Une fresque murale de Vladimir Poutine à Moscou, le 23 février 2023

"Poutine pense qu’il ne mène pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre l’Occident", estime Alexeï Venediktov (Photo by Natalia KOLESNIKOVA / AFP).

AFP

Il est l’un des seuls grands journalistes indépendants à vivre encore en Russie. Désigné comme un "agent de l’étranger", Alexeï Venediktov se sait dans le collimateur des autorités russes. Le 24 février 2022, l’ancien rédacteur en chef de la radio Echo de Moscou condamnait en direct à l’antenne l’agression de son pays contre l’Ukraine. La station, qui avait commencé à diffuser en août 1990 à l’époque de la Glasnost de Mikhaïl Gorbatchev, a été liquidée peu après le début de l’invasion, comme la plupart des médias indépendants qui subsistaient dans le pays.

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Propriété du groupe Gazprom, cette radio, qui réunissait plus d’un million d’auditeurs, s’est vu priver de fréquence et de site pour "diffusion d’informations mensongères". L’ex-professeur d’histoire, qui avait irrité Vladimir Poutine dès l’été 2008 par son traitement du conflit russo-géorgien, y donnait la parole à un large spectre d’interlocuteurs, des proches du Kremlin aux opposants politiques (comme Alexeï Navalny), en passant par des dirigeants étrangers (Bill Clinton, Gerhard Schröder ou Jacques Chirac). Aujourd’hui encore, celui qui se définit comme un homme "de compromis" a pour devise professionnelle de parler avec tout le monde, et entretient des relations d’amitié avec les deux camps. Ce qui lui vaut des critiques de tous côtés.

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Depuis Moscou, Alexeï Venediktov continue de s’exprimer sur la chaîne YouTube qu’il a créée, et à travers laquelle il dialogue avec des Russes abreuvés de propagande mais à l’esprit confus. Plus que d’inutiles condamnations morales, sa priorité est de maintenir le contact avec cette partie de la population désorientée – l’immense majorité, selon lui –, afin d’introduire dans leurs esprits un doute sur le bien-fondé de la guerre en Ukraine.

Pour l’heure, alors que les deux parties pensent pouvoir l’emporter, il ne voit pas d’autre suite au conflit dans les prochains mois qu’une escalade, avec de terribles combats. Lors de son récent passage à Paris, ce journaliste toujours alerte de 67 ans, reconnaissable à sa chevelure blanche de "savant fou", s’est entretenu, en français, avec L’Express.

L’Express : Comment s’est passée la fermeture de Echo de Moscou, la radio dont vous étiez le rédacteur en chef ?

Alexeï Venediktov : Echo de Moscou était la première chaîne de radio à Moscou. Nous avions un million d’auditeurs par jour. Le 24 février, quand la guerre a commencé, j’étais à l’antenne à 7 heures du matin. J’ai parlé immédiatement d’une "grande faute" de Poutine, d’une catastrophe pour la Russie, et dit que nous avions "déjà perdu cette guerre". Quelqu’un m’a appelé de la part du Kremlin pour me dire : "Vous êtes foutus". Une semaine après, la radio a été fermée, tous les journalistes ont été virés, y compris moi, qui ai été mis en retraite.

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Un mois plus tard, des gens du Kremlin m’ont dit que la décision de fermer la radio avait été prise avant le commencement de la guerre. Parce que pendant la guerre avec la Géorgie, en 2008, nous avions donné la parole au président Mikheil Saakachvili et à plusieurs membres de son gouvernement. A l’époque, Poutine m’avait interpellé publiquement : "Qu’est-ce que vous faites ? Nous faisons la guerre, nous perdons des soldats. Et vous, vous donnez les paroles à ces gens-là ?"

Et que sont devenus les 180 journalistes ?

Ils se sont dispersés. Une dizaine ont émigré en Allemagne, en Lettonie, aux Pays-Bas. Une petite partie s’est reconvertie dans les médias d’Etat russes. D’autres sont au chômage, ou ont changé de profession.

Après la fermeture d’Echo de Moscou, reste-t-il encore des médias indépendants en Russie ?

