À Missak Manouchian, la patrie reconnaissante
La place de Missak, Français d’âme, Français par le sang versé, est au Panthéon. Il y représentera ses compagnons, le peuple de ces étrangers qui firent la France et dont la France fit des Français.
Missak, dit Michel, Manouchian, est né le 1er septembre 1906 à Hısn-ı Mansur, dans l’Empire ottoman, au centre de l’Anatolie. Son frère aîné Garabed et lui échappent de peu au génocide des Arméniens perpétré par le régime nationaliste ottoman en 1915, qui provoque la mort directe ou indirecte de leurs deux parents.
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Orphelins, ils sont recueillis par des proches, puis exfiltrés comme de nombreux survivants vers le Liban à la fin de la Première Guerre mondiale et accueillis à Jounieh dans un orphelinat francophone de la Sauvegarde du Proche-Orient, organisme humanitaire fondé par les États-Unis. Le Liban et la Syrie sont alors sous contrôle français, officialisé en 1920 par un mandat de la Société des Nations.
Apatride mais français par le coeur
En 1925, Missak a 19 ans et il débarque avec son frère Garabed à Marseille, en provenance de Beyrouth. Il a alors le statut d’apatride, matérialisé par le « passeport Nansen ». Il le gardera jusqu’à sa mort. Il se fait immédiatement embaucher aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer.
Très vite, son frère et lui suivent la voie des Arméniens qui remontent la vallée du Rhône. Eux et beaucoup d’autres vont au-delà, jusqu’à Paris. Ouvrier chez Citroën dès 1926, il se retrouve seul, après la mort de son frère en 1927. Assoiffé de culture, sportif, il fréquente aussi bien les peintres de Montparnasse, dont certains le prennent pour modèle, que les grandes bibliothèques et l’université en auditeur libre.
« Assoiffé de culture, il fréquente aussi bien les peintres de Montparnasse, dont certains le prennent pour modèle, que les grandes bibliothèques et l’université. »
Au chômage à partir de 1931 à cause de la Grande Dépression, il survit grâce à des travaux irréguliers et se consacre plus encore à la culture, à l’action syndicale et à la solidarité franco-arménienne. Après le 6 février 1934 (1), il adhère au Parti communiste français et à la section française du Comité de secours pour l’Arménie, le HOC (ou HOG).
Entre travaux manuels alimentaires, apprentissages intellectuels, écriture de poésie, traduction en arménien de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, militantisme communiste et arménien, il s’engage de plus en plus dans la lutte antifasciste et pour le triomphe des idéaux de la Grande Révolution, qui sont pour lui la marque de la France, son « pays de préférence ».
En juillet 1935, il devient cadre de l’Internationale communiste et membre du conseil central du HOC. Il prend la direction du journal hebdomadaire Zangou, publié par la section française du HOC. C’est dans ce contexte qu’il rencontre Mélinée Assadourian, elle-même orpheline du génocide et militante engagée, avec laquelle il se marie en 1936.
L’ombre des étrangers morts pour la France
Le 2 septembre 1939, veille de la déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne, il est arrêté avant même l’interdiction du Parti communiste et des organisations proches du fait de la signature du Pacte germano-soviétique le 23 août précédent. Sa volonté de se battre pour la France dès ce moment le fait libérer et il est effectivement affecté comme engagé volontaire mais, reste probable de la méfiance des autorités, dans une unité éloignée du front, dans le Morbihan.
Après la défaite de 1940, il demeure sous le contrôle des autorités, affecté à l’usine de moteurs d’avion Gnome et Rhône à Arnage, dans la Sarthe. Il s’en enfuit au début de 1941 pour rejoindre Paris et il est de nouveau arrêté le 22 juin 1941, le jour de l’invasion allemande de l’Union soviétique. Relâché pour manque de charge, il entre immédiatement dans la Résistance. Il devient rapidement responsable politique de la section arménienne de la Main-d’œuvre immigrée (MOI), rattachée au Francs-tireurs et partisans (FTP), la résistance communiste armée.
« Si elles n’ont pas vocation à changer le cours de la guerre, les opérations menées par Manouchian empêchent l’occupant nazi de se sentir en sécurité. »
Son sérieux et son courage le font nommer en juillet 1943 commissaire technique des FTP-MOI de Paris et le mois suivant commissaire militaire des FTP-MOI de la Région parisienne. Il a sous ses ordres une cinquantaine de militants qui sont les derniers combattants armés en Région parisienne, la police parisienne ayant hélas parfaitement bien fait son travail. Les groupes de la MOI ne sont alors plus organisés par nationalité, du fait du manque d’effectifs.
D’août à mi-novembre 1943, les groupes sous le commandement de Manouchian accomplissent une trentaine d’opérations dans Paris qui, si elles n’ont pas vocation à changer le cours de la guerre, empêchent l’occupant nazi de se sentir en sécurité. Leur plus important fait d’armes est l’exécution du général Julius Ritter, adjoint pour la France de Fritz Sauckel, responsable du Service de travail obligatoire (STO) en Europe. […] LIRE LA SUITE
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Publié dans la
Revue des Deux Mondes
Mars 2023
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