À 18 heures, devant la mairie de Sevran, une rose blanche est distribuée à chaque nouvel arrivant venu en mémoire de Valéryia. Cette femme de 51 ans a été assassinée par son mari dans une chambre d’un hôtel social. Le réceptionniste a découvert son corps inanimé et a tenté, en vain, de la sauver.

Le meurtre s’est produit sous les yeux de son fils âgé de 14 ans et qui est depuis hospitalisé. Un protocole féminicide a été mis en place, il consiste à mettre à l’abri les enfants témoins (ou non) de féminicide dans un service hospitalier spécialisé dans les traumatismes.

Le maire de la ville Stéphane Blanchet (DVG), les associations l’Observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis et SOS Femmes 93, initiateurs du rassemblement, prennent la parole sur un pupitre. La députée de la circonscription Clémentine Autain (LFI) est également présente.

Deux femmes dans l’assistance conversent entre elles avant les prises de parole. « La police ne fait rien, s’il y avait davantage de répression, il n’y aurait pas tous ces assassinats », jugent-elles. Un ras-le-bol dû notamment à la série noire qu’a connu la Seine-Saint-Denis. En effet, Valéryia est la troisième victime en deux semaines, après Assia le 30 janvier dernier à Montreuil, étranglée et démembrée par son mari et Flora étranglée le 11 février à Bondy.

Des avancées dans la lutte, mais un cruel manque de moyens

Au total, le collectif Féminicides par compagnons ou ex, dénombre 29 féminicides depuis le début de l’année 2023. « C’est déjà mon 56ᵉ rassemblements depuis 2005, c’est un chiffre conséquent, mais ça veut aussi dire que nous n’acceptons pas ces violences faites aux femmes », assène Ernestine Ronai, la présidente de l’Observatoire des violences envers les femmes. « Nous avons une certaine persévérance dans la lutte et il est possible que ces violences cessent », ajoute-t-elle.

Les associations réclament depuis plusieurs années davantage de moyens pour protéger les femmes et les enfants victimes de violences. Nombre d’entre elles réclament un plan à hauteur d’un milliard d’euros pour lutter efficacement contre ce problème de société. En Seine-Saint-Denis, département pionnier en termes de protection, des avancées ont été faites.

Lire aussi. 20 ans après la création de l’Observatoire des violences faites aux femmes, le combat continue

« Nous avons inventé le téléphone grave danger », expose la présidente de l’Observatoire des violences envers les femmes. « Le bracelet anti-rapprochement et l’ordonnance de protection permettent aux victimes de révéler des violences et d’être protégées avant même de porter plainte », indique également Ernestine Ronai.

Il faut des lieux où ces femmes puissent sortir directement du domicile à la moindre violence

Une position que rejoint Marie-Christine Mourgue présidente de l’association SOS Femmes 93. « Sous l’impulsion des organisations féministes, un certain nombre de lois sont passées contre les violences conjugales. Ces lois existent, cependant elles ne sont pas mises en œuvre par un manque de moyens à tous les niveaux », observe-t-elle.

Un constat fait par de nombreuses personnes. « Ça fait plus de 20 ans que j’ai pris conscience des violences faites aux femmes, explique Hélène, ancienne assistante sociale. « Il y a quelques progrès, mais ce qu’il faut pour ces femmes ce sont des lieux où elles puissent sortir directement du domicile à la moindre violence. Il faut des unités de prise en charge », détaille cette femme de 63 ans.

Aucun membre ou proche de Valéryia n’est présent pour cet hommage. Valéryia dit « Neda » était une ressortissante bulgare. Elle ne parlait pas bien le français, c’est son fils qui l’aidait lors de rendez-vous pour effectuer la traduction. Cette mère de famille n’avait jamais déposé de main courante, ni de plainte contre son mari, un ressortissant serbe. La famille occupait une petite chambre d’un hôtel social depuis 2016. Une employée municipale chargée du recensement se souvient de cette mère de famille « très souriante, son fils jouait dans le couloir à la console, mais je n’ai jamais vu le mari. »

Le traumatisme psychologique des enfants, victimes collatérales des violences conjugales

Dans les discours, la question des enfants revient beaucoup. Des anciennes victimes de violences conjugales sont présentes comme Hannelaure. Cette présidente d’association sportive a eu du mal à sortir de cette situation d’emprise comme un grand nombre de femmes. « Ce sont mes proches qui m’ont aidée à prendre conscience de ma situation et mes enfants aussi. D’ailleurs, lorsque j’ai su ce qui était arrivé à Valéryia, ma fille de 20 ans a voulu venir, mais elle s’est ravisée, car elle a encore des séquelles de ce que l’on a vécu », raconte cette habitante de Sevran.

À ses côtés, son amie Alexia* est également témoin des conséquences désastreuses des violences conjugales sur les enfants. L’enseignante en élémentaire explique avoir fait plusieurs signalements pour enfant en danger l’année dernière. « J’entends souvent des élèves dire “Papa a encore tapé maman”, des élèves de CP, c’est très grave ! », affirme cette femme de 51 ans.

Après la minute de silence, tous se dirigent près d’un petit olivier juste derrière l’édifice pour déposer la rose blanche en mémoire de Valéryia. La foule semble être malheureusement habituée à ces féminicides et à ces rassemblements qui s’enchaînent.

« Nous sommes tous et toutes concernées, souvenons-nous de Valéryia à Sevran et des autres femmes, car derrière ce énième féminicide, c’est une vie qui est partie », conclut avec émotion Marie-Christine Mourgue, qui se rendra également au prochain rassemblement prévu pour Assia.

Aïssata Soumaré

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