Il existait auparavant trois médias traditionnels indépendants : la radio Echo de Moscou, le journal Novaïa Gazeta et la chaîne de télévision Dojd. Tous trois étaient des médias d’influence. C’est pourquoi ils ont été fermés. Il reste quelques médias indépendants en province, tolérés parce que petits et peu influents.

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Vous avez toutefois continué vos activités en Russie sur YouTube…

Oui, avec une quinzaine de journalistes – toutes des femmes, car les hommes ont quitté le pays à cause de la mobilisation –, nous avons monté une petite chaîne Echo de Moscou sur YouTube. Elle compte plus de 760 000 abonnés aujourd’hui. Pour l’alimenter, je rencontre des diplomates, des hommes politiques, des gens de culture en Russie et en dehors.

Subissez-vous des pressions ?

Il y a les appels d’amis d’autrefois : "Mais pourquoi fais-tu ça alors que tu es à la retraite ? On peut te chercher une place dans telle ou telle corporation d’Etat…". Mais aussi des menaces plus sérieuses. Après que la radio a été fermée, et que j’ai été désigné comme "agent étranger" par les autorités, le 22 avril, le jour de la naissance de Lénine [il sourit], des slogans antisémites ont été inscrits sur la porte de mon appartement, ainsi qu’une étoile de David et l’emblème de l’Ukraine. On avait aussi placé une tête de porc devant… Quant à Evgueni Prigojine, le patron du groupe de mercenaires Wagner, il a déclaré que j’étais un "ennemi" de la Russie…

A cause de ma qualification "d’agent de l’étranger", les magazines que j’édite ou dans lesquels j’écris doivent être sous emballage – en plastique transparent si mon nom n’apparaît pas sur la couverture, opaque, sinon. Toujours pour cette raison, le dernier numéro de ma revue historique, qui est consacré à la reine Margot, est orné d’un logo "interdit aux moins de 18 ans". Mon fils me demande en rigolant si c’est du porno ! [rires].

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Avez-vous peur ?

Bien sûr que j’ai peur, je ne suis pas courageux. Mais, cela ne m’empêche pas de continuer.

En plus d’être "agent de l’étranger", vous figurez sur la liste des "soutiens à la guerre" établie par l’équipe d’Alexeï Navalny, à cause de vos liens avec des proches du Kremlin, de vos selfies avec eux… Vous assumez tout ?

Oui. J’étais rédacteur en chef de la première radio politique du pays. A ce titre, je faisais des selfies avec tous les acteurs politiques que je recevais. Pas seulement avec Margarita Simonian [la puissante patronne du média d’Etat RT] ou des ministres, mais aussi avec des opposants, comme Alexeï Navalny.

J’ai interviewé aussi bien les présidents Gorbatchev que Poutine, tous les chefs des partis politiques, les défenseurs des droits de l’homme… Echo de Moscou était une radio qui cherchait à être professionnelle, pas une radio d’opposition.

Venediktov avec Navalny

Alexeï Venediktov avec Alexeï Navalny

© / Alexey Venediktov

Quel public ciblez-vous, avec votre chaîne YouTube ?

Commençons par décrire la société russe. Il y a ceux qui soutiennent absolument Poutine dans cette guerre : ils représentent environ 15 % de la population. Il est impossible de parler avec eux, parce que ce sont des fanatiques.

Il y a aussi les gens qui sont contre cette guerre – entre 10 et 15 %. Inutile de les cibler, puisqu’ils sont déjà convaincus. C’est aux autres qu’il faut parler, les quelque 70 % qui ne savent pas trop quoi penser. Notre chaîne YouTube s’adresse à ces gens qui ont une opinion friable. Il faut échanger avec les gens simples, pas avec les propagandistes.

Mais comment toucher ces personnes, les convaincre que l’invasion de l’Ukraine est injustifiable ?

J’ai été professeur d’histoire à l’école pendant 20 ans. De même qu’il faut parler aux enfants dans la langue des enfants, il faut parler à ces gens-là dans leur langue. Lors de chaque émission, nous lançons un chat avec le public. On me dit par exemple : "Les Ukrainiens veulent entrer dans l’Otan pour menacer la Russie, c’est pourquoi il fallait lancer cette "opération militaire spéciale." Je réponds : "Peut-être, mais le prix à payer est trop grand… Beaucoup de nos jeunes sont tués, notre économie souffre."

