Un couple assis contre un mur

Pourquoi de plus en plus de jeunes font le choix de l'abstinence

© Willow Kaii

Libérés des injonctions à désirer et des mantras du mouvement sexpositif, les Z optent volontiers pour le célibat.

Les études sont unanimes : les jeunes font de moins en moins l'amour. Selon l’International Academy of Sex Research, 28 % des jeunes Américains n'auraient pas eu de rapports sexuels en 2021, un chiffre en hausse de 4 points par rapport à 2011. Et selon une étude parue en 2019 dans The Wall Street Journal, 36 % des 18-38 ans auraient au cours des six derniers mois déjà décliné un rapport sexuel pour regarder une série ou Netflix. En cause donc : une certaine flemme doublée d'une overdose de consommation de pornos. Et voilà les Z taxés de « génération no sex », parfois même de « régressive. » Pourtant, d'après l'enquête menée par Dazed, la situation serait bien plus nuancée.

La faute à Tumblr

L'une des raisons expliquant ce manque d'appétit sexuel serait à chercher du côté des réseaux. Dans les années 2010, Tumblr, le réseau cool de l'époque, plébiscitait de manière assez unilatérale une narration simple et à revers de la culture puritaine. Dazed résume ainsi le message véhiculé sur la plateforme au travers de citations inspirationnelles et de photos de soirées déchaînées : « le sexe n'a pas à être sacralisé, et les gens, en particulier les femmes, devaient pouvoir faire ce qu'ils veulent, avec qui ils veulent sans jugement. C'est (...) leur "choix", et leurs choix sont stimulants et valorisants. » Une déclaration implicite qui reprend une conception du féminisme dénoncée par l'avocate américaine Linda Hirshman lorsqu'elle forge en 2006 le terme de choice feminism (féminisme axé sur la notion de « choix »). L'expression désigne la croyance selon laquelle les choix individuels d'une femme sont intrinsèquement féministes, et ce, même s'ils sont nuisibles pour les femmes en tant que groupe social et favorisent les inégalités ou le statu quo patriarcal. Aujourd'hui, de nombreux internautes saturent et vident leur sac, expliquant comment ce discours les a affectés négativement durant leur adolescence au lieu de les « libérer. »

La dictature nauséabonde du mouvement sexpositif

C'est le cas de @fkamoren ou de @sadsexybat qui expliquent sur Twitter que les discours tenus sur Tumblr les ont conduites à « se faire manipuler et abuser émotionnellement. » Même constat pour Charlie, 22 ans, autrice de la newsletter Evil Female. Au média britannique, elle confie avoir été victime de la rhétorique Tumblr « selon laquelle avoir beaucoup de relations sexuelles occasionnelles et sans attaches émotionnelles était une sorte de déclaration politique et esthétique, un témoignage du féminisme, qui rendait cool, détachée et cosmopolite. » Après avoir décidé de réévaluer sa relation à son corps et ses partenaires, Charlie a choisi de s'abstenir de relations sexuelles pendant un an et demi. Un phénomène loin d'être anodin. De nouvelles données Google ont récemment montré que les recherches autour du terme celibacy (abstinence) avaient augmenté de 90 % au Royaume-Uni, tandis que sur TikTok, le #celibacy dépasse les 183 millions de vues. Aucune motivation religieuse invoquée dans les témoignages. L'écrivaine et mannequin dronme explique, par exemple : « Ma décision d'arrêter d'avoir des relations n'a rien à voir avec un livre sacré ou une puissance supérieure. Je ne me réserve pas pour Dieu ou le mariage. Je ne ressens aucune honte et je ne suis pas dégoûtée par le sexe ou les fluides intimes. C'est juste que je ne m'amusais plus. »

L'ascèse du samedi soir

Le discours de dronme s'inscrit dans une tendance de fond, celle de la fameuse sex recession observée dans les sociétés occidentales et dentifiée en 2018 par The Atlantic. Selon la British National Surveys of Sexual Attitudes and Lifestyles, les Britanniques ont eu moins de relations sexuelles en 2019 que les années précédentes. Des résultats consolidés par les éditions 2020 et 2021 du sondage faisant état d'une nouvelle baisse de l’activité sexuelle. Même observation partagée par The New York Times et Le Monde, qui révèlent en 2022 les résultats d'un sondage mené auprès d'un millier de jeunes âgés de 15 à 24 ans : 43 % d'entre eux n'ont pas eu de relation sexuelle au cours de l'année précédente. En cause : l'envie de se concentrer sur soi. Mais aussi un désintérêt assumé et généralisé, couplé à un léger dégoût pour la hook up culture (la culture des coups d'un soir) et le casual sex (sexe sans attache émotionnelle). « J'ai envie de désapprendre mon rapport malsain au sexe et aux idées qui l'entourent », confie Anna*, 21 ans, à Dazed.

Cette mouvance ne concerne pas uniquement les femmes. Sur Reddit, une communauté de jeunes hommes célibataires s'est développée : les « volcels ». Sur le subreddit Volcel créé en 2016, quelque 1300 membres échangent au sujet de leur style de vie. À l'inverse des incels, ils ont opté délibérément pour le célibat et l’abstinence, que cela soit suite à un traumatisme ou par envie de se concentrer sur leur carrière et leurs amis. En 2022, Riley Dyson, 20 ans, explique à NBC Today : « J'ai découvert qu'il y avait toute une communauté en ligne pour les personnes qui ne sont tout simplement pas prêtes pour une relation, les personnes qui n'en veulent pas ou les personnes qui sont plus axées sur leur carrière. Soudain, mes choix d'être célibataire et plus solitaire ont pris beaucoup plus de sens, sachant que d'autres personnes faisaient le même choix. »

« Sex negative » ? Pas vraiment, non

À partir de là, les médias se sont un peu emballés, affublant comme Rolling Stones en 2021 la génération Z du sobriquet de « puriteens » (ados puritains), et la traitant même de « sex negative », à l'instar de Novara Media en 2022. Cela ne signifie par pour autant que les jeunes sont condamnés à prendre indéfiniment à rebours le mouvement sexpositif des années 2010. Comme l'explique Izzy Ampil dans Buzzfeed, la réalité est plus complexe, entre recherche d'intimité, envie d'expérimenter et besoin de s'éloigner des scripts conçus par le porno. D'après un rapport Pornhub, les 18-24 ans représentent 27 % du trafic de la plateforme, en faisant le groupe d'âge le plus consommateur. Pour beaucoup d'entre eux, il s'agit surtout d'apprendre à décorréler l'estime de soi et le nombre de partenaires sexuels. Dans son ouvrage Tomorrow Sex Will Be Good Again publié en mars 2021, Katherine Angel rappelle que « le sexe est une conversation, et comme toute conversation, elle peut être prometteuse – ou elle peut décevoir. » Il nous faut « essayer de comprendre ce que l'on veut. Mais nous ne nous contentons pas de déterminer ce que nous voulons et d'agir ensuite en fonction de cette connaissance. Déterminer ce que nous voulons est le travail de toute une vie. »

*Le prénom a été changé

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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