De l’Europe à l’Afrique et à l’Asie : le périple des déchets textiles

Pour chaque habitant de l’UE, la consommation de textile représente environ 1,3 tonne de matières premières et 104 mètres cubes d’eau par an. Et la grande majorité de ces ressources sont consommées en dehors de l’UE. [SHUTTERSTOCK/smirart]

Les pays européens ont du mal à gérer les quantités toujours plus importantes de textiles et de vêtements usagés de leurs citoyens, et la plupart de ces déchets textiles finissent par être exportés vers l’Afrique et l’Asie, selon l’Agence européenne pour l’environnement (AEE).

L’AEE estime que le textile constitue la quatrième catégorie de consommation ayant l’impact le plus important sur l’environnement et le changement climatique après l’alimentation, le logement et le transport.

Pour chaque habitant de l’UE, la consommation de textile représente environ 1,3 tonne de matières premières et 104 mètres cubes d’eau par an. Et la grande majorité de ces ressources sont consommées en dehors de l’UE : 85 % pour les matières premières et 92 % pour l’eau.

Cependant, la pression environnementale du textile ne s’exerce pas seulement en amont, dans le processus de production, mais également à la fin de la chaîne de valeur, lorsque les textiles sont jetés.

Comme les capacités de réutilisation et de recyclage sont limitées en Europe, une grande partie des textiles usagés sont exportés vers l’Afrique et l’Asie, où leur sort est « très incertain, car les preuves [de recyclage] sont limitées et surtout anecdotiques », indique l’AEE.

La quantité de textiles usagés exportés par l’UE a triplé au cours des deux dernières décennies — passant de 550 000 tonnes en 2000 à près de 1,7 million de tonnes en 2019, selon le rapport.

En 2019, 46 % des textiles usagés ont fini en Afrique. Ces produits importés par les pays africains sont principalement destinés à une réutilisation locale, et le reste finit dans des décharges à ciel ouvert et des filières informelles de déchets, selon le rapport.

Exportations de textiles usagés de l’UE vers d’autres régions en 2000, 2010 et 2019, en %

Exportations de textiles usagés de l’UE vers d’autres régions en 2000, 2010 et 2019, en %. Note : Les groupements de pays sont basés sur ceux de l’Office statistique des Nations unies (UNSTAT, 2022). Source : (UN Comtrade, 2022b).

« J’ai récemment eu une discussion avec un collègue du Kenya, il m’a dit que 90 % de leur marché de l’habillement est en fait constitué de nos vêtements », a déclaré le directeur de l’AEE, Hans Bruyninckx, lundi (27 février) lors de la Conférence des parties prenantes sur l’économie circulaire à Bruxelles.

L’Asie est une autre destination courante pour nos déchets textiles. En effet, selon l’AEE, en 2019, 41 % des textiles usagés y ont été exportés.

Cependant, la plupart des textiles usagés envoyés en Asie sont importés dans des zones spéciales où ils sont triés et traités, pour être finalement réexportés vers d’autres pays asiatiques ou africains.

« Lorsque nous mettons en place ces marchés, ou que nous essayons de les perturber, ou de les gouverner, nous devons également réfléchir à ce qui se passe de l’autre côté, du côté de la réception. Et cela ouvre toute une série de discussions très intéressantes sur l’équité », a expliqué M. Bruyninckx.

Une vue d’ensemble assez floue

Un meilleur suivi des textiles usagés pourrait aider à mieux gérer la situation et à résoudre le problème, car pour l’instant, il existerait selon le rapport une grande incertitude quant aux types de textiles exportés ainsi qu’à leur qualité.

On observe un manque de données cohérentes sur les quantités de textiles usagés et de déchets textiles et sur le sort qui leur est réservé en Europe, car les différents États les collectent et les classent de manière différente, ce qui pose problème en termes de transparence et de traçabilité.

« Il y a très peu de visibilité sur ce qui se passe le long des chaînes de valeur », a déclaré Maria Teresa Pisani, chargée des affaires économiques à la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU).

« Environ 70 % des acheteurs et des agents d’approvisionnement des entreprises n’ont de visibilité que jusqu’au niveau 1, c’est-à-dire uniquement ce qui se passe chez leurs fournisseurs immédiats », a-t-elle expliqué. « Plus on remonte la chaîne de valeur, plus les impacts sur les droits de l’homme, la société et l’environnement sont élevés », a-t-elle ajouté.

Selon Mme Pisani, cela tend à éroder la confiance des consommateurs dans le secteur du textile et de la mode. « Il n’y a pas de confiance parce qu’il est très difficile de comprendre clairement comment ces produits sont fabriqués », a-t-elle déclaré.

Il est toutefois possible de remédier à cette situation, a-t-elle poursuivi, affirmant que des « règles claires » allant « au-delà de l’UE et d’autres économies avancées » pourraient permettre d’assurer la cohérence et l’harmonisation des politiques dans le secteur du textile.

Promouvoir un modèle économique circulaire

Selon certaines estimations, l’industrie de la mode serait responsable de 10 % des émissions globales de carbone.

En ce qui concerne les microplastiques, on estime que le lavage des matières synthétiques relâche chaque année 0,5 million de tonnes de microfibres dans les océans. En effet, une seule lessive de vêtements en polyester peut rejeter jusqu’à 700 000 fibres microplastiques.

Veronika Hunt Safrankova, cheffe du bureau de Bruxelles du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), qui s’est également exprimée lors de la conférence à Bruxelles estime que « moins de 1 % des matériaux utilisés pour produire des vêtements sont recyclés en de nouveaux vêtements. Je suis sûre que nous pouvons faire mieux que cela ».

Selon elle, un modèle circulaire amélioré pourrait constituer une solution tant d’un point de vue environnemental qu’économique.

« Si nous doublons l’utilisation moyenne des vêtements existants, cela pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 44 %. Il y a donc un énorme potentiel de contribution à la lutte contre le changement climatique », a-t-elle déclaré.

« Cela représente également un potentiel d’un point de vue économique : plusieurs modèles commerciaux ont le potentiel de passer de 3,5 % du marché mondial de la mode, comme c’est le cas aujourd’hui, à 23 % d’ici 2030 », a ajouté Mme Safrankova.

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[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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