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J’essaye de ne pas les humilier, mais d’introduire le doute dans leur tête. Concernant les atrocités de Boutcha, on me dit : "C’est une mise en scène !"… Je leur demande : "Mais d’après vous, ce sont des acteurs, des mannequins ?" Ils reconnaissent que ce sont de vraies personnes qui ont été tuées. On fait un premier pas… Puis je continue : "Mais si ce sont des Russes qui ont été victimes d’une tuerie, pourquoi n’avons-nous pas envoyé nos juges d’instruction faire une enquête ?" Voilà comment j’essaye de créer une discussion.

Condamner moralement, ça ne m’intéresse pas. Les invectives, ça ne fonctionne pas, avec ces gens-là.

Aujourd’hui, 55 % des Russes se disent pour la paix, selon les instituts de sondage. Mais n’oublions pas que Poutine dit qu’il est pour la paix et que Zelensky veut la guerre. Je leur dis : "Moi aussi, je veux la paix. Mais il faut stopper l’armée russe, elle doit revenir à caserne." On me répond que les Ukrainiens sont néonazis, russophobes… Mais il faut quand même continuer à parler avec eux.

Comment expliquez-vous qu’une si grande partie du peuple russe n’arrive pas à condamner la guerre ?

Le peuple russe a toujours pensé que l’Ukraine n’existait pas, qu’elle était une partie de la grande Russie, qu’il s’agissait d’un seul peuple. Ils l’appelaient "Mala Rosiia", la petite Russie… Comme la Biélorussie est la Russie blanche. Ils ne voient pas que c’est une autre culture, avec d’autres façons de penser, et qu’il y a 30 ans d’indépendance. Pour moi, c’est une guerre coloniale menée par la Russie.

Les gens ont-ils peur ?

Oui, vraiment. Vous pouvez être condamné à 15 ans de prison si vous diffusez des soi-disant fake news sur l’armée. Il y a environ 187 procès en cours. Une loi interdit de critiquer l’armée russe. Si elle quitte telle ou telle ville, vous ne pouvez pas diffuser cette information, car on peut vous accuser de vouloir la discréditer, et cela peut être puni par la loi. Donc les gens font très attention à ce qu’ils écrivent sur Twitter et Facebook.

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Mais pourquoi les Russes de l’étranger ne se mobilisent-ils pas plus ?

Tout d’abord, il n’y a pas de leader, car l’émigration est très divisée. Parmi ceux qui sont partis, il y a des fascistes ; des libéraux comme Mikhaïl Khodorkovski ou Garry Kasparov ; des gens sans vision politique qui sont partis pour éviter les mobilisations…

A l’intérieur du pays, Alexeï Navalny aurait pu jouer un rôle fédérateur. Mais Poutine l’a très bien compris, et c’est pourquoi il est en prison.

Vous qui connaissez bien Poutine, dans quel état d’esprit est-il ? Prépare-t-il cette offensive massive que craignent les Ukrainiens ?

Premièrement, Poutine pense qu’il ne mène pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre l’Occident. Bien plus qu’une victoire militaire, il cherche une victoire politique. Il veut que l’Occident le considère comme un partenaire égal, et que l’Ukraine ne fasse jamais partie de l’Otan. Et peu importe pour lui le coût en vies humaines. Que pèsent quelque 100 000 morts en Ukraine contre des millions pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Venediktov avec Poutine, Clinton

Alexeï Venediktov avec Vladimir Poutine, Bill Clinton

© / Alexey Venediktov

Que se passerait-il si les Ukrainiens cherchaient à récupérer la Crimée ?

Pour Poutine, la Crimée, c’est son Graal, c’est la Sainte Russie, la Russie pure et dure, comme Moscou ou Saint-Pétersbourg. Il ne la lâchera jamais : ce n’est pas juste un lieu géographique, mais un symbole. Poutine veut rester dans l’Histoire comme celui qui a rendu la Crimée à la Russie.

