Espionnage au PSG : un juge d'instruction enquête sur des faits d'enlèvement" et de séquestration avec torture

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Espionnage au PSG : un juge d'instruction enquête sur des faits d'enlèvement" et de séquestration avec torture

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Le tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy, le 3 septembre 2020.
Le tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy, le 3 septembre 2020.
© Radio France - Marie Martirossian

Une information judiciaire a été ouverte le 23 janvier dernier sur la "séquestration" présumée de Tayeb Benabderrahmane, lobbyiste franco-algérien arrêté au Qatar en 2020 puis relâché. En cause, sa possession d'un téléphone appartenant au président du PSG.

C'est un nouveau volet d'une affaire gigogne. Selon les informations de France Inter, une information judiciaire a été ouverte le 23 janvier dernier sur la "séquestration" présumée de Tayeb Benabderrahmane, un lobbyiste franco-algérien. Il avait été arrêté au Qatar le 13 janvier 2020 et n’avait pu quitter le pays que six mois plus tard, après une transaction secrète avec les avocats du président du club de football du Paris Saint-Germain.

Le journal le Monde a révélé le 1er février 2023 que la procureure de Paris estimait qu'il y avait bien matière à "informer" et donc ouvrir une enquête à la suite d'une double plainte avec constitution de partie civile déposée en août 2022 par les avocats de M. Benabderrahmane. D'après nos informations, c'est donc le juge d'instruction Serge Tournaire qui a été désigné le 23 janvier 2023 lors de l'ouverture de cette information judiciaire. Le magistrat est connu pour avoir instruit l’affaire Bygmalion, l’affaire de l'arbitrage sur le dossier du Crédit lyonnais ou encore l'affaire Fillon.

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Plusieurs procédures judiciaires ouvertes en lien avec le Paris-Saint-Germain, son président et ses actionnaires Qatari

Le parquet de Paris et le parquet national financier ne cessent d'ouvrir des tiroirs judiciaires en lien avec le club du PSG, son président et ses actionnaires Qatari. Le plus connu et le plus sensible de ces dossiers est déjà entre les mains du juge Tournaire, qui enquête sur des soupçons de corruption autour de l'attribution de la dernière coupe du Monde de football au Qatar.

Tayeb Benabderrahmane avait porté plainte l'été dernier pour son arrestation jugée arbitraire et illégale au Qatar, son séjour forcé ayant duré au final six mois. Selon lui, la cause en serait sa détention de documents confidentiels en lien avec l’affaire d'attribution des droits de la coupe du monde 2022. Il aurait notamment eu en sa possession un téléphone appartenant au président du club de football du PSG, Nasser Al-Khelaïfi. Ce téléphone, il l’avait caché en Algérie avec des documents, et sa femme a dû aller les récupérer afin de les échanger lors d'une transaction entre ses avocats et ceux du patron du club parisien.

C’est grâce à cette remise que le couple a enfin pu quitter le Qatar. Parmi les documents remis lors de cette transaction, figurerait une série de sextapes enregistrée selon ses défenseurs à l'insu de Nasser Al-Khelaïfi et d'une jeune femme. Cette transaction a depuis été remise en cause et c'est la justice qui devra maintenant trancher ce litige. Les avocats de "NAK", le surnom du président du PSG, dénoncent pour leur part un chantage crapuleux et inacceptable.

M. Benabderrahmane se trouve être déjà mis en examen - dans un autre volet avec deux anciens policiers de la DGSI - pour vol, détournement de la finalité d’un traitement de données à caractère personnel, trafic d’influence, compromission du secret de la défense nationale, violation du secret professionnel, atteinte à l’intimité de la vie privée et aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée. Ce volet concerne en partie l’origine des documents et du téléphone de la transaction, car ils auraient été récupérés illégalement, notamment dans des fichiers de police.

