Sécheresse

Accro au maïs, la France subventionne un modèle agricole gourmand en eau

Sécheresse

par Sophie Chapelle

À l’heure où la France connaît déjà des restrictions d’eau dues à la sécheresse, focus sur le maïs, qui a besoin d’eau en été et dont 40 % de la production est exportée. Ou comment les politiques publiques nous ont conduit dans une impasse.

C’est une céréale qui demande beaucoup d’eau au moment où les sols en France en manquent le plus – en juillet et août [1]. La culture du maïs focalise l’attention à l’heure où plusieurs départements subissent déjà, en cette fin d’hiver, des restrictions d’eau [2].

Le maïs occupe 11 % de la surface agricole utile dans l’Hexagone soit trois millions d’hectares, dont une bonne moitié concentrée sur la façade atlantique. À l’échelle nationale, le maïs demeure, et de loin, la principale culture irriguée en France, représentant à lui seul près de la moitié des surfaces irriguées (41 % pour le maïs grain-semence et 7 % pour le maïs fourrage).

Mais l’irrigation ne suffit pas toujours à assurer de bons rendements. Lors de l’été 2022, le ministère de l’Agriculture a indiqué une baisse de production de maïs grain de 18 % par rapport à l’année précédente, pointant une sécheresse « historique » et une succession de canicules. Or, loin d’être exceptionnel, l’été 2022 « pourrait correspondre à un été normal en France en milieu de siècle, sauf en cas de réduction massive et immédiate des émissions de gaz à effet de serre », a prévenu Météo France.

La carte de la production de maïs ci dessus recoupe en partie la carte des surfaces irriguées par région. Le Poitou Charentes, lieu de contestation massif des méga-bassines, figure parmi les territoires les plus irrigués.
La carte de la production de maïs ci-contre recoupe en partie la carte des surfaces irriguées par région. Le Poitou-Charentes, lieu de contestation massive des mégabassines, figure parmi les territoires les plus irrigués.

De l’argent public pour du maïs destiné à l’export

À quoi sert ce maïs ? Principalement à alimenter le bétail. Originaire du Mexique, le maïs est cultivé à partir du 17e siècle en France, d’abord dans le Sud-Ouest où les conditions – chaleur et humidité – lui sont favorables. C’est à partir des années 1970 qu’il sert de plus en plus à nourrir les animaux d’élevage – sous forme de maïs ensilage (appelé aussi maïs de fourrage) pour les bovins et ovins et de maïs grains pour les bovins, volailles et porcins.

« Pour produire plus, l’herbe a été totalement remplacée par de l’ensilage de maïs dans de nombreux élevages intensifs », rappelle l’agronome Claude Aubert. Un litre de lait sur deux proviendrait désormais de vaches nourries avec du maïs, énonce-t-il dans son livre Qui veut la peau des vaches (Terre vivante, 2022).

Le développement du maïs est aussi lié à des subventions publiques massives. « Dès 1992, la première politique agricole commune s’est traduite par beaucoup plus d’aides pour un hectare de maïs que pour un hectare d’herbe », explique Yann Pajot, paysan dans les Deux-Sèvres. « Il y avait aussi une surprime pour du maïs irrigué plutôt que pour du maïs non irrigué, ainsi qu’une aide à l’investissement au matériel à l’irrigation à l’hectare. » 

Les politiques publiques ont ainsi conditionné ces trente dernières années l’explosion des superficies de maïs dans l’Hexagone. La France est aujourd’hui le premier producteur européen de maïs, avec près de 15 millions de tonnes chaque année. 42 % des débouchés intérieurs du maïs grain (cultivés sur 1,57 million d’hectares) sont l’industrie de l’alimentation animale, suivie de l’amidonnerie, de la semoulerie [transformation du grain de maïs en semoule] et de l’éthanol. Les 23 000 hectares de maïs doux sont exclusivement utilisés pour l’alimentation humaine. Les 1,4 million d’hectares de maïs fourrage sont, eux, destinés à l’élevage.

