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Lorsque les touristes manquent de pain et de pâtes, que reste-t-il aux Cubains?

Si le bleu de la mer demeure au rendez-vous, les buffets des tout-inclus, eux, se dégarnissent, dévoilant comme un jeu de miroirs les difficultés d'approvisionnement que vivent les Cubains.

Des gens sont attablés sous un parasol. En arrière-plan, la mer bleu azur.

Des touristes profitent d'une journée à la plage.

Photo : Reuters / Desmond Boylan

C'est dans l'un des hôtels de Cayo Coco, petite île au large du centre de Cuba, qu'a séjourné en janvier dernier Paul Masse, un résident de Granby au Québec.

Malgré la beauté du lieu, reconnu pour ses plages de sable blanc, et la gentillesse du personnel, il garde un bien mauvais souvenir de ce voyage.

Ils sont tellement chaleureux à Cuba, ça n'a même pas de sens, mais c’est là que ça s’arrête : la beauté! Après ça, il n'y a plus rien! dit l'homme qui n'en est pourtant pas à son premier voyage sur l'île.

À deux occasions, on nous a refusé l'entrée à la cafétéria [buffet], parce que la moitié de la salle à manger était fermée. Il n’y avait pas assez de nourriture et il manquait de personnel.

Une citation de Paul Masse, touriste

En plus des désagréments entourant la nourriture, s'est ajouté le piètre état de l'hôtel et de ses installations. Tout tombe en ruine : le ciment est cassé, c'est rouillé et la plomberie est archaïque. On a manqué d'eau! raconte-t-il. Pour couronner le tout, lui et sa femme ont attendu six heures dans l'aéroport, non climatisé, parce que l'avion qui devait les ramener au pays a dû faire un détour pour trouver de l'essence.

Des buffets dégarnis

Joints directement à leur hôtel de Cayo Coco pendant leur séjour, Alain et Manon ont un séjour nettement plus agréable. L'hôtel cinq étoiles dans lequel ils séjournent vient d'être construit et, côté confort et entretien, le couple n'a que de bons mots à dire.

Par contre, le buffet, lui, est moins garni que lors de leurs précédents voyages à Cuba.

C’est sûr qu’on ne vient pas à Cuba pour la nourriture, mais cette fois-ci, il y a des carences, c’est évident!

Une citation de Alain, touriste

On n'a pas eu de fromage pendant plusieurs jours. D'autres touristes nous ont dit qu'ils avaient manqué de pain avant notre arrivée. Il y a eu des frites; maintenant il n'y en a plus. Il ne manque pas toujours les mêmes choses. On n'a pas à se plaindre, conviennent-ils, mais c’est assez redondant. Il n'y a pas beaucoup de variétés.

Anne-France Lambert est conseillère voyage chez Simon Pelletier.

Anne-France Lambert est conseillère voyage chez Simon Pelletier.

Photo : Gracieuseté

La conseillère de chez Voyages Simon Pelletier, Anne-France Lambert, n’est pas surprise par ce genre de commentaires.

Il y a des clients qui reviennent et qui nous en font part. On parle surtout des produits à base de farine comme les pâtes et le pain. On parle aussi de boissons gazeuses, mais ce n’est pas tous les jours, explique-t-elle. C’est environ deux ou trois jours sur une semaine de vacances.

Elle prévient d'ailleurs ses clients d’avance afin qu'ils puissent faire un choix éclairé.

La plupart veulent y retourner quand je leur explique la situation, parce qu'ils veulent profiter de la plage et des bons prix pour une semaine, et ça ne les dérange pas trop la nourriture, dit-elle. Mais d'autres ne veulent plus y aller, alors je les réoriente vers le Mexique ou la République dominicaine.

Écoutez le reportage radio de Karine Mateu diffusé à l'émission L'heure du monde sur ICI Première.

Que reste-t-il pour le peuple cubain?

Dans le centre-ville de Montréal, la musique cubaine résonne dans le studio de danse de Tito Cardenas Rodriguez. Pour ce Cubain, arrivé au Canada il y a un peu plus de 10 ans, s'il manque de pain et de pâtes pour les touristes, les pénuries touchent avant tout les Cubains, dont sa mère.

Car dans les magasins de l’État, où l'on trouvait auparavant des produits de base vendus à bas prix, il n'y a aujourd'hui presque plus rien.

Ma mère doit acheter des œufs sur la rue à des gens qui en vendent sur le marché noir ou aller dans les magasins de devises, où on peut acheter en dollars ou en euros, mais les produits y sont beaucoup plus chers, explique-t-il.

