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"Je ne porte plus jamais le voile" : les Iraniennes osent désormais provoquer le régime au quotidien

Des femmes sans voile dans les lieux publics, les rues, les cafés, les banques et même les aéroports : ce qui paraissait impensable il y a encore cinq mois est désormais une réalité en Iran, où le mouvement de protestation né mi-septembre a libéré l’audace des Iraniennes. Si l’intensité des manifestations a baissé depuis janvier, nos Observatrices affirment que des changements irréversibles se sont opérés dans la société iranienne.

Des femmes marchent sans voile dans les rues de Téhéran, le 14 novembre 2022.
Des femmes marchent sans voile dans les rues de Téhéran, le 14 novembre 2022. © Observers
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Depuis décembre 2022, les manifestants voient moins de véhicules de la police des mœurs. Une présence sporadique qui a alimenté les rumeurs selon lesquelles le régime aurait dissous cette unité controversée. Mais nos Observateurs sont formels : si les patrouilles sont moindres, les Iraniennes subissent toujours des pressions pour respecter les lois sur le port du voile obligatoire.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : "La loi, elle, n’a pas changé" : pour les manifestants iraniens, la fin annoncée de la police des mœurs ne change rien

Mais ils disent aussi ceci : ils n’en reviennent pas des progrès réalisés en cinq mois de manifestation. 

Dans un centre commercial a téhéran en février 2023.

"Des hommes et d'autres femmes me sourient régulièrement quand je me promène en public"

Mahi (pseudonyme) vit à Téhéran, où elle travaille dans une start-up.

C’est clair que nous voulons beaucoup plus que le fait de pouvoir ne plus porter le voile. Nous voulons la fin de la République islamique. Mais d'une certaine manière, je pense qu'avec la révolution "Femme, vie, liberté” [slogan phare du mouvement né le 16 septembre, NDLR],  nous avons déjà gagné quelque chose sur le pouvoir. 

J'ai littéralement brûlé mes voiles, ça fait un moment déjà. Je ne porte plus jamais de voile. Je sors dans la rue, je vais dans les cafés, dans les banques, et j'ai même pris un vol sans porter de foulard. Lorsque j'ai voulu passer le portique de sécurité à l’aéroport, qui est contrôlé par les Gardiens de la révolution, ils m'ont demandé de me couvrir la tête. J'ai dit que je n'avais rien sur moi, j'avais un sweat à capuche, j’ai mis la capuche quelques secondes devant eux, puis je l'ai enlevée.

Des hommes et d'autres femmes me sourient régulièrement quand je me promène en public, et me disent des mots d'encouragement comme "bien joué" ou "je suis fier(e) de toi". Je constate depuis des semaines que le fait de ne pas porter de voile devient la norme – pour les gens, ce n'est plus quelque chose de spécial.

Personne ne regarde ou ne dévisage les femmes sans hijab. Même les hommes qui semblent être religieux détournent le regard, mais ne disent rien. Que les choses aient changé si rapidement, c’est encore assez inconcevable pour moi.

“Il m'arrive de voir des adolescentes marcher dans la rue en portant des crop tops”

Alors oui, il y a plus de femmes sans voile dans les quartiers plus aisés. Mais même dans les quartiers sud de Téhéran, qui sont plus défavorisés et plus conservateurs, les femmes sans voile ne sont pas rares. De nombreuses femmes – en particulier la jeune génération – refusent de porter le hijab islamique, je dirais 20 à 30 % des femmes. Quand je suis allée là-bas dernièrement, je me suis sentie en sécurité bien que non voilée, j’en étais surprise. Personne ne dévisageait les femmes, aucun homme ne montrait le moindre signe de désapprobation. On a l'impression que la société a mis un filet de sécurité invisible autour des femmes sans voile pour les protéger.

Cependant, la vraie bataille contre la République islamique, ça sera cet été. C'est l'hiver maintenant, et nous devons nous couvrir de toute façon parce qu'il fait froid dehors. Mais pendant les plus ou moins deux mois où il fait vraiment chaud à Téhéran, je ne vois aucune raison de me couvrir le corps comme avant. Aujourd'hui encore, il m'arrive de voir des adolescentes marcher dans la rue en portant des crop tops, et je suis assez impatiente de voir comment ces filles s'habilleront en été !  Je pense que notre véritable combat pour faire reculer plus encore ces islamistes commence. 

 

Les Iraniennes subissent cependant toujours des pressions du régime pour continuer à porter le voile – des menaces, des restrictions voire des actes de violence.

