L’excision et la guérison au centre du documentaire d’une Africaine d’ici

Koromousso - Grande Soeur

excision, Koromousso - Grande Soeur
Le duo de réalisateurs Jim Donovan et Habibata Ouarme. Photo: Dorian Vidal, l-express.ca.
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Publié 09/03/2023 par Dorian Vidal

L’ONU recense plus de 200 millions de femmes ayant été victimes de mutilations génitales féminines. Si rien n’est fait, plus de 60 millions de filles seront excisées d’ici 2035. C’est un constat alarmant qui se retrouve au coeur de Koromousso – Grande Soeur, le premier documentaire d’une Africaine établie en Ontario, Habibata Ouarme, accompagnée de Jim Donovan qui, lui, a déjà quelques films à son actif.

Produit par l’Office national du film (ONF), leur film est présenté en première mondiale ce 9 mars à Toronto,  au festival Human Rights Watch. Il nous invite à suivre Habibata Ouarme et d’autres Canadiennes d’origine africaine dans une quête de réparation.

Pendant 75 minutes, nous accompagnons ces différentes femmes, réunies par une expérience traumatisante et soudées par ce besoin de guérison.

Au Canada, et dans beaucoup de pays du «Nord», cette pratique est interdite, mais cela ne veut pas dire que ces pays offrent les soins appropriés.

L’un des points-clés du film est de montrer que le Canada, et tant d’autres pays, ont encore beaucoup à faire pour défendre les droits des femmes.

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Pas un simple «aspect culturel»

Si «la sexualité est encore taboue en général», selon Habibata, les mutilations génitales n’y échappent pas. Pire: il y a une forme de méconnaissance dans les systèmes de santé, y compris au Canada.

Pour la cinéaste émergente, il faut arrêter de renvoyer sans cesse cette pratique à un «aspect culturel». Ce problème est «mondial», il s’agit d’un problème de «santé de femmes», qu’il faut traiter au plus large niveau. Et pas stigmatiser les victimes.

«Ramener l’excision aux pratiques culturelles, c’est se trouver une excuse pour ne pas en parler, et ne pas agir en conséquence», dit-elle. «L’excision est une violence physique faite aux femmes, une agression du corps de la femme, une action de contrôle du corps, et de la parole, de la femme.»

C’est alors «la santé des femmes dans sa globalité» qui est en jeu. Selon Jim Donovan, «c’est un problème qui nous concerne tous, et qui doit devenir une histoire universelle, tellement ça affecte toutes les femmes à travers le monde».

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«Ce n’est pas juste une question de plaisir sexuel. C’est la volonté de diminuer l’épanouissement d’un être humain, pour pouvoir mieux la contrôler, la dominer.»

Habibata Ouarme, Safieta Sawadogo et Zainabou Ouedraogo
Habibata Ouarme, Safieta Sawadogo et Zainabou Ouedraogo sur le tournage. Photo: ONF.

Un documentaire nécessaire

Ce documentaire était alors «l’évidence» pour Habibata. Engagée au sein du RAFIQ, un organisme qui aide les femmes immigrantes et racisées du Québec, la réalisatrice a toujours fait valoir son engagement féministe. Ce premier film en était la conclusion logique. Cette «souffrance humaine» ne pouvait pas être racontée autrement.

L’ONF s’est immédiatement intéressé au projet. Comme Jim Donovan voulait travailler avec Denis McCready, producteur au studio francophone et derrière de nombreux documentaires politiques, Habibata est alors allée vers Jim pour lui proposer son projet.

Les deux se sont alors rapidement entendus, avec comme ambition commune de faire «un film qui n’avait jamais été fait», avec un angle canadien.

S’est alors enclenché un travail de longue haleine, nécessitant beaucoup de recherches. Il fallait également trouver des personnes qui accepteraient de se livrer, de «briser leur coquille», face à une caméra. Rien n’était certain, et, au final, la production a durée quatre ans.

