Ces 7 Françaises méconnues qui ont changé la face du monde

Des femmes qui ont changé la face du monde, l'historiographie française a oublié le nom. Pas nous. D’une exploratrice travestie en passant par la première étudiante noire à la Sorbonne, longtemps les destins extraordinaires de femmes ont été passés sous silence. 
Le portrait de Alice Guy en 1912
Le portrait de Alice Guy en 1912Everett Collection / Everett Collection

Chirurgien, cinéaste, astronome, explorateur… si beaucoup pensent que ces métiers sont réservés aux hommes, peu savent que ce sont pourtant des femmes qui en ont occupé les plus hautes fonctions. Longtemps occultés, souvent oubliés, les destins de femmes extraordinaires furent soigneusement plongés dans l’ordinaire. En cette journée internationale des droits des femmes, à l'aide du livre Les infréquentables, Vanity Fair France a dressé sept portraits de femmes méconnues du grand public qui ont pourtant, par leurs actions et leurs déterminations, changé la face du monde. 

Marguerite Durand, la première grande patronne de presse française

Un quotidien féministe qui s’adresse aux femmes en leur parlant de leurs droits, c’est la grande aventure de La Fronde, fondé en 1897 en plein âge d’or de la presse française par Marguerite Durand. Comédienne à la Comédie-Française, Marguerite Durand est une femme libre, profondément animée par les idées de la gauche radicale de l’époque. Au milieu de sa carrière théâtrale, elle épouse Georges Laguerre, avocat et député de la gauche radicale. Humaniste acharné, le couple prend avec ferveur la défense du général Boulanger puis celle du capitaine Dreyfus. Quelque temps après, Marguerite Durand demande le divorce. Elle commence alors à fréquenter les salons et la haute de l’époque. Sa carrière de journaliste débute. 

Marguerite Durand au bureau du quotidien La Fronde 

ilbusca/Getty Images

Elle se lance dans la création du premier quotidien féministe entièrement écrit et administré par des femmes : La Fronde. Dedans, les journalistes réclament leurs droits, aspirent à leurs libertés dans la société et revendiquent leur pouvoir de femmes. Composant entre le mouvement des suffragettes et le journalisme à la Albert Londres, La Fronde éduque ouvertement ses lecteurs aux idées féministes et fait le pari de séduire les institutrices comme les ouvrières. Alors que le tirage du quotidien s’effondre en 1903, la militante fonde l’Office du travail féminin, rattaché au ministère du travail et se présente aux législatives alors que les femmes n’ont pas le droit de vote et ne sont pas éligibles. Marguerite Durand meurt en 1936 à 72 ans, après avoir fondé l’Office de documentation féministe

Alice Guy, la première cinéaste à utiliser l’invention des frères Lumières 

Non, le premier cinéaste ne s'appelle pas Georges Jean Méliès. La première personne à utiliser l’invention des frères Lumières a les cheveux longs, bruns et répond au surnom que tout le monde lui donne : « Mademoiselle Alice ». À tout juste 20 ans, Alice Guy est engagée comme secrétaire au Comptoir général de photographie. Le directeur ? Un certain Léon Gaumont. Très vite, elle devient incollable sur le sujet, absolument fascinée par ce nouvel art. Elle rencontre alors Gustave Eiffel ou encore Émile Zola

Le portrait de Alice Guy en 1912.

Everett Collection / Everett Collection

En 1895, les frères Lumières l’invitent à découvrir leur invention. Immédiatement, Alice Guy s’empare de l’usage de la cinématographie et en tombe amoureuse. Pendant ses pauses-déjeuners, elle réalise des courts-métrages, jusqu'à son premier film, La Fée aux choux en 1896. Le premier d’une longue série. Alors que Gaumont grossit, il n’est plus question de laisser une femme à sa tête. Alice Guy résiste. Elle tourne des films ambitieux et emploie jusqu’à 300 figurants à Paris comme à New York, elle créé sa maison de production, la Solax Company. Elle tourne alors toutes sortes de récits, du western aux films fantastiques, en passant par les films engagés, féministes et contre le travail des enfants. Elle est même co-autrice du premier film gay, Algie the Minor, en 1912, où deux hommes s’embrassent. 

En 1954, elle est décorée de la Légion d'honneur et plusieurs historiens du cinéma font appel à sa mémoire. Alice Guy écrit Autobiographie d’une pionnière du cinéma. Les éditeurs refusent de le publier. Le livre sera finalement publié huit ans après sa mort. Quarante ans après sa mort, Gaumont retrouve miraculeusement 65 films d’Alice Guy et les met à disposition du public pour honorer son génie de cinéaste. 

Suzanne Noël, la première chirurgienne esthétique

Pionnière de la chirurgie esthétique, elle a réparé les gueules cassées au sortir de la Grande Guerre comme les employées virées parce qu’elles prenaient de l’âge. Suzanne Noël entre en école de médecine et découvre le visage d’une certaine Sarah Bernhardt, qui, pour retrouver sa jeunesse, décide de se faire opérer. Hélas, le rendu est loin d’être aussi gracieux qu’escompté. Aussitôt, Suzanne Noël reprend son lifting raté. Elle n'a peur ni du sang ni des larmes. Commence alors sa vocation. Pendant le reste de sa vie, la chirurgienne s'acharne à réparer les visages et les âmes de la guerre. « Ses confrères masculins l’ont laissée faire, car ils percevaient la chirurgie réparatrice comme mineure », analyse Dominique Babel. Une fois chez eux, désespérés, beaucoup de gueules cassées se suicident. Également suffragette militante, la chirurgienne orchestre une grève de l’impôt pour que les femmes obtiennent le droit de vote. Pour elle, si les femmes n’ont pas les mêmes droits, pas question qu’elles aient les mêmes devoirs que les hommes.