Menaces de mort et simulacres de tabassage

Comme l'ont raconté nos confrères de Libération, Tayeb Benabderrahmane dénonce une arrestation arbitraire à Doha, une perquisition brutale, avec une cagoule noire placée sur son visage lors de son transfert vers une pièce sans fenêtre de deux mètres carrés, sans sanitaire, avec lumière allumée sans arrêt et privation de sommeil. Il raconte qu’on lui a imposé de rester debout, immobile durant des heures, sans aucune question posée. Il évoque des menaces de mort et des simulacres de tabassage quand ses réponses aux questions n'étaient pas jugées satisfaisantes. Le tout sans la présence d'un avocat et avec l'interdiction de prévenir l'ambassade de France. Lors de sa garde à vue, Tayeb B. a déclaré que "Nasser Al-Khelaïfi est le commanditaire de [sa] séquestration".

Avant cet épisode qatari, ce lobbyiste professionnel fréquentait assidûment le Parc des princes à Paris, où il bénéficiait régulièrement de places dans le carré VIP. Réputé pour son entregent, l'homme d'affaires avait des ramifications en Afrique (Congo, Lybie etc.). Il avait rejoint le Qatar pour le compte du Comité national des droits de l’homme, dirigé alors par Ali Al-Marri, devenu depuis ministre du Travail de l’émirat.

Tayeb Benabderrahmane avait, selon la synthèse d'une enquête conjointe de la DGSI et de l'IGPN que France Inter a pu consulter, récupéré l'un des téléphones de Nasser Al-Khelaïfi par l’intermédiaire du "majordome" du patron du PSG, Hicham Karmoussi, de nationalité marocaine, ancien très bon joueur de tennis.

Victime ou maître chanteur ?

Les juges - dont Serge Tournaire - en charge de ces différents dossiers vont donc devoir établir si Tayeb Benabderrahmane est une victime dans cette histoire, un homme qui a voulu dénoncer en interne les dérives d’un président de club de football tout-puissant… Ou s’il est un maître chanteur voulant gravir les échelons au sein du club du PSG, par appât du gain, et jouant les apprentis barbouzes en cherchant à déstabiliser une branche de la famille royale Qatari en s'en prenant à Nasser Al-Khelaifi ? Ou bien tout cela en même temps ?

Il en sera de même pour le majordome Hicham Karmoussi, entendu durant plus de sept heures en janvier dernier par les policiers de l'Office Central de Lutte contre les Infractions Financières et Fiscales dans le cadre du dossier sur l'attribution de la coupe du monde 2022. Il affirme avoir été trop longtemps "le larbin" du patron du PSG, mal traité, mal payé, longtemps non déclaré alors qu'il résidait régulièrement en France, il affirme que son patron lui avait ordonné de mettre son téléphone en sûreté au Maroc alors qu'il était sous le coup d'une enquête en Suisse. Selon nos informations, Hicham Karmoussi devrait être à nouveau entendu prochainement, cette fois en tant que suspect à l'origine d'un possible chantage crapuleux à la sextape.

L’existence d’une copie du contenu du téléphone de Nasser El-Khelaifi

Dans les méandres de cette affaire hors normes, et en dépit de la transaction secrète signée puis dénoncée par Tayeb Benabderrahmane, les enquêteurs ont retrouvé une copie quasi-intégrale des données du téléphone du président du PSG, lors d'une perquisition au domicile de son ami Malik Nait-Liman. Cet ancien enquêteur de l'antiterrorisme au sein de l'ex Direction Centrale des Renseignements Généraux (puis de la DCRI et enfin de la DGSI) a rejoint en 2015 le club du PSG en tant que chargé des relations avec les associations de supporters. Malik Nait-Liman laisse aujourd'hui lui aussi entendre que dans les données du téléphone figurerait des échanges compromettants entre "NAK", l’émir du Qatar et Jérôme Valcke, l’ancien secrétaire général de la FIFA, au sujet de l’organisation du Mondial 2022 au Qatar et d’un contrat attribué à la chaîne BeIN.

A ce stade, Nasser Al-Khelaïfi n'a pas été entendu par la justice.

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