Au total, la France exporte près de 40 % de sa production. Et c’est bien ce que dénoncent les opposants aux mégabassines pour qui ces réserves d’eau visent essentiellement à irriguer du maïs dont une bonne partie sera exportée, et à nourrir des élevages hors sol. « Ce qu’on met en cause ce sont les monocultures de maïs », tient à préciser un paysan.

De plus en plus de maïs irrigué pour les élevages

Les tensions se cristallisent notamment dans le sud du département des Deux-Sèvres, où seize mégabassines pourraient voir le jour. 202 exploitations agricoles doivent y être raccordées. Contactée, la Coop de l’eau 79 qui mène ces projets n’a pas donné suite à nos demandes de précisions concernant les profils des exploitations bénéficiaires. « On ne dispose même pas des données sur les exploitations bénéficiant des bassines existantes », commente un opposant.

Les promoteurs des réserves de substitution insistent sur la tendance à la baisse des surfaces de maïs irrigué en France. Le territoire des Deux-Sèvres est à ce titre assez riche d’enseignements. Selon la chambre d’agriculture du département, les surfaces de maïs, après avoir culminé à 67 000 hectares en 2013, diminueraient depuis de 3000 hectares par an en moyenne.

Le diable se cache dans les détails. De fortes variations existent au sein même de ce territoire. 50 % de l’irrigation dans le bassin de la Sèvre niortaise, précisément là où les bassines doivent être construites, continue d’être destinée au maïs. Si les surfaces de maïs grain irrigué ont bien reculé, l’irrigation s’est de plus en plus concentrée ces dernières années sur le maïs fourrage : sa proportion a triplé en dix ans pour atteindre plus d’un hectare sur trois. Résultat, les surfaces de maïs fourrage irrigué ont plus que doublé dans les Deux-Sèvres entre 2002 et 2017, selon les données rapportées par la presse locale.

Les bassines et le maïs au service d’un même modèle ?

« Les bassines sont là pour continuer le système tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, c’est-à-dire un modèle productiviste », estime Julien Le Guet, l’un des porte-parole du collectif Bassines Non Merci. Alors que les promoteurs des mégabassines citent régulièrement le « modèle vendéen » où 24 bassines ont été construites entre 2002 et 2017, le militant s’appuie sur les données d’un récent rapport de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne. Selon ce document, sur les zones irriguées par les bassines dans le sud de la Vendée, « le maïs n’a reculé que de 2 %, alors qu’il recule davantage sur d’autres zones. Cela tend plutôt à prouver que les bassines sont là pour maintenir le tout, “quoi qu’il en coûte” », défend-il.

Le collectif Bassines Non Merci souligne également les connexions avec le grand port maritime de La Pallice à La Rochelle, deuxième port français exportateur de produits céréaliers. Les deux opérateurs du port (l’un privé, Socomac-Groupe Soufflet, l’autre coopératif, Groupe Sica Atlantique) cumulent un total de 232 cellules à grains pour stocker les céréales avant de les exporter. C’est dans ce port qu’est acheminé une partie du maïs irrigué et cultivé en Poitou-Charentes. « On voudrait des agriculteurs qui nous nourrissent et qui n’exportent pas notre eau par La Pallice, c’est-à-dire le maïs exporté pour nourrir des animaux en fermes usines », appuie Jean-Jacques Guillet, membre du collectif Bassines non merci.

« Ces agro-industriels me font penser à une vieille série TV, les Shadoks, avait souligné l’ancien porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové, lors d’un rassemblement contre ces bassines en octobre 2020. On va pomper pour monter l’eau, puis pomper pour l’amener dans les champs, enfin on pompera ce qu’il y a dans les champs pour le mettre dans des bateaux. »

« Que les choses soient claires, on ne s’oppose pas au fait d’irriguer, nous confiait récemment Nicolas Girod, le porte-parole de la Confédération paysanne. Mais ce mode de stockage de l’eau n’est rien de moins qu’une privatisation d’un bien commun. Nous sommes opposés à ces bassines, car elles ne servent qu’un seul modèle agricole : l’agriculture intensive. »

À titre d’illustration, il citait l’exemple d’une exploitation maraîchère de trois personnes dans les Deux-Sèvres utilisant environ 2000 m3 d’eau à l’année, contre près de 100 000 m3 d’eau par an pour des exploitations bénéficiant des bassines et faisant de la production animale ou de l’exportation. « L’eau doit être partagée et il faut décider collectivement ce que nous voulons en faire », disait-il.

