Just Fontaine n'aura pas seulement été un buteur d'exception, le recordman des buts inscrits lors d'une Coupe du monde (13), en 1958 ; il restera à jamais un ami, un frère, un membre de la famille pour des millions de Français qui l'ont découvert à une époque où les belles histoires se racontaient encore en noir et blanc. À une époque où les écrans de télévision projetaient d'une manière hasardeuse quelques images venues d'ailleurs. De Suède notamment, et de cette Coupe du monde héroïque qui a eu un impact culturel énorme sur le pays. L'aventure scandinave de la bande à Raymond Kopa et Just Fontaine est restée dans les mémoires. Un homme en particulier en symbolisa la réussite.
Emmenés par Fontaine, irrésistible et parfois démoniaque, les Bleus ont réussi à se hisser jusqu'en demi-finales, chutant seulement face au Brésil d'un gamin de 17 ans qui allait par la suite tout renverser sur son passage : Pelé (5-2). Quand on lui demandait, plus tard, de résumer en peu de mots sa Coupe du monde, Fontaine, toujours aussi malicieux, glissait quelques chiffres : « Dix-huit tirs, 13 buts, 1 poteau, 1 transversale. Mon prénom, c'est Just, ne l'oubliez pas... » Treize buts en 6 matches. Un exploit qui en fait le meilleur buteur sur une Coupe du Monde, sans doute pour l'éternité. Ce record, il l'emmenait partout. C'était sa Légion d'honneur à lui. Toute sa vie en a été impactée.
![Raymond Kopa (à gauche) et Just Fontaine en Suède, lors de la Coupe du monde 1958, où ils porteront l'équipe de France jusqu'en demi-finales. (L'Équipe)](https://www.lequipe.fr/_medias/img-photo-jpg/raymond-kopa-a-gauche-et-just-fontaine-en-suede-lors-de-la-coupe-du-monde-1958-ou-ils-porteront-l-eq/1500000001755265/0:0,1998:1406-828-583-75/b7c38.jpg)
« Ils me donnaient de l'argent pour que je joue au foot, les cons ! »
Just Fontaine, sur son recrutement par l'OGC Nice en 1953
Drôle de trajectoire pour cet enfant né à Marrakech (Maroc) le 18 août 1933, au temps du protectorat français, d'un père français et d'une mère espagnole. De l'autre côté de la Méditerranée, « Justo » courait très jeune derrière un ballon sans se préoccuper du lendemain. Ce qui ne plaisait pas particulièrement au paternel, fonctionnaire à la Régie des tabacs.
« Son rêve, c'était que je passe le bac, racontait Fontaine. Mais ce bac, je l'ai eu à Casablanca, après m'être fait virer du lycée de Marrakech. À Casa, je suis aussi devenu champion du Maroc cadets de foot et juniors de basket. Le sélectionneur venait de me trouver un poste de prof de gym quand l'OGC Nice est venu me recruter (en 1953). Ils me donnaient de l'argent pour que je joue au foot, les cons ! 80 000 anciens francs par mois (environ 1 800 € en tenant compte de l'inflation), plus les primes, 20 000 francs pour une victoire (450 €). Avec le bonus reçu à la signature, c'était beaucoup, et payé en liquide. Mon père était là, en train de compter les billets... »
Après un titre de champion du Maroc avec l'USM de Casablanca en 1952, Fontaine a tenté la grande aventure. Celle qui menait à Nice, de 1953 à 1956 (83 matches, 52 buts), puis au Stade de Reims durant six saisons, dont l'une d'elles passée à soigner une grave blessure à la jambe.
Une machine à buts
Le Stade de Reims, l'équipe de la décennie et cette fameuse année 1958. Son apothéose. Une année bénie pour Fontaine. Toujours partant pour un bon mot ou une formule dont il avait le secret, ce pied-noir volubile avait bien évidemment son idée sur la question. « Cette année-là, j'ai marqué 34 buts en 26 matches de Championnat, 10 buts en Coupe, on a fait le doublé, 13 buts en Coupe du monde et j'ai commencé à marquer des buts en Coupe des champions, dont j'ai fini meilleur buteur avec 10 buts. Alors bon, what else (quoi d'autre) ? », s'amusait-il.
Car Justo n'était pas seulement l'homme d'une seule compétition, un buteur suédois en goguette. L'enfant de Marrakech s'est imposé tout au long de sa courte carrière comme une machine à buts. Il en a ainsi inscrit 164 en 200 matches de Première Division et a terminé à deux reprises meilleur buteur du Championnat, en 1958 et en1960. Puis deux fois deuxième, en 1957 et 1959.
Son palmarès ferait envie à 90 % des footballeurs actuels. Après avoir remporté le Championnat du Maroc en 1952, il a soulevé la Coupe de France avec l'OGC Nice deux ans plus tard. Et remporté un nouveau titre de champion, cette fois avec les Aiglons, en 1956. C'est avec le Stade de Reims qu'il a écrit les plus belles pages de son journal intime. En Champagne, il a remporté trois Championnats de France (1958, 1960, 1962), une Coupe de France (1958) et deux Trophées des champions (1958, 1960). En 1959, Fontaine s'est même hissé, avec son équipe, en finale de la Coupe des clubs champions, perdue face au Real Madrid (0-2), terminant donc meilleur buteur de la compétition.
