralysée s'exprime par la pensée à la vitesse de 62 mots par minute, un record

62 mots par minute, c'est le nouveau record de vitesse à laquelle une patiente paralysée a réussi à s'exprimer, grâce à une interface cerveau-machine décodant les signaux de son cerveau. Le précédent record était de 15 mots par minute.

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Une patiente paralysée s'exprime par la pensée à la vitesse de 62 mots par minute, un record

Atteinte de la maladie de Charcot, cette patiente peut communiquer par une interface cerveau-machine malgré son incapacité à articuler.

Frank Willett / Stanford
Une patiente paralysée s'exprime par la pensée à la vitesse de 62 mots par minute, un record
Une patiente paralysée s'exprime par la pensée à la vitesse de 62 mots par minute, un record
Camille Gaubert
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62 mots par minute, c'est environ trois fois moins que le débit de parole d'une conversation moyenne. Mais lorsqu'il s'agit d'une personne dont la paralysie faciale empêche toute expression orale, ce score devient prouesse. Une réussite technique et scientifique qui triple la vitesse maximale jusque-là obtenue, grâce à une neuroprothèse placée contre le cerveau de la patiente et dont les signaux sont ensuite décodés par ordinateur. "Cette équipe est reconnue et leurs résultats sont impressionnants", commente le chercheur à l'Inserm Jérémie Mattout, spécialiste en neurosciences, rappelant cependant que la prudence est de mise tant qu'ils n'auront pas été publiés et donc validés par les pairs.

Décoder le cerveau pour s'exprimer à l'écrit

"Nous voulions explorer la parole en raison du potentiel de restauration d'une communication rapide", explique Frank Willett, neuroscientifique à l'université de Stanford (Etats-Unis) et premier auteur de ces nouveaux travaux encore non publiés (pré-print). En 2021, son équipe avait publié dans Nature l'usage d'une méthode similaire pour permettre à un patient paralysé jusqu'au cou d'écrire "à la main". En réalité, une puce munie d'électrodes décodait les signaux de la zone motrice de son cerveau pendant qu'il imaginait écrire, pour que l'ordinateur en tire des lettres manuscrites. L'homme avait alors pu s'exprimer à l'écrit, à une vitesse de 90 caractères par minute et 99% de précision. Un score comparable aux 115 mots par minute écrits en moyenne par une personne valide sur un smartphone.

"Dans cette vidéo, notre sujet essaie de prononcer les phrases montrées en haut de l'écran, mais sa paralysie l'empêche de produire un discours intelligible. Notre interface cerveau-machine décode son activité neuronale et la convertit dans le message souhaité, écrit en bas de l'écran", écrit Frank Willett dans le tweet ci-dessous.

 

Le premier décodage réussi de parole orale avec un large vocabulaire

Des résultats impressionnants. Mais pour Frank Willett et ses collègues, l'avenir ne réside pas dans l'expression écrite. "La parole normale est d'environ 160 mots par minute, ce qui est beaucoup plus rapide que l'écriture manuscrite. En cas de succès, l'expression orale peut permettre à quelqu'un de participer à une conversation à un rythme normal", explique-t-il. L'idée avait déjà été exploitée en 2021 dans le New England Journal of Medicine (NEJM) par une équipe californienne, mais n'avait atteint que 15 mots par minute, avec 25% d'erreur.

Pour améliorer cette approche, cette fois, les chercheurs de Stanford ont utilisé des réseaux de microélectrodes qui enregistrent à partir de neurones uniques au lieu de grands groupes de neurones. "La patiente a reçu quatre implants dans les centres de commande motrice du langage", explique Jérémie Mattout. Chacun des implants est une petite matrice de 8x8 microélectrodes et monitore donc une soixantaine de neurones. Chaque mouvement de la patiente au niveau de la langue, mâchoire, lèvres, etc, était classifié uniquement avec l'activation des neurones, pointe Jérémie Mattout, afin de prédire ou décoder les phonèmes que la patiente tentait de prononcer. "Nous pensons que cela nous a permis d'atteindre des performances plus élevées en fournissant des signaux cérébraux à plus haute résolution", précise Franck Willett. "Nous utilisons également une méthode de décodage plus générale qui ne se limite pas à un petit ensemble de 50 mots", comme c'est le cas dans la publication du NEJM. "Nous rapportons un décodage réussi à partir d'un large vocabulaire de 125.000 mots", ajoute-t-il. "C'est la première démonstration réussie de décodage d'un aussi large vocabulaire." Le taux d'erreur, lui, est toujours de 24%, mais s'est trouvé divisé quasiment par trois lorsque le corpus se limitait à 50 mots.

62 mots par minute, une vitesse qui triple le précédent record

La performance est impressionnante. "Notre interface cerveau-machine (ou ICM, ndlr) a décodé le discours à la vitesse de 62 mots par minute, ce qui est 3,4 fois plus rapide que le record précédent pour tout type d'ICM et commence à approcher la vitesse de la conversation naturelle de 160 mots par minute", se réjouissent les auteurs dans la publication. "Il y a plusieurs niveaux d'innovation dans ces travaux. D'abord, il y a peu d'essais faits chez l'humain, ensuite les résultats battent les records de façon impressionnante. On se rapproche des vitesses de communication classique, c'est un bond en avant", appuie Jérémie Mattout. Une réussite qui confirme de surcroit que même après des années de paralysie, la patiente conserve la possibilité d'activer les circuits neuronaux permettant la parole. "Ce n'est pas toujours le cas : parfois, les patients atteints du Locked-In Syndrome (paralysie totale, ndlr) ne sont pas capables d'utiliser les interfaces, possiblement en raison de troubles cognitifs associés, du moins c'est une hypothèse que nous explorons actuellement ", précise le chercheur.

Reste encore cependant à diminuer le taux d'erreur de 24%, encore trop éloigné des 4 à 5% des meilleurs systèmes "speech-to-text" (qui peuvent retranscrire un discours à l'écrit à partir d'un fichier son). "Il y a toujours un compromis à faire entre vitesse et taux d'erreur. Ici ils ont fait un saut dans les deux !", s'enthousiasme Jérémie Mattout. Plus d'électrodes, un algorithme de décodage plus fin, de nombreuses options restent à explorer pour, enfin, rendre une parole fluide à ceux qui en sont musculairement privés alors que leur cerveau est resté fonctionnel. "N'oublions pas que ces systèmes sont utilisés en laboratoire, ce sont des prototypes. Avant d'imaginer un usage quotidien, il reste encore de nombreuses étapes de sécurité et praticité à valider."

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