L’association de défense des océans Bloom vient de lancer Trawl watch, un compte Twitter permettant de suivre les pratiques des chalutiers dans les eaux françaises. Sur le modèle des comptes traquant les déplacements en jet privés, l’ONG espère braquer les projecteurs sur les impacts controversés de ces "navires usines" qui épuisent les ressources de poissons, fragilisant la biodiversité et l’activité des pêcheurs artisans.
"Prins Bernhard", "Scombrus" ou encore "Carolien", si ces noms ne vous disent rien, vous allez bientôt tout savoir sur ces navires et leurs pratiques. Ils sont en effet la cible d’un nouveau compte Twitter, lancé le 13 mars dernier par Bloom, ONG luttant contre la destruction de l’océan et des pêcheurs. Nommé Trawl watch, ou "surveillance des chaluts" en français, il vise à suivre l’activité des chalutiers pêchant dans les eaux françaises. Des bateaux immenses "mesurant jusqu’à 140m de long" qui peuvent capturer jusqu’à "400 000 kilos de poissons par jour" pour le plus grand d’entre eux, soit autant que "1 000 navires de pêche artisanale en une journée" estime Bloom dans un fil Twitter.



"Trawl watch va permettre de révéler les pratiques de ces navires dans des zones côtières, les subventions allouées à la construction de ces bateaux dans les années 90 ou encore les accords de pêche", explique à Novethic Laetitia Bisiaux, chargée de projet pour l’ONG. Car les chalutiers, peu importe leur taille ou leur capacité, peuvent pêcher sans restriction, y compris dans les aires marines protégées. Selon une étude publiée en février 2022 par l’ONG américaine Oceana, "en 2018, 26% des aires marines protégées ont fait l’objet d’une pêche à haut risque."


Un désastre pour la biodiversité et les pêcheurs


Les zones de capture sont au cœur des controverses. Les bateaux pêchent en effet parfois à seulement quelques kilomètres des côtes, là où les filets sont aussi profonds que le niveau de l’eau, raclant le fond de la mer sur leur passage. "Les gros chalutiers sont conçus pour aller loin. Ce sont des navires qui transforment le poisson à bord, qui peuvent rester plusieurs semaines sans toucher terre. Ils n’ont rien à faire dans les zones où opèrent les pêcheurs côtiers et où les poissons viennent se nourrir et se reproduire", souligne Laetitia Bisiaux. C’est le cas notamment du "Prins Bernhard" ou du "Carolien", deux immenses chaluts appartenant à une société néerlandaise, dévoile Trawl watch. Ces derniers ont été repérés à moins de 11 km des côtes calaisiennes.


Bloom pointe également du doigt des pratiques particulièrement destructrices comme la senne démersale. Cette technique consiste à déployer sur les fonds marins deux câbles mis en vibration pour créer un "mur de sédiments" qui fait fuir les poissons vers le centre de la zone encerclée. Si un chalut classique racle une largeur d’une centaine de mètres, le senneur ratisse une surface moyenne de 3 km². Un méthode qui épuise les ressources et met à genoux les pêcheurs artisans qui ne trouvent plus assez de poissons. L’Union européenne s’est prononcée contre son interdiction en septembre dernier, avec l’appui de la France, rappelle Claire Nouvian, fondatrice de Bloom.



De la sensibilisation du public à la réglementation


Pour sensibiliser le grand public à ces problématiques peu connues en dehors du monde de la pêche, l’ONG s’est inspirée du succès du compte Twitter "L’avion de Bernard", qui traque les trajets en jets privés de grands patrons. "Nous avons pris le modèle de @laviondebernard qui a permis de faire monter le problème des jets privés dans le débat public, pour que la question des méga-chalutiers soit elle aussi mise à l’agenda politique", indique Laetitia Bisiaux. En parallèle du lancement du compte, Bloom a mis en ligne une pétition pour demander l’interdiction de ces chaluts dans les eaux des États membres de l’Union européenne.


Le sujet est par ailleurs en discussion au Parlement européen. L’association soutient ainsi un amendement déposé par deux députés EELV au projet de loi pour la restauration de la nature, permettant d’exclure les bateaux de plus de 25 mètres de la bande des eaux territoriales. Car l’enjeu est bien là. "Nous avons décidé de révéler ces pratiques via Trawl watch suite à une lettre adressée à Hervé Berville, secrétaire d’état à la Mer, l’alertant sur la question des navires usines. Il nous a simplement répondu que ces pratiques étaient légales" retrace Laetitia Bisiaux. "Aujourd’hui, sous prétexte qu’il n’y a pas de garde-fou dans la réglementation, on laisse faire et surtout on ne contrôle pas." 


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