À Saint-Denis, la Maison des femmes propose aux femmes victimes d'excision une prise en charge globale au sein d'une équipe de gynécologues, psychologues et sexologues. Crédit : Agathe Truchon-Bartes, Studio graphique FMM
À Saint-Denis, la Maison des femmes propose aux femmes victimes d'excision une prise en charge globale au sein d'une équipe de gynécologues, psychologues et sexologues. Crédit : Agathe Truchon-Bartes, Studio graphique FMM

À Saint-Denis, en région parisienne, la Maison des femmes prend en charge les femmes victimes d’excision, dont les deux tiers sont des migrantes. Grâce à une équipe de médecins, psychologues et sexologues, les femmes sont accompagnées vers la réappropriation de leur corps. Certaines peuvent également bénéficier d’une chirurgie reconstructrice si nécessaire.

À l’étage de la Maison des femmes, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), deux patientes se sont installées autour d’une grande table. Ce lundi après-midi, elles participent à un groupe de parole destiné aux femmes excisées, sous les portraits de Marie Curie, Rosa Parks, Oum Kalthoum et autres femmes célèbres qui ornent le mur. Toutes deux souhaitent bénéficier d’une chirurgie réparatrice du clitoris. 

Face à elles, le docteur Ghada Hatem, médecin cheffe de la Maison des femmes, une interne en gynécologie et une étudiante sage-femme. L’objectif de cette rencontre est de permettre aux femmes de mettre des mots sur leurs attentes, de détailler la manière dont se passe une chirurgie reconstructrice et de répondre aux questions des patientes. "J’ai des appréhensions par rapport à l’accouchement quand on est excisée", s’interroge notamment Hawa (les prénoms des patientes ont été changés à leur demande), 24 ans. "Dans la plupart des cas, cela ne pose pas de problème, indique le docteur Hatem. Seules les excisions avec infibulation [suture des grandes lèvres de la vulve, NDLR] risquent de provoquer des complications." Les excisions les plus couramment pratiquées au Mali, Sénégal et Côte d’Ivoire ne comprennent pas d’infibulation. 

Les groupes de parole font partie du parcours de soin pour les femmes excisées à la Maison des femmes. "Lorsque l’on vient pour une excision, on rencontre toujours un chirurgien en premier parce que son examen va permettre de dire à la femme ce qui est faisable ou non", souligne Ghada Hatem. 

Après ce rendez-vous, "parfois, on détricote tout et finalement, il n’y a aucun besoin […] Ou alors il faut creuser et on va envoyer [la patiente] vers le psychologue, le sexologue et les groupes de parole", précise la gynécologue. 

"Chaque cas est particulier "

Sur les 1 000 femmes environ prises en charge chaque année à la Maison des femmes, toutes ne sont pas opérées. "On s’est un peu saisi de cette chirurgie potentielle comme d’un remède miracle et c’est une mauvaise idée en fait", met en garde Ghada Hatem. 

La douleur reste la première raison d’opérer une femme excisée. "Les femmes qui ont mal pendant les rapports sexuels, on va les opérer, on ne se pose pas de question", affirme le docteure Hatem. 

En revanche, la question des soins est plus complexe pour les femmes qui consultent car elles affirment ne pas ressentir de plaisir lors des rapports sexuels. "Pour certaines, c’est parce qu’on les a élevées dans l’idée que le sexe c’est mal […], avance la gynécologue. Et parfois elles n’ont pas de plaisir parce qu’elles sont mariées à quelqu’un qu’elles détestent et qu’elles sont violées tous les soirs". 

"Si une femme a une sexualité normale, parfois le simple fait de s’entendre dire ‘vous êtes excisée’, va lui faire revisiter sa sexualité. Certaines patientes, après ce genre de révélation, n’ont plus de plaisir alors que ça allait plutôt bien avant", explique-t-elle, ajoutant qu’"on peut être un peu excisée et très traumatisée, tout comme être très excisée et avoir une vie sexuelle normale". "Chaque cas est particulier", insiste la médecin.

L'organisation mondiale de la santé (OMS) considère qu'il existe 4 types de mutilations sexuelles féminines allant d'une ablation totale ou partielle du clitoris à l'ablation des petites et grandes lèvres avec infibulation. L'aspect traumatique et les circonstances de la mutilation doivent être également pris en charge, plaide le docteur Hatem. Une jeune fille peut, par exemple, avoir eu "une excision très discrète mais être traumatisée parce que ça s’est fait assez tard, parce qu'elle se rappelle avoir souffert, avoir saigné, avoir été plaquée au sol...", décrit-elle.

À la Maison des femmes, les groupes de parole font partie de la prise en charge des femmes victimes d'excision. Crédit : Agathe Truchon-Bartes, Studio graphique FMM
À la Maison des femmes, les groupes de parole font partie de la prise en charge des femmes victimes d'excision. Crédit : Agathe Truchon-Bartes, Studio graphique FMM


Certificats 

Il y a aussi des femmes excisées pour qui l’urgence n’est pas l'opération chirurgicale mais de trouver de quoi manger et un endroit où dormir. Sur les 1 000 femmes qui consultent à la Maison des femmes pour excision chaque année, les deux tiers sont des femmes migrantes, sans stabilité. 

Parmi elles, beaucoup viennent dans le cadre de la demande d’asile qu’elles déposent pour leurs filles menacées d’être excisées dans leur pays d’origine. "Nous les voyons pour les certificats dont elles ont besoin pour leur demande d’asile", explique Ghada Hatem. Ces documents, qui peuvent être délivrés, après examen médical, par un médecin généraliste, une gynécologue ou une sage-femme, sont nécessaires pour prouver qu’une femme a subi une excision et que sa fille risquait d’être également mutilée. 

Si les femmes excisées ont peu de chance d’obtenir l’asile pour elles-mêmes, il est fréquent que leur fille l’obtienne.

Des femmes en colère 

Parmi les autres femmes qui viennent à la Maison des femmes, se trouvent aussi "des femmes qui vont bien, qui ont une sexualité normale, mais qui sont très en colère parce qu’elles ont subi une tradition avec laquelle elles ne se sentent pas du tout en phase", explique encore la gynécologue. 

C’est en partie ce que ressent Hawa qui participe au groupe de parole ce lundi. La jeune femme est née au Mali. Excisée peu de temps après sa naissance, elle raconte son "sentiment d’injustice" d’avoir été excisée contre sa volonté. Elle a découvert au collège, "en cours de SVT" [Sciences de la vie et de la terre ndlr], qu’elle était excisée. "On a étudié l’anatomie des organes reproducteurs au collège et j’ai vu qu’il me manquait quelque chose", raconte la jeune femme.

Depuis, Hawa a posé des questions à ses parents et découvert que, de toutes ses sœurs nées en France, aucune n’est excisée. "J’ai demandé à ma mère pourquoi j’avais subi ça. Elle m’a dit que ce n’était pas son choix […] Que ni elle, ni moi ne pouvions changer ça". Hawa se dit prête à parler de l’excision autour d’elle pour sensibiliser les familles. Mais pas maintenant. "Quand je serai réparée, là j’oserai en parler." 

 

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