En 2008, après l’attaque contre la Géorgie, alors que nous étions à table, il m’a demandé : "Toi qui as été professeur d’histoire, qu’est-ce que les manuels diront de moi ?" Nous avions bu deux bouteilles de vin blanc ensemble (à l’époque, il buvait de l’alcool, ce qui n’est plus le cas). Je lui ai répondu quelque chose d’assez général. "C’est tout ?", a-t-il réagi.

Six ans plus tard, après l’invasion de la Crimée, il avait réuni des rédacteurs en chef russes autour d’une grande table. Et il me demande : "Et maintenant ?" "Comment ça ?", lui dis-je. "Comment se souviendra-t-on de moi dans les manuels ?", précise-t-il. Six ans avaient passé et, pendant tout ce temps, c’était toujours resté dans son esprit !

Vous qui le connaissez depuis longtemps, aviez-vous anticipé l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022 ?

Aujourd’hui, je peux dire que j’ai été myope pendant des années : je n’ai rien vu, alors que tout était devant mes yeux. Je n’ai pas vu ce qui, depuis toujours, est dans sa tête.

En 2008, après la guerre en Géorgie, il m’a dit que la Crimée était russe - que ce n’était pas une question légale, mais de justice. Je n’ai pas compris ce qu’il avait dans la tête…

On parlait toujours de sa corruption, mais on n’a pas vu le revanchisme par rapport à sa jeunesse défavorisée. Avec ses palais, ses yachts, ses voyages, les grands de ce monde qui le recevaient, pourquoi aurait-il besoin de se lancer dans une guerre ?, pensions-nous…

Quand il parlait du Grand Empire russe, de Pierre le Grand, on pensait qu’il plaisantait. Un jour, il m’a dit, car il avait lu un de mes articles : "Tu penses que l’empereur russe le plus grand est Pierre Le Grand ? Eh bien moi, je pense c’est Catherine II". Il faisait référence à l’extension de la Russie, et notamment à l’annexion de la Crimée en 1783, mais je n’ai pas compris.

Il pense sans cesse à la trace qu’il va laisser dans l’Histoire, et sa mission, c’est de restaurer la Grande Russie, une Russie qui parle avec les grandes puissances.

En 2013, j’étais à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies. A un moment, Poutine rencontre Obama pendant une vingtaine de minutes. Je demande au ministre des Affaires Etrangères Sergueï Lavrov ce qu’ils se disent. Selon lui, Poutine a proposé à Obama un pacte, comme après la Seconde Guerre mondiale. Il voulait définir des zones d’influence, se réservant les anciennes républiques soviétiques (sauf les pays Baltes). Avec la promesse qu’il assurerait l’ordre (pas de guerre, pas de drogues, pas de ventes d’armes) sur ces territoires. Je crois à cette histoire. Obama a dit non, bien sûr.

Quand vous voyez l’Occident franchir de plus en plus d’étapes dans les livraisons d’armes lourdes, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre issue que l’escalade militaire. Il n’existe pas de pourparlers pour la paix, ni même pour un cessez-le-feu. Pourquoi ? Parce que les deux parties considèrent qu’elles peuvent gagner la bataille militaire. Pour ma part, je pense que la Russie ne peut pas gagner, parce que l’Ukraine est soutenue par l’Occident. Mais l’Ukraine non plus ne peut pas l’emporter. Quel camp lancera l’offensive en premier ? Quand ? En février, en mars, en avril ? Où ? On ne sait pas… L’Etat-major russe se prépare ; l’Ukraine va recevoir des armes lourdes. Ce printemps ou cet été, nous allons sans doute assister à une bataille sanguinaire, à plusieurs mois d’escalade. Puis on aboutira à un conflit gelé, comme en Corée, le long du 38e parallèle. Je ne vois pas de victoire, ni d’un côté ni de l’autre.

Existe-t-il une possibilité que les Ukrainiens reprennent la Crimée ?

Sans les Américains, non. Or les Américains n’y vont pas car ils comprennent que ça mènera obligatoirement à l’escalade.

Comment voyez-vous l’après-Poutine ? Commencez-vous à y réfléchir ?

Il faut comprendre que l’homme clef, c’est Poutine.

