INTERVIEWJustine Garaudel fait le bilan du dispositif de « plainte hors les murs »

Violences conjugales : « Nous souhaitons aller encore plus vite », 6.000 policiers parisiens formés au recueil de plainte

INTERVIEWJustine Garaudel, la nouvelle conseillère justice de la préfecture de police de Paris dresse le bilan du dispositif lancé par Marlène Schiappa en 2021 de « plainte hors les murs » et explique la hausse des plaintes pour violences conjugales dan
La nouvelle conseillère Justice de la préfecture de police de Paris, lors d'une table ronde sur les violences conjugales.
La nouvelle conseillère Justice de la préfecture de police de Paris, lors d'une table ronde sur les violences conjugales. - Romain RHEAU  / PREFECTURE DE POLICE
Aude Lorriaux

Propos recueillis par Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Pour faciliter le dépôt de plainte par les femmes victimes de violences, Marlène Schiappa a lancé en 2021 une expérimentation de « plainte hors les murs », qui permet d’appeler une brigade de police qui se déplace pour recueillir la plainte dans n’importe quel lieu.
  • Ce dispositif n’a pour l’instant pas recueilli un grand succès, avec seulement 3 plaintes en 2022 pour le commissariat du 13e, 2 plaintes pour le commissariat du 14e et aucun appel pour Saint-Denis.
  • En revanche, les différentes maisons des femmes et les conventions conclues avec les hôpitaux et maternités portent leurs fruits, le tout participant à faciliter le dépôt de plaintes, qui ont augmenté de 12 % au second semestre 2022. En tout, 117 plaintes ont été déposées en 2022 grâce à ces différents dispositifs « hors les murs ».

Justice Garaudel est la nouvelle conseillère justice de la préfecture de police de Paris, depuis le 10 octobre 2022. Elle est aussi référente violences conjugales de l’institution et présente à 20 Minutes le bilan du dispositif de plainte « hors les murs » lancé en novembre 2021 par Marlène Schiappa. Ce mécanisme prévoyait une expérimentation dans les 13e et 14e arrondissements de Paris et à Saint-Denis permettant aux victimes de violences conjugales et sexuelles de solliciter le déplacement d’un policier spécialement formé dans le lieu de leur choix - par exemple, chez elles - pour prendre leur plainte.

Si cette expérimentation n’a pas rencontré son public, faute de communication sur le sujet ou de besoin des personnes concernées, la préfecture de police a lancé d’autres déclinaisons de ce dispositif, dans les hôpitaux notamment, qui sont très régulièrement sollicités. En tout, 117 plaintes ont été déposées en 2022 grâce à ces différents outils.


Le gouvernement a présenté en novembre 2021 le dispositif de « plainte hors les murs », censé faciliter le dépôt de plaintes car les victimes n’ont pas à se déplacer dans un commissariat. Quel est son bilan ?

Depuis le Grenelle des violences conjugales, les services de police ont amélioré les conditions d’accueil et de prise en charge des victimes ainsi que la formation des policiers. Ce dispositif est l’une des mesures ayant permis d’accompagner la libération de la parole. Nous avons développé des conventions avec des structures hospitalières, nous allons vers des victimes qui ne rentrent pas dans les commissariats de manière naturelle. Avec ce dispositif c’est possible 24h sur 24, 7 jours sur 7 : les médecins nous appellent et un fonctionnaire se déplace, en fonction des besoins. Dans l’agglomération parisienne nous avons de telles conventions avec l’hôpital Saint-Antoine, l’hôpital Tenon, l’hôpital Henri Mondor de Créteil, et nous avons également une convention avec toutes les maternités des Hauts-de-Seine depuis 2018. Les services de maternité sont très concernés car les premières violences arrivent souvent pendant la grossesse. A titre d’exemple l’hôpital Tenon nous a contactés à 10 reprises en 2022, Saint-Antoine 26 fois, le tout ayant conduit à la prise de 17 plaintes.

Est-ce qu’il y a d’autres lieux qui peuvent recueillir une plainte sans passer par le commissariat ?

Oui, les maisons des femmes. Ce sont des structures de soins pluridisciplinaires qui proposent un accompagnement global aux victimes de violences grâce à un partenariat entre hôpitaux, associations, collectivités, structures de police et justice. Cela se traduit par la présence d’un policier spécialement formé au traitement des violences conjugales, un jour par semaine toute la journée. Le dispositif a été élargi à trois autres structures hospitalières à Paris suite à un partenariat avec l’AP-HP : les maisons des femmes des hôpitaux de Bichat, de La Pitié Salpêtrière depuis 2021 et de l’Hôtel-Dieu depuis janvier 2022. J’ajoute que nous avons des permanences policières avec l’Hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-bois et l’hôpital intercommunal André Grégoire de Montreuil qui ne sont pas estampillées « maison des femmes » mais permettent de prendre les plaintes sur place.

Je précise qu’il reste évidemment possible qu’un équipage de police se déplace en cas d’urgence ou de la gravité particulière des faits dénoncés, ça s’est toujours fait. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de convention que les policiers ne se déplaceront jamais. On le fait régulièrement pour les personnes vulnérables ou âgées notamment qui ne peuvent venir à nous.