Sortir de l’impasse

« Est-ce que le besoin en eau est compatible avec la ressource du milieu ? » interrogeait récemment Florence Habets, directrice de recherche en hydrométéorologie. En l’occurrence, dans le Poitou - Marais poitevin, les irrigants utilisent déjà plus d’eau que ce qui est produit en local dans l’année : la quantité d’eau disponible pour l’écoulement est de 150 millimètres par m2, quand les doses d’irrigation sont de l’ordre de 150 à 200 mm d’eau/m2« S’ils accentuent à l’avenir ce déséquilibre en irriguant encore plus alors que la ressource va diminuer, il y aura forcément des tensions. Il faut aussi bien choisir son type de culture : qu’est-ce qu’on irrigue ? » alertait la chercheuse.

Dans le monde agricole, deux visions continuent de s’opposer. Pour la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, pas question d’abandonner le maïs. « Bien sûr qu’on va continuer à produire du maïs, assurait l’été dernier la présidente Christiane Lambert. D’une part, il s’en produit moins qu’il y a quelques années. D’autre part, les variétés ont changé et la sélection variétale permet d’avoir aujourd’hui des espèces qui nécessitent moins d’eau », disait-elle. Elle ajoutait : « Il est nécessaire d’avoir de la production de fourrage pour maintenir l’élevage »... Oubliant au passage que les bovins sont avant tout des ruminants, c’est à dire des mangeurs d’herbe et non de maïs.

D’autres syndicats, comme la Confédération paysanne, prônent le besoin de prévenir le manque d’eau en accompagnant dès maintenant le changement de pratiques et l’évolution des systèmes. « Des pratiques préservant des sols vivants permettront de reinfiltrer l’eau, d’allonger son temps de stockage dans les sols et les nappes et de la rendre ainsi disponible pour les cultures », estime notamment le porte-parole Nicolas Girod.

Le Plan national sur la sobriété en eau, qui sera dévoilé dans quelques jours, devrait contenir une cinquantaine de mesures, sans s’attaquer à l’évolution du système agricole.

Pour l’heure, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a invité les préfets de bassins [3], qui animent la politique de l’État en matière de gestion de l’eau, à « ne pas avoir la main qui tremble pour prendre des arrêtés » de restriction d’eau. Au 13 mars, quatorze départements étaient concernés, dont les Pyrénées-Orientales et une partie des Bouches-du-Rhône, de l’Isère et de l’Ain, placés en alerte renforcée.

Sophie Chapelle

Photo de une : Irrigation d’un champs de maïs/CC BY-SA 2.0 Stéphane Mignon via Wikimedia Commons

Notes

[1Il faut en moyenne 238 litres d’eau pour produire 1 kg de maïs fourrage et 454 litres d’eau pour produire 1 kg de maïs grain, contre 524 litres pour 1 kg d’orge, 590 litres pour 1 kg de pommes de terre ou de blé, 900 litres pour 1 kg de soja, selon les chiffres du CNRS

[2L’agriculture est la première consommatrice d’eau douce en France, avec 45 % du total de la consommation, devant le refroidissement des centrales électriques (31 %), la production d’eau potable (21 %) et les usages industriels (4 %). Cette part monte à 80 % sur la période de juin à août selon le ministère de l’Écologie. D’après les données compilées par France Nature Environnement à partir du dernier recensement agricole, la part des surfaces agricoles irriguées a progressé de 14,6 % en dix ans pour atteindre 7,3 % des surfaces agricoles en 2020.

[3La France compte 12 circonscriptions administratives de bassin : Adour-Garonne, Artois-Picardie, Loire-Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée, Corse, Seine-Normandie, Guyane, Martinique, Guadeloupe, La Réunion et Mayotte. Les préfets coordinateurs de bassin sont les préfets des régions dans lesquelles les comités de bassin ont leur siège.