Il ne partira pas, je pense, parce qu’il voit son travail comme une mission sacrée, qui n’a pas de fin. A ses yeux, ne pas la poursuivre serait être un déserteur. Et il ne veut pas rester dans les manuels d’Histoire comme un déserteur.

A mon sens, soit il sera éjecté du pouvoir (un coup d’Etat, une révolte populaire, les Américains…), soit son départ sera pour l’au-delà…

Qui, dans son entourage, partage sincèrement sa vision ?

Ce sont les gens qu’il consulte dans le domaine militaire, comme le chef du Conseil de sécurité Nikolaï Patrouchev. Dans le domaine idéologique, c’est son ami de longue date Iouri Kovaltchouk. Pendant l’épidémie, c’était son interlocuteur préféré. Mais il y a aussi tous ceux qui se définissent comme des soldats de Poutine : Ramzan Kadyrov, le président de la République de Tchétchénie, par exemple, ou Sergueï Kirienko, le chef adjoint de l’administration, qui est responsable de la politique intérieure et du Donbass. Il y a beaucoup de bureaucrates sans vision, entièrement dévoués à Poutine.

Comment vivez-vous la situation actuelle ?

C’est dur, parce qu’on a peur pour ses proches. J’ai un garçon de 22 ans, qui a quitté l’armée en juillet, mais qui était conscrit au commencement de la guerre. Il y a aussi les collègues dont je suis responsable, en tant que rédacteur en chef. Et enfin toutes ces divisions. Les voisins s’apostrophent sur le palier, dans les magasins, dans les taxis. On se déchire même entre amis, au sein des familles. J’ai des amis qui sont en prison, comme l’homme politique Vladimir Kara-Mourza. Et des amis au Kremlin, comme Dmitri Peskov, et on discute avec tel ou tel, mais certains ont rompu les liens, c’est très triste. Dans les familles aussi, certains ne se parlent plus et vendent même leurs appartements pour ne pas vivre ensemble.

On débat à Moscou (en privé, chez soi, pas dans l’espace public), car c’est une ville où des gens ont des positions – dans le business, dans la culture ou dans les médias – qui leur permettent d’avoir des informations et de constater les conséquences de la guerre. En province, en revanche, beaucoup de gens préfèrent ne pas s’exprimer.

Pourquoi n’entend-on pas plus les mères des soldats ?

C’est une chose que je ne comprends pas, parce que dans les précédents conflits, en Tchétchénie, en Afghanistan, c’était le cas, et maintenant, on ne les entend plus. En province, il y a quelques cercles de mères de soldats qui aimeraient protester, mais la répression est très forte.

Elles font l’objet de menaces. Par exemple, si l’une d’elles écrit une lettre à l’administration présidentielle parce qu’elle cherche son fils, le régime peut l’accuser de discréditer l’armée et l’accuser de la traduire en justice. On n’observait pas à ça à l’époque des guerres en Tchétchénie et en Afghanistan. On ne touchait pas aux mères.

N’oublions pas non plus que si un soldat meurt, sa famille reçoit 7 millions de roubles, c’est-à-dire 87 000 €. C’est énorme, surtout en province.

Et si votre père meurt pendant l’opération spéciale, vos enfants sont admis gracieusement dans les universités de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Au-delà de l’aspect financier, c’est leur avenir qui est assuré.

Comment analysez-vous la montée en puissance d’Evgueni Prigojine sur le terrain de la guerre, ses invectives contre l’armée ?

C’est un personnage qui n’est rien sans Poutine. Quand la guerre a commencé, Prigojine a proposé de recruter des gens en prison pour alimenter les rangs de Wagner en Ukraine. Cette milice privée est très utile à Poutine. Contrairement à Ramzan Kadyrov, Prigojine n’a aucun titre. Mais à présent, il veut faire partie de l’élite.

A mon sens, il n’a pas beaucoup d’influence sur les décisions de Poutine. Mais il est très populaire dans des cercles militaristes, où il est en concurrence avec Dmitri Medvedev, Ramzan Kadyrov ou Viatcheslav Volodine, le président de la chambre basse du Parlement, dans la surenchère va-t-en guerre.

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