Il était parti pour affoler tous les compteurs et se forger une légende encore plus éternelle lorsqu'il a dû mettre fin prématurément à sa carrière, à cause d'une blessure : une double fracture de la jambe le 20 mars 1960 contre Sochaux (1-2) à la suite d'un tacle appuyé de l'ailier ivoirien Sékou Touré. « J'avais pourtant rejoué en équipe de France, à Colombes, en éliminatoires de la Coupe du monde contre la Bulgarie fin 1960. On avait gagné 3-0. J'avais tiré sur la barre. Puis ma jambe céda à nouveau, à Limoges. J'ai repris une nouvelle fois, je me suis fait opérer de la cheville gauche. En 1962, Reims est parti en tournée aux Antilles et en Amérique du Sud. C'est de Mexico que j'ai annoncé ma décision d'arrêter le football. Avec la prime d'assurance, j'ai pu m'acheter un magasin de sports à Toulouse. »
Une fin de carrière prématurée
Fidèle à cette image d'homme bienveillant qui lui a collé à la peau tout au long de son existence, le Toulousain d'adoption a fait preuve de compassion à l'endroit de son « bourreau ». « J'avais 26 ans et demi quand Touré m'a cassé le tibia et le péroné. Après, il est venu me voir, à l'hôpital, chez moi... Il a posé sa tête entre mes bras et il a fallu... que je lui remonte le moral ! Il est par la suite devenu le parrain de mon fils. »
![Opéré d'une fracture de la jambe gauche en 1960, il se rend tout de même au Tournoi de Paris, remporté par le Santos de Pelé. (L'Équipe)](https://www.lequipe.fr/_medias/img-photo-jpg/opere-d-une-fracture-de-la-jambe-gauche-en-1960-il-se-rend-tout-de-meme-au-tournoi-de-paris-remporte/1500000001755266/0:0,1998:1971-828-820-75/5ea9e.jpg)
À Toulouse, le retraité des terrains s'est installé dans le quartier des Chalets. Au numéro 13. Un chiffre porte-bonheur pour un homme qui n'était pourtant pas vraiment superstitieux. C'est de retour d'un voyage au Maroc qu'il était tombé sous le charme de la Ville rose, séduit par l'esprit méditerranéen qui régnait sur les boulevards et la convivialité des Toulousains.
Les portes de sa maison, il les a ouvertes au monde entier, ne refusant jamais une interview - surtout à l'approche des Coupes du monde -, un hommage, un Soulier d'Or et parfois même une médaille. Fontaine régnait en maître sur ses souvenirs et sur les photos qui s'accumulaient dans toutes les pièces de la maison. Mais, avant de se perdre dans les dates et les anecdotes, toutes plus savoureuses les unes que les autres, Justo avait entamé une nouvelle vie.
« Les joueurs étaient contents, mais les dirigeants me considéraient comme un ennemi »
Just Fontaine à propos de sa courte expérience de sélectionneur des bleus
En 1967, cinq ans après être sorti major du stage national des entraîneurs, il avait été choisi pour entraîner les Bleus. Une expérience qui lui avait laissé un goût amer : « C'est Jean-Baptiste Doumeng, du comité de l'équipe de France, qui m'a recommandé pour prendre la suite du duo Arribas-Snella et reconstruire la sélection. À l'oeil. Je n'étais pas payé. Les joueurs étaient contents, mais les dirigeants me considéraient comme un ennemi, car j'étais le président de l'UNFP, ils se méfiaient de moi et de mes idées. »
Les dirigeants l'appelaient « saint Just » et il avait même été traité de « communiste ». Dans ces conditions, la relation d'amour avec les Bleus ne pouvait pas durer. « Lors de mon deuxième match sur le banc, on joue l'URSS, championne d'Europe, au Parc des Princes. À la mi-temps, on mène 2 à 1, fallait voir la tronche des dirigeants... Ils n'étaient pas contents que la France gagne. Parce que si on gagnait, je restais. Finalement, on a perdu 4-2, et c'était fini. »
Il a ensuite pris la direction de la capitale en 1973, après une étape à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), et s'est attaqué au dossier du tout jeune Paris-SG (créé en 1970). « Je peux me vanter d'être le seul à avoir fait monter le PSG en Première Division parce que depuis, ils ne sont pas redescendus ! Après la montée, j'avais un contrat de trois ans, j'ai été licencié après deux saisons. Ils ont mis un terme à mon contrat parce que je jouais aux cartes avec mes joueurs... » Fontaine a ensuite entraîné le Toulouse FC, avant de terminer sa carrière là où tout avait commencé, en devenant sélectionneur du Maroc, de 1979 à 1981.
![Just Fontaine lors d'un PSG-Nancy au Parc des Princes, le 10 mars 1974. (L'Equipe)](https://www.lequipe.fr/_medias/img-photo-jpg/just-fontaine-lors-d-un-psg-nancy-au-parc-des-princes-le-10-mars-1974-l-equipe/1500000001755267/0:0,1998:1317-828-545-75/1e1f8.jpg)
La boucle était bouclée. Dès lors, dans sa maison musée du quartier des Chalets, Just Fontaine est devenu un observateur avisé et privilégié de ce milieu qui lui avait tant donné. « Ça m'arrive de passer des journées entières à regarder du foot à la télé. Les Championnats étrangers, la CAN, les féminines. Je regarde tout, tout, tout. J'ai une belle télé. J'ai même pris des chaînes payantes. J'ai beIN Sports, je lis France Football, j'achète L'Équipe tous les jours. » Une passion dévorante et une répartie jamais en mal d'inspiration.
À un observateur venu lui demander s'il avait quelque chose à dire sur ce record de 13 buts qu'il qualifiait lui-même de « gag », Fontaine avait répondu, avec ce regard plein de malice : « J'espère faire mieux la prochaine fois. »
L'homme était capable de tout. Il avait même poussé la chansonnette en première partie de Dalida, au début des années 1960 : « Elle s'était fait siffler ; moi j'avais été applaudi. Le Tour de France m'avait même proposé 300 000 francs par jour pour chanter avec la caravane. On m'appelait la Callas. » Aujourd'hui, ce n'est pas la Callas, mais Just Fontaine qui s'est tu.