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Il s’agit, comme aiment à le dire les réalisateurs, d’un «documentaire vivant», qui a grandi au fur du temps, sachant mêler séquences planifiées et spontanées.

Scène extraite du film Koromousso - Grande Soeur
Scène extraite du documentaire Koromousso – Grande Soeur, où l’on retrouve Jim Donovan, Habibata Ouarme, Safieta Sawadogo et Zainabou Ouedraogo. Photo: ONF.

Tournage problématique au Burkina Faso

Cependant, quand il a été question d’aborder un tel sujet, il y avait des appréhensions des deux côtés.

Jim Donovan voulait trouver sa place, son rôle, mais il s’est tout de même retrouvé impacté par le «syndrome de l’imposteur». En tant «qu’homme blanc», il ne voulait pas imposer sa présence, mais uniquement suivre Habibata Ouarme, et l’aider à faire le film qu’elle souhaite.

Ensuite, quand il a fallu qu’Habibata et ses amies se rendent au Burkina Faso, c’est de l’inquiétude que le cinéaste canadien a ressenti pour la sécurité de sa consœur.

Cette dernière se retrouvait dans un environnement où il y a toujours des personnes qui défendent l’excision, et où ce sujet est plus que sensible. Cette partie du film a alors été entièrement réalisée grâce à un iPhone 12 Pro Max.

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De son côté, Habibata Ouarme était à la fois anxieuse à l’idée de se mettre devant la caméra, mais aussi à l’idée de se livrer totalement. Mais quand on voit le résultat final, l’on ne peut qu’apprécier et applaudir son courage, et celui des autres protagonistes.

Un film source d’espoir

Malgré son sujet lourd, ce documentaire nous invite à garder espoir. Ainsi, on peut prendre l’exemple de la médecin Angela Deane, qui apparaît dans le film. Celle-ci fait pression pour faire changer le système de santé de l’intérieur.

«Il faut maintenant réformer le système de santé du Canada», explique Jim Donovan. «Pour que les femmes comme Habi n’aient pas l’obligation d’aller à l’extérieur pour se faire soigner, en prenant toutes sortes de risques.»

C’est alors un film qui s’adresse à tout le monde, mais «particulièrement aux jeunes», selon Habibata. Ce sont eux qui «peuvent faire changer les choses.»

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Ce long-métrage concerne également les personnes de la «diaspora», qui peuvent ensuite faire comprendre à leur famille pourquoi cette pratique doit cesser.

Avec le mélange des cultures apporté par la mondialisation, ce film est d’autant plus nécessaire car, personne ne sait si, «dans 10 ans, quelqu’un ne viendrait pas au Canada exciser une fille», affirme la réalisatrice.

Il y a toujours aujourd’hui des parents canadiens qui ramènent leur fille dans leur pays d’origine afin de la faire exciser. La sensibilisation du plus grand nombre est alors plus que nécessaire: c’est l’ambition du film.

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Habibata Ouarme et Jim Donovan. Photo: Dorian Vidal, l-express.ca.

Déjà un autre projet de film

Habibata Ouarme, qui est passée par des études d’administration des affaires, a bénéficié du soutien d’un réalisateur «vétéran» en la personne de Jim Donovan, mais également de l’ONF dans son ensemble. Elle voit ainsi son expérience à l’Office comme un passage à «l’école de cinéma».

Satisfaite de son film, Habibata souhaite «absolument poursuivre» cette carrière, avec déjà un nouveau projet en préparation: 1001 couronnes pour ma tête. La Canadienne d’origine ivoiro-burkinabée se servira des coiffures des Noires pour voyager à travers le temps, et revenir sur l’histoire et l’évolution du continent africain.

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De son côté, Jim Donovan, retrouvera prochainement «son premier amour», la fiction, avec des télé-séries, dont une sur le hockey, et une en co-production avec l’Afrique du Sud sur le monde de l’humanitaire.

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