Déclic

Roselyne Bachelot : "Peut-être que nous les femmes, avons un rapport moins pathologique au pouvoir"

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Par François Saint-Amand

Roselyne Bachelot a marqué la vie politique française à travers ses nombreux mandats. Dans 682 jours au ministère de la Culture, elle nous plonge dans les coulisses de la politique française. Interview dans Déclic.

Ministre de l’Écologie et du développement durable sous Jacques Chirac. Ministre de la Santé et des Sports puis ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sous Nicolas Sarkozy. Roselyne Bachelot a enchaîné les portefeuilles ministériels pendant plusieurs années. Elle a même été sortie du chapeau d’Emmanuel Macron, à la surprise générale, pour le poste de ministre de la Culture.

Ce dernier mandat s’est étendu entre le 6 juillet 2020 et le 20 mai 2022, soit 682 jours qu’elle raconte dans un livre, avec tout le franc-parler qui la caractérise. Un franc-parler qu’elle a aussi démontré sur le plateau de Déclic, en défendant son bilan et en analysant la situation politique de son pays.

La culture, un luxe inaccessible dans sa famille

Retirée de la vie politique pendant dix ans, Roselyne Bachelot endossait un nouveau rôle dans un gouvernement, qui plus est en pleine pandémie de covid-19, pour une seule raison : la Culture, pour elle, c’est le Graal.

"J’avais raccroché et même juré mes grands dieux que jamais je n’accepterais un poste. J’avais quand même dit en note de bas de page 'sauf si c’est le ministère de la Culture'. C’est ce qui arrive un soir juste après la nomination de Jean Castex comme Premier ministre. On se rencontre sur un plateau de télévision et là il doit se dire 'j’ai une sorte de vieille bête de la politique, cela doit bien convenir dans la période agitée que nous vivons'" raconte-t-elle.

Cette envie qui l’animait, elle l’explique par son contexte familial : "Mes parents étant d’origine très modeste, la culture leur paraissait souvent comme un Graal, inaccessible. Par exemple, l’opéra je l’ai découvert très tard parce que maman estimait que c’était quelque chose de trop compliqué. La Culture était aussi un formidable moyen de promotion sociale et de contact entre les êtres : il n’y avait pas plus belle chose pour moi que d’être ministre de la Culture".

Un rapport moins maladif avec la politique ?

Aujourd’hui bel et bien retraitée de la vie politique, Roselyne Bachelot justifie sa longue parenthèse entre son mandat de la Cohésion sociale et celui de la Culture par son âge et l'envie de retrouver une vie de famille : "C’est une vie épuisante (la politique). On fait les 35 heures trois fois par semaine : pas de vacances, pas de week-ends, et puis ce stress permanent de se dire qu’on est là à gérer les affaires de la France et des Français, qu’on est responsable, qu’à tout moment on peut déraper, dire un mot qui ne convient pas. On est aussi à l’international : la France est un pays respecté. On sait que nous allons assurer la présidence française de l’Union européenne. Il faut la préparer. Tout cela est écrasant".

Ce point de vue ne semble pourtant pas s’appliquer à bon nombre de ses homologues. Joe Biden, 80 ans, est jugé toujours apte à diriger les États-Unis par exemple. Et il ne donne pas l’impression de refuser de briguer un second mandat à la Maison Blanche.

Citant notamment la récente démission de la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon, Roselyne Bachelot estime que les femmes appréhendent la politique d’une autre manière que les hommes :

Peut-être que nous, les femmes, avons un rapport moins pathologique au pouvoir. Cela ne veut pas dire que nous n’aimons pas le pouvoir ou que nous ne sommes pas capables de l’assurer. Mais nous savons aussi qu’il y a d’autres choses dans la vie.

Elle précise : "Il m’est arrivé, en montant à la tribune de l’Assemblée nationale, de me dire : 'il faut que je passe chercher mon pressing et il n’y a plus de yaourt dans le frigo'. Je crois qu’il n’y a que les femmes en politique qui ont ce rapport (ambivalent) avec la politique".

Quelles solutions pour sortir de la fragilité politique en France

Roselyne Bachelot a également commenté les débats houleux à l’Assemblée Nationale concernant la très contestée réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Les invectives pleuvent entre les députés. Pour l’ancienne ministre, ces rapports tendus sont à imputer à "un parti politique qui ne croit pas en la démocratie parlementaire mais qui est dans la démocratie conflictuelle", arrivé en force aux dernières législatives.

"Cela a d’ailleurs été particulièrement documenté et analysé par des penseurs comme Gramsci ou Chantal Mouffe, une Belge qui est une source d’inspiration pour la France Insoumise ou les grands Foucault ou Derrida. C’est-à-dire que soit on perd, soit on gagne. On est donc dans une ambiance de fracture et de lutte que nous ne connaissions pas en France. Bien sûr on s’engueulait : il y a eu des injures sous toutes les Républiques. Mais ensuite, on pouvait discuter ensemble et pratiquer une culture du compromis ou de l’accord. Là, il y a un climat de haine qui est tout à fait étonnant".

La solution envisagée par Emmanuel Macron de donner plus de pouvoir au Parlement ne serait pas celle qui apaiserait les tensions estime Roselyne Bachelot. Elle donne d’autres pistes que celles proposées par le président : "Il faut découpler les élections législatives des élections présidentielles. Les avoir mêlées, je pense, perturbe profondément les choses. Il faut aussi réfléchir à ce qu’est une motion de censure : une motion d’opposition, ou au contraire, comme dans beaucoup de pays, une motion de censure intelligente, où il faut présenter une solution alternative de gouvernance, avec un Premier ministre et un programme". Autre changement, permettre le cumul des mandats, interdit actuellement, "parce qu’il y a une vraie fracture en France entre les pouvoirs locaux et le pouvoir national qu’il faut résoudre".

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