Et qui peut payer en devise? fait-il remarquer. Si ma mère peut, c'est parce que je lui envoie 100 $ ou 200 $. Les Cubains à l'extérieur du pays envoient beaucoup d'argent à leur famille, mais on est considéré comme des traîtres parce qu'on a quitté le pays. Moi, je suis pourtant sorti légalement!

Tito Cardenas Rodriguez, originaire du Cuba, est professeur de danse cubaine à Montréal. On le voit dans son studio de danse.

Tito Cardenas Rodriguez, originaire du Cuba, est professeur de danse cubaine à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Celui qui a été, par le passé, un dirigeant des jeunesses communistes, et même cadre du parti, n'est pas tendre envers le régime en place. Le tourisme, ça améliore la vie des dirigeants, mais pas la vie du peuple, déplore-t-il. Alors qu'il y ait plus de touristes ou pas, quel impact cela a sur la situation de ma mère? Elle manquait de nourriture il y a 10 ans, et elle en manque toujours!

Je comprends les Québécois de vouloir des vacances, ils travaillent beaucoup et ils méritent aussi leur place au soleil. Mais chaque touriste sait-il qu'il soutient la dictature? Une dictature qui viole constamment les droits de sa population?

Une citation de Tito Cardenas Rodriguez

Pire encore, je ne peux même plus retourner à Cuba, s'insurge-t-il. Le régime vient d'adopter une loi qui rend passible d'emprisonnement toute personne qui a manifesté ou écrit contre le régime sur les réseaux sociaux. Je ne peux pas courir le risque.

Ce qui me choque, poursuit-il, c'est que le gouvernement canadien n'ose jamais parler de dictature en parlant de Cuba; même les médias n'osent pas la critiquer.

Les rues de La Havane.

Les rues de La Havane.

Photo : Reuters / ALEXANDRE MENEGHINI

Un manque de touristes qui affame l'économie

Cuba est une île. Le pays importe donc une grande partie de ce qu'il consomme, rappelle d'entrée de jeu Violaine Jolivet, professeure de géographie à l’Université de Montréal, qui s’intéresse à la situation dans ce pays depuis une vingtaine d’années.

Or, on est aujourd'hui dans un moment de très forte crise économique liée à une inflation assez délirante, notamment sur les produits de première nécessité, explique-t-elle. Et l'arrivée de la pandémie a exacerbé cette situation, parce que les relations internationales ont été mises sur pause et que le tourisme, qui représente une grosse rentrée d'argent pour le gouvernement cubain et pour une partie de sa population, a fortement diminué.

En effet, le tourisme international est la deuxième source de revenus de Cuba, derrière les services médicaux. Il permet l'entrée de devises nécessaires à l'achat de produits importés, mais le tourisme peine à se relever de la pandémie.

Cuba a eu 4,6 millions de touristes internationaux en 2017. L'île n'a récupéré depuis que 40 % des touristes. Ils n'étaient que 1,7 million en 2022, moins que ce qu'espérait le gouvernement cubain.

Une citation de La professeure Violaine Jolivet
La professeure agrégée au Département de géographie de l'Université de Montréal et experte de Cuba, Violaine Jolivet.

La professeure agrégée au Département de géographie de l'Université de Montréal et experte de Cuba, Violaine Jolivet.

Photo : Radio-Canada / Karine Mateu

Et le Canada est un joueur important dans cette équation, puisqu'il est le premier pourvoyeur de touristes à Cuba, rappelle la professeure Jolivet. Ça s'explique par une proximité géographique et des liens historiques entre les deux pays. Cela représente environ 30 %.

À la chute du tourisme s'ajoute l'embargo américain. Allégé sous Barack Obama, il a été durci sous Donald Trump, son successeur républicain. Une des premières choses qu'il a faites est de durcir les termes de l'embargo et notamment sur la question des devises en réduisant les transferts des migrants vers leurs familles restées dans l'île.

L’administration Biden a cependant annoncé en mai dernier la levée d'une série de restrictions envers Cuba, notamment sur les procédures d’immigration, les transferts d’argent et les liaisons aériennes.

Par ailleurs, l'inflation a aussi été propulsée par l'unification des deux monnaies, le peso cubain et le peso convertible, destiné aux touristes, en janvier 2021.

Par exemple, les petits pains sont passés de 10 à 30 pesos, et c'est comme ça avec plusieurs produits de première nécessité, explique Violaine Jolivet. Le gouvernement cubain, conscient des difficultés d'approvisionner des ménages cubains, a d'ailleurs prolongé jusqu'en juin 2023 la levée de certaines restrictions douanières pour l'import entre particuliers. Des membres de la famille ou des amis, ce qu'on appelle des mules, peuvent donc faire entrer des aliments.

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