La matrice du mal : épisode • 1/4 du podcast Les fantômes de l’hystérie - Histoire d’une parole confisquée

Attitude hystéro-épileptique, « Tétanie », Iconographie photographique de la Salpêtrière 1880 –  Bibliothèque Sorbonne Université, Fonds Charcot
Attitude hystéro-épileptique, « Tétanie », Iconographie photographique de la Salpêtrière 1880 – Bibliothèque Sorbonne Université, Fonds Charcot
Attitude hystéro-épileptique, « Tétanie », Iconographie photographique de la Salpêtrière 1880 – Bibliothèque Sorbonne Université, Fonds Charcot
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En 2022, le diagnostic d’hystérie continue d’être posé sur les femmes, qu’elles souffrent d’épilepsie, d’endométriose, d’AVC… Possédées et dépossédées de leur corps, soupçonnées depuis l’Antiquité d’être trop fragiles par nature, elles simuleraient leurs symptômes.

Notre médecine contemporaine hérite de l’histoire misogyne et raciste de l’hystérie. Bien que supprimée du DSM (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), la sociologue Julia Legrand alerte : “Depuis les années 70, l’hystérie n'est plus vraiment un diagnostic officiel. Mais ce que j'ai découvert sur le terrain de la psychiatrie publique française, c'est que le diagnostic est toujours utilisé dans les pratiques.”

Mal de mère” ou “Mal du diable”, l’hystérie est utilisée depuis l’Antiquité pour qualifier tantôt des femmes en mal d’enfants (qui ont "l’utérus baladeur"), avides de semence masculine (atteintes de suffocation de matrice), tantôt débordée de semence (nymphomanie et “fureur utérine”). Elle disqualifie tour à tour les femmes du peuple, les célibataires, les femmes esclaves… et les réduit à d’éternelles malades par nature, possédées et dépossédées de leur corps. Pour autant, elle nie leurs véritables douleurs.

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Car c’est bien là le paradoxe de “l’hystérique”, soupçonnée de simuler ou d’exagérer ses symptômes, la gynécologue obstétricienne Laura Berlingo explique par exemple en évoquant l’endométriose : “Toutes ces descriptions de l’endométriose, c'est des choses qu'on retrouve depuis 2000 ou 3000 ans. Comme on ne savait pas exactement ce que c'était, elles ont pu être renvoyées à des choses psychologiques, à de l’hystérie.

On traite donc, la supposée hystérique, avec des traitements psychiatriques lourds qu’il s’agisse de soigner des “maladies de femmes” (endométriose) des maladies cardio-vasculaires ou de l’épilepsie avec des conséquences désastreuses, si ce n’est mortelles. Puisque c’est dans sa tête ! Alix qui est aujourd’hui officiellement diagnostiquée comme épileptique, a connu une longue errance de diagnostic, elle témoigne : “Un jour, je suis retournée voir mon médecin traitant parce que j’avais encore fait plusieurs crises dans la semaine. Je venais de passer la nuit à l’hôpital. Et c'est lui qui m'a craché le morceau : “Vous êtes hystérique.”

« Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie, ou Grande hystérie », Paul Richer et  Jean-Martin Charcot –
« Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie, ou Grande hystérie », Paul Richer et Jean-Martin Charcot –
- Collection Fonds Charcot, Bibliothèque Sorbonne Université

Un récit qui ne fait que confirmer l’analyse de Julia Legrand : “Ce qui est frappant avec l'hystérie, c'est qu'on voit une adéquation quasi parfaite entre la catégorie d'hystérie et les catégories du genre. Et ça, pour moi, c'est un des éléments qui explique aussi qu'il y ait une pathologisation psychiatrique des maladies féminines car elles ne sont pas prises au sérieux.”

Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Annabelle Brouard

Intervenant.e.s

  • Jean Christophe Abramovici : professeur de littérature à la Sorbonne, auteur de “Les hystériques en attendant Freud” (éditions Jérôme Millon)
  • Elsa Dorlin : professeure de philosophie à l'université de Toulouse Jean-Jaurès, autrice de “La matrice de la race” (La Découverte)
  • Julia Legrand : sociologue, autrice d’un article à paraître “Le genre de l’hystérie : analyse d’une catégorie semi-profane au prisme des médicaments”
  • Laura Berlingo : gynécologue obstétricienne. Elle a participé à la création de la Maison des femmes de la Pitié Salpêtrière
  • Jean Christophe Richard : auteur de “Les possédées de Morzine. Recueil de documents anciens” et “Les possédées de Morzine. L’enquête historique”.
  • Avec les témoignages d’Alix, Madeleine et Anna

Bibliographie

  • Les hystériques en attendant Freud, Jean-Christophe Abramovici (éditions Jérôme Millon)
  • La matrice de la race, généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Elsa Dorlin (Editions la Découverte)
  • Le marteau des sorcières,(ou Malleus Maleficarum), Henri Institoris et Jacques Sprenger (Jérôme Millon)
  • Observations diverses sur la stérilité, perte de fruits, fécondité, accouchements et maladies des femmes et enfants nouveau-nés, Louise Bourgeois(Côté femmes)
  • Les Métamorphoses de l’hystérique, Du début du XIXe à la Grande guerre, Nicole Edelman (La Découverte)
  • Histoire de l’hystérie, Ilza Veith (Seghers)
  • La fabrique des sexes. Essai sur le corps et le genre en Occident, Thomas Laqueur (Gallimard)
  • Les patientes d’Hippocrate, Maud le Rest et Eva Tapiero (Philippe Rey)
  • Unwell Women: A Journey Through Medicine and Myth in a Man-Made World, Elinor Cleghorn (Orion Publishing Group)
  • Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet (La Découverte)
  • Les possédées de Morzine -Phénomènes de possession 1857-1870 - Livre 1 - Recueil de documents anciens et Livre 2 -L’enquête historique (autoédite par son auteur Jean-Christophe Richard)
  • Sorcières, sages-femmes & infirmières - Une histoire des femmes soignantes - Barbara Ehrenreich et Deirdre English (Cambourakis)
  • Tu vis ou tu meurs, Anne Sexton (éditions des femmes)
  • Les Guérillères, Monique Wittig (Editions de Minuit)

Archives :

  • France 2, journal de 20 heures, 9 mai 2018

Remerciements : Merci à Francesca Arena, Alexandra Delbot, Elodie Hervé, Audrey Linder, Eva Tapiero, Caroline Payen, Caroline Conte, Aglaé de Chalus et à l’association ANCrés (A nos corps résistants)

Documentation sonore et musicale : Marion Guilhen, Antoine Vuilloz, Abigail Sanz, Anne-Lise Signoret et Mylène Touchais

Illustrations sonores :

  • Joan La Barbara – Sound Paintings / Label Lovely Music
  • Les Sorcières d'Akelarre - BO - Maite Arrotajauregi/ Aránzazu Calleja
  • Maja Ratkje - Album Voice
  • Camille - BO Corsage / She was

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