Mais la « plainte hors les murs », c’est surtout une expérimentation dans les 13e et 14e arrondissements, et à Saint-Denis, hors des structures que vous citez. Qu’en est-il ?

Oui dans certains arrondissements et à Saint-Denis il y a la possibilité d’un recueil hors les murs, c’est-à-dire dans un lieu choisi par la victime : son domicile, un cabinet d’avocat…. Peu de victimes ont, pour l’instant, eu recours à cette expérimentation. Dans le cadre de ce dispositif nous avons eu 3 plaintes en 2022 pour le commissariat du 13e et 2 plaintes pour le commissariat du 14e. Et aucun appel pour Saint-Denis. Mais parce qu’à Saint-Denis il y a déjà cette possibilité de déposer plainte dans une mairie annexe, un service social et la maison des initiatives et de la citoyenneté. Et pour Paris le maillage territorial permettant un dépôt de plainte « hors les murs » déjà important, cela explique que cette nouvelle possibilité offerte n’entraîne pas de saisines massives.

Est-ce qu’il y a des arrondissements qui ne bénéficient pas de ce dispositif ?

Oui, mais on a le dispositif ligne rouge : c’est une ligne téléphonique dédiée au personnel soignant de tous les établissements hospitaliers en lien avec la préfecture de police. Quand les professionnels de santé sont en présence d’une femme victime de violence conjugale qui souhaite parler, ils nous appellent et on va pouvoir orienter le professionnel de santé sur le dispositif le plus approprié. Cela peut être un déplacement de policier, ou donner des indications à la victime pour prendre rendez-vous avec un commissariat en ligne, ou encore l’orienter vers une maison des femmes… C’est un dispositif qui est peu connu et utilisé seulement sur Paris, mais qui a vocation à s’étendre sur toute la petite couronne.

Est-ce que les policiers qui prennent ces plaintes à l’AP-HP ou ailleurs sont tous formés spécialement ?

Oui, ce sont les policiers des brigades locales de protection de la famille qui sont principalement amenés à se déplacer, sauf la nuit.

Marlène Schiappa prévoyait 100 % d’effectifs de police et de gendarmerie formés d’ici à 2023. Où en est-on ?

Aujourd’hui en formation initiale on a des modules spéciaux qui forment tous les corps à la thématique des violences au sein du couple. Mais sur les milliers de fonctionnaires de la PP, combien sont formés, sachant que cela fait trois ou quatre ans qu’on les forme ? Aujourd’hui, à la préfecture de police, près de 6.000 policiers et policières sont formés aux problématiques des violences faites aux femmes [sur les 27.000 policiers que compte actuellement la préfecture de police]. Nous souhaitons aller plus loin et plus vite, c’est pourquoi nous recourons également à des associations, notamment le centre Hubertine Auclert, pour former nos policiers, afin de venir en appui des formations dispensées en interne [834 policiers formés entre fin 2021 et fin 2022].

Les violences conjugales ont augmenté de 12 % au second semestre 2022 dans l’agglomération parisienne. A quoi est due cette hausse ?

L’amélioration des dispositifs de prise en charge des victimes conduit indubitablement à une hausse des faits dénoncés. La question qui se pose aussi c’est la part de faits anciens dans le total des faits dénoncés chaque année. Or certaines tendances laissent à penser qu’on a aujourd’hui une révélation plus importante de faits anciens. J’invite les victimes de ces violences à les révéler le plus rapidement possible, car cela permet une meilleure préservation des preuves et indices et donc la manifestation de la vérité.



Avez-vous mis d’autres choses en place pour accueillir cette parole ?

Nous avons un tableau accueil confidentialité, qui permet aux victimes de violences conjugales et sexuelles de désigner sans parler un rond de couleur orange à l’accueil, pour un accueil discret et prioritaire. Alors que les autres usagers désigneront un rond bleu et seront pris en charge dans un circuit classique. Et nous avons aussi 37 intervenants sociaux et 18 psychologues, répartis dans différents commissariats, qui sont en mesure de proposer à l’issue de la prise de plainte un accompagnement social et psychologique [sur les 79 circonscriptions de la préfecture de police, correspondant grosso modo à 79 commissariats].

J’ai vu que vous aviez organisé une pièce de théâtre pour les agents… Cela a fait mouche auprès d’eux ?

On a pris la décision, en travaillant avec une ancienne policière depuis vingt ans, Sonya Aya, aujourd’hui auteure et metteuse en scène, de faire jouer sa pièce « Je me porte bien », sur les violences conjugales, au sein du commissariat de Paris Centre. On a convié des collègues parisiens mais également des référents de petite couronne et s’en est suivie une table ronde d’échange sur la prise en charge globale des victimes. L’idée était de délivrer une sensibilisation au mécanisme de l’emprise aux policiers présents. C’était vraiment un événement de sensibilisation d’ampleur. Et cela a été très apprécié, les collègues étaient ravis.

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