Pourquoi les femmes émettent moins de CO2 que les hommes
Selon une revue d'études inédite consultée, le genre est une variable cruciale dans la lutte contre le dérèglement climatique. Les femmes sont moins consommatrices de viande et de carburant et plus sensibles aux pratiques écolos.
- Publié le 07-03-2023 à 14h53

Et si le genre était une variable clé pour lutter contre le réchauffement ? Depuis une dizaine d'années et en particulier depuis les années 2020, les études se penchant sur les liens entre consommation genrée et émission de gaz à effet de serre se multiplient. Que ce soit au niveau du régime alimentaire, des loisirs ou encore du mode de transport, les femmes génèrent généralement moins de gaz à effet de serre que les hommes. En France, par exemple, sur les 2,2 % de la population déclarant adopter un régime végétarien, 67 % sont des femmes, d'après un sondage Ifop publié en 2021.
Les politiques publiques nationales ont tout intérêt à se pencher sur le sujet, selon l'économiste Oriane Wegner, spécialiste du climat à la Banque de France. Dans un billet de blog à paraître le 8 mars sur le site de l'institution, et dont Libération a eu connaissance en avant-première, l'experte a réalisé une synthèse des études portant sur les disparités de genre dans les comportements individuels et professionnels à l'origine d'émissions de gaz à effet de serre.
"Allier genre et climat peut paraître surprenant à première vue parce qu'on a en tête que le climat est un phénomène universel, explique à Libé Oriane Wegner. Mais le changement climatique est dû en bonne partie à des émissions de gaz à effet de serre anthropiques, c'est-à-dire d'origine humaine. Et l'on observe par exemple qu'adopter une alimentation moins carnée est l'un des moyens de lutter contre le changement climatique, et que les personnes végétariennes sont essentiellement des femmes." Un travail de sensibilisation spécifique des hommes serait donc à faire, notamment sur la représentation "virile" associée à la viande.
Dans la sphère privée comme professionnelle
Outre l'alimentation, où les stéréotypes de genre ont encore la part belle, la consommation personnelle de biens et de services fluctue énormément en fonction du genre. D'après une étude suédoise publiée en 2021, les hommes dépensent à peine plus d'argent que les femmes, soit 2 %, mais émettent 16 % de plus de gaz à effet de serre. À niveau de dépenses égales, les hommes célibataires dépensent davantage leur argent pour des biens et services à forte intensité de gaz à effet de serre, comme l'achat de carburants pour les voitures ou les vacances, tandis que les femmes célibataires ont une empreinte environnementale plus faible et consacrent plutôt leur argent aux soins de santé, l'ameublement ou encore aux vêtements.
On ne peut toutefois pas réduire les hommes et les femmes à des groupes homogènes dans les pays du Nord, nuance la chercheuse. Les comparaisons sont pertinentes lorsque les niveaux de revenus sont similaires. L'âge et le lieu de vie étant également à prendre en considération.
Autre point saillant de cette synthèse : les différences de comportement en fonction du genre ne s'arrêtent pas à la sphère privée. "Dans les entreprises, les femmes sont plus promptes à être sensibles aux pratiques environnementales et aux enjeux liés à la responsabilité sociale des entreprises. Lorsqu'elles accèdent à des postes à responsabilité, ce qui est en proportion plus rare que pour les hommes, elles vont plus souvent mener l'entreprise vers des décisions favorables à l'environnement", souligne Oriane Wegner, précisant que c'est notamment le cas dans le secteur bancaire avec l'octroi de prêts à des entreprises moins polluantes.
Plus touchées par les catastrophes naturelles que les hommes
Pourtant, si les femmes génèrent en moyenne moins de gaz à effet de serre que les hommes, elles font partie, à l'échelle mondiale, des populations les plus touchées par les effets du dérèglement climatique, comme le démontre régulièrement l'ONU. Tout simplement parce que les inondations, sécheresse et autres catastrophes climatiques affectent en premier lieu les populations les plus pauvres qui dépendent davantage des ressources naturelles pour leur subsistance et disposent d'une moins grande capacité d'adaptation aux événements climatiques extrêmes selon le Giec.
"Plusieurs chiffres m'ont surprise en travaillant sur le sujet, abonde l'économiste. Lors du tsunami dans l'océan Indien en 2004, 70 % des victimes étaient des femmes pour plusieurs raisons, dont le fait qu'elles étaient plus nombreuses à être à la maison, avec leurs enfants, au moment de la catastrophe. Quant aux déplacés climatiques, environ 80 % sont des femmes. On l'observe en Asie du Sud, notamment au Pakistan et au Bangladesh, où les femmes sont plus nombreuses à habiter dans des zones agricoles pour travailler la terre. Or, les inondations à répétition ces dernières années ont rendu inhabitables les zones rurales."
Le problème se pose également dans certains pays d'Afrique subsaharienne, où les femmes dépendent davantage des ressources naturelles que les hommes en raison des rôles sociaux de genre. Ces dernières doivent fournir les produits nécessaires au bon fonctionnement du foyer comme l'eau ou le bois de chauffe. Ces denrées étant de plus en plus difficiles d'accès en raison du dérèglement climatique, les jeunes filles auront tendance à être déscolarisées plus tôt que les garçons pour aider leur mère, creusant ainsi le fossé des inégalités.