Hossein Jalali, un député iranien, a déclaré aux médias iraniens le 20 décembre 2022 que "les restrictions concernant le hijab sont toujours en place, c'est juste la façon dont elles sont appliquées qui a changé."

Plusieurs autorités locales en Iran ont interdit à toutes les organisations d'offrir des services aux femmes sans hijab. Le 25 décembre 2022, le gouverneur de la province du Khorassan méridional, dans l'est de l'Iran, a informé toutes les banques, agences gouvernementales et entreprises que fournir des services aux femmes sans hijab contrevenait à la loi.

Des actes de défiance ont défrayé la chronique ces dernières semaines. Le 18 février, une ingénieure, Zainab Kazempour, a jeté son voile par terre après avoir été disqualifiée lors d'élections du conseil d'administration de la Tehran Construction Engineering Organisation, au motif qu’elle ne portait pas le voile de manière convenable. 

Zainab Kazempour, une ingénieure, jette son voile devant un portrait d'Ali Khamenei après avoir été disqualifiée d'une election à un conseil d'administration au motif que son voile n'était pas mis convenablement, le 18 février 2023 à Téhéran.

Les 29 janvier, 15 et 21 février, trois pharmacies ont été fermées à Amol, dans le nord de l'Iran, à Téhéran et à Shar-e-Rey, une banlieue pauvre de Téhéran. Dans les trois cas, ces fermetures sont intervenues après que des vidéos montrant des femmes y travaillant sans voile sont apparues. Les trois femmes sont poursuivies en justice.

Un membre du Bassidj harcèle une femme travaillant dans cette pharmacie à Amol, dans le nord de l'Iran. La pharmacie a été fermée suite à la publication de cette vidéo, et l’employée est poursuivie en justice.

Le 26 novembre 2022, c’est un directeur de banque à Qom qui avait perdu son emploi après avoir servi une femme non voilée. Une vidéo de cet incident avait été publiée sur les médias sociaux deux jours plus tôt.

A bank director in Qom was fired after this video was published on social media.

Le 1er janvier 2023, Ali Khanmohammadi, porte-parole de l'organisation "Enjoindre le bien et interdire le mal" – en charge de faire respecter la charia dans les espaces publics, parallèlement à la police des mœurs –, a déclaré dans un entretien accordé aux médias locaux que "la police est chargée de fermer les magasins qui ne respectent pas la loi [...]". Il a dit "ne pas pouvoir tolérer" que des commerçants ne demandent à leurs clients de se voiler.

Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique, avait pour sa part souligné dans un discours prononcé le 4 janvier que la loi sur le hijab en Iran devait être maintenue, affirmant que "le hijab est un commandement inaliénable de la charia".

A woman cycles without a hijab in Mashhad, one of the holiest cities for Shia Muslims.

 

 

"Ne pas porter le hijab est devenu un acte politique, un signe de courage"

Pourtant, la défiance décrite par notre Observatrice semble aussi gagner les villes rurales, généralement plus conservatrices. C’est ce qu’explique Faranak (pseudonyme), qui vit à Téhéran mais originaire d'une petite ville du sud-ouest du pays, où elle se rend régulièrement pour voir sa famille.

Lorsque j'étais dans ma ville natale il y a quelques jours, après plusieurs mois, j'ai constaté que les gens avaient également changé. J'ai vu de nombreuses femmes marcher dans les rues sans foulard, des adolescentes discuter et rire dans les rues sans hijab. Ne pas porter le hijab était un acte d’audace ou de singularité. C’est devenu un acte politique pour défendre ses droits.

De nombreuses femmes portent leur foulard sur les épaules, des adolescentes le portent comme une écharpe, et d'autres ne le portent tout simplement pas du tout. Je pense que ce n'est pas réversible. Si vous fermez les magasins ou si vous licenciez des gens en rétorsion, à un moment, cela ne fonctionne plus. Personnellement, j'ai décidé de ne pas porter de foulard, quoi qu'il arrive. Même si je perds mon emploi, même s'ils m'arrêtent cent fois, s'ils me battent... peu importe, je ne couvrirai pas mon corps comme ils pensent que je dois le faire. Je suis convaincue que beaucoup de femmes ressentent la même chose que moi.

La mort de Mahsa Amini lors de sa détention par la police des mœurs en septembre 2022 a déclenché la plus grande vague de protestations de l'histoire de la République islamique d'Iran. Depuis septembre 2022, plus de 480 Iraniens ont été tués et des milliers ont été blessés dans les manifestations dans le pays.

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