Nicole-Reine Lepaute, mathématicienne et astronome 

Nicole-Reine Lepaute a une vingtaine d’années lorsque le palais du Luxembourg est doté d’une horloge d’exception. Fascinée par l'objet, la future mathématicienne se rapproche alors de l’un des hommes qui a permis la conception de cette horlogerie de perfection. Jean-André Lepaute est intrigué par cette femme qui lui pose bien des questions. Très vite, une idylle se noue et s’officialise par un mariage d’amour. Au côté de son désormais mari, Nicole-Reine Lepaute développe son génie pour les mathématiques. Dotée d’une capacité hors du commun pour le calcul, elle écrit un traité de l'horlogerie avec Jérôme Lalande et son époux. Le nom de la jeune femme n’est pas cité, comme le veut la coutume de l’époque, mais ses deux collègues ne cesseront de la mettre à l’honneur. Au fur et à mesure de sa carrière, Nicole-Reine Lepaute fait des rencontres qui la mènent jusque dans les cercles scientifiques. En 1761, l’Académie de Béziers la reçoit comme membre associé pour ses différents mémoires scientifiques. Nicole-Reine Lepaute devient alors l’une des toutes premières académiciennes. Elle se consacre au calcul astronomique et à la fin de sa vie, établit la carte officielle de la grande éclipse de Soleil prévue pour le premier avril 1764.

Jane Dieulafoy, l’exploratrice travestie 

Les portraits de Jane Dieulafoy demeurent rares. Hormis pour une poignée de passionnés d’archéologie, son nom n’évoque plus grand-chose malgré un destin extraordinaire. Jane Dieulafoy n’était pas seulement une archéologue de renom mais fut aussi l’une des premières femmes en France à recevoir la Légion d’honneur. Peu soucieuse des conventions, Jane Dieulafoy arbore une coupe de cheveux austère et surtout un pantalon qui lui est bien utile pendant ses expéditions. Le couple qu'elle forme avec son mari ingénieur part en 1881 en Perse avec un grand projet : à la demande du ministère de l’Instruction publique et des beaux-arts, ils vont chercher les origines de l’architecture occidentale. Jane et Marcel Dieulafoy voguent jusqu’à Constantinople, traversent la mer noire et parcourent plus de 6 000 kilomètres sur le dos d’un cheval

Un portrait de Jane Dieulafoy en 1870.

Apic/Getty Images

À son retour en France, naît une vocation d'écrivaine qui ne cessera de s’affirmer au cours de ses prochains voyages. Jonglant entre sa plume de sociologue, d'anthropologue et de journaliste, Jane Dieulafoy fait des découvertes inattendues. C’est notamment grâce à sa curiosité que sont découverts la frise des Lions du palais de Darius, la rampe de l’escalier du palais d’Artaxerxès III et la frise des Archers. En 1886, le président Carnot décore Jane Dieulafoy de la croix de la Légion d'honneur, qu'elle reçoit au titre de ses découvertes à Suse. 

En plus de régulièrement publier des livres sur ses récits, elle contribue à la création du prix Fémina et milite pour l’insertion des femmes dans l’armée. Lorsque la guerre éclate au Maroc, Jane Dieulafoy suit son mari qui est mobilisé en tant que colonel du génie. Tout de suite, cette femme à l’allure d’homme assure la direction des travaux de déblaiement de la mosquée Hassan tout en aidant les malades jusqu’à ce qu’elle contracte une dysenterie qui lui sera fatale. 

Paulette Nardal, la théoricienne oubliée de la négritude 

De la négritude, on connaît les pères, figures tutélaires : Léopold Sédar Senghor, le Sénégalais, Aimé Césaire, le Martiniquais, Léon-Gontran Damas, le Guyanais. Des femmes qui ont initié le concept, l'historiographie française a oublié le nom. Dans les années 70, l'auteur Philippe Grollemund, également choriste, s'entretient avec une vieille dame qui mène la chorale depuis son fauteuil. La vieille dame, c'est Paulette Nardal, la « marraine de la négritude ». Née en Martinique, elle étudie à Paris dans les années 20. Le dimanche après-midi autour d’un piano, elle reçoit dans son salon de Clamart, au 7 rue Hébert, le célèbre militant panafricaniste Marcus Garvey, le romancier jamaïcain Claude McKay, mais aussi Aimé et Suzanne Césaire, le politicien Félix Eboué et de nombreux autres étudiants, militants des droits civiques balbutiants.

Avec sa sœur Jane, elles sont les premières étudiantes noires inscrites à la Sorbonne. Paulette Nardal consacre son mémoire à Harriet Beecher Stowe et la Case de l'oncle Tom. Très vite, elle sa sœur et Dr Léo Sajous, fondent La Revue du Monde Noir, une revue bilingue français-anglais qui part en quête de « l'âme nègre » et entend réhabiliter la civilisation noire et la culture africaine. Femme de lettres, Paulette Nardal est aussi une femme d’action. Dès 1945, elle fonde le rassemblement féminin en Martinique et se mobilise pour que les femmes martiniquaises exercent leur droit de vote dès qu’elles l’acquièrent. Première étudiante noire à la Sorbonne, première journaliste noire à Paris, Paulette Nardal a pris part active à l'émergence du courant de la négritude.