Une femme assise à un bureau

Les sans-abris, un accessoire comme les autres sur LinkedIn

© cyano66

Sur le réseau social professionnel, des internautes utilisent les SDF pour faire leur autopromotion ou expliquer la genèse de leur dernière idée business.

Après les posts pseudo inspirants qui font l'apologie du travail acharné et de la startup nation, arrivent les publications qui utilisent la vie des sans-abris pour faire leur publicité. Ou comment on en arrive à raconter tout et n’importe quoi au nom du développement personnel et du partage de leçons de vie.

SDF et concepts marketing foireux

Depuis quelques mois, les références aux personnes sans-abris se multiplient sur LinkedIn. Plus seulement pour sensibiliser au sujet de conditions de vie insupportables allant de mal en pire, mais pour mettre en avant son entreprise ou sa personne au travers d’une narration soignée et très scriptée (accroche en début de post, multiples sauts à la ligne, emojis flammes ou planète, etc…). Et pour ce faire, le SDF est devenu un accessoire comme un autre.

Il s’agit donc de présenter l’historique de sa startup (l’idée est apparue à l’auteur alors que ce dernier assistait à une scène touchante dans un squat du 18ème), de proposer un énième concept permettant d’optimiser son ciblage publicitaire (si les SDF savaient un peu mieux s’y prendre pour appâter leur audience, ils pourraient facilement tripler leurs revenus en faisant la manche) ou encore d’énoncer une leçon de vie apprise sur le tard (partager avec ceux qui ont moins est important). Il faut aussi bien compter sur ceux qui explicitent à grands renforts de détails larmoyants pourquoi est-ce qu’ils préfèrent acheter un sandwich à un sans-abri plutôt que de se payer une troisième Moscow Mule en soirée (cela les enrichit autrement que financièrement) et sur ceux qui alimentent le mythe de la méritocratie en racontant le cas d’un homme ayant passé 30 ans sous un pont avant de s’en sortir en apprenant les fondamentaux du marketing.

« C'est mon côté SDF »

Parmi ces publications, une dernière sous-catégorie urticante se dessine : celles où les auteurs se présentent eux-mêmes comme des SDF. Sous prétextes qu’ils ont passé les deux dernières années à télétravailler depuis Bali ou en voyage suite à leur rupture conventionnée leur permettant de toucher un chômage équivalent à deux Smics. Petit rappel : ce n'est parce que vous voyagez entre la Bolivie et le Yucatan avec un sac Deuter sur le dos sans savoir exactement dans quel lodge écolo semi-luxueux vous dormirez demain que vous êtes un sans-abri (variante : un poète vagabond, un nomade, un ménestrel etc...). C'est pourtant ce qu'un nombre croissant de publications ne manquent pas de raconter, en toute décontraction. C'est le cas de celle partagée par un homme « inspiré et performant au quotidien », qui aurait dépensé 106 000 euros en deux ans en Airbnb (soit 53 000 euros par an, le salaire moyen français dans le privé étant de 39 600 euros en 2022 selon l'INSEE). Il vivrait en voguant d’hôtel en hôtel, « une vie dure ». Rassurez-vous, elle lui plaît : il a voulu d'une « vie pleine d'expériences » et n'aurait jamais été satisfait d'une « petite vite tranquille. » C'est son côté SDF.

Publications à gogo : reprenons-nous

Passons rapidement sur l'indécence et le ridicule individuel de ces posts pour analyser la tendance. Il semblerait qu'il soit collectivement accepté de faire feu de tout bois pour se raconter sous toutes les coutures. En résumé : il est désormais possible de tout déposer (le séisme en Afghanistan, la guerre en Ukraine etc.) sur l'autel du personal branding, ce marketing personnel qui tend à cartographier ses valeurs, son expérience et sa personnalité à destination de son entourage (qui s'en fout). On le savait déjà, l'époque fait que l'on adore parler de soi, se diagnostiquer, s'expliquer, s'analyser. La tendance est d'autant plus vivace sur Linkedin aujourd'hui que notre relation au travail se complexifie. Alors que les salariés les plus privilégiés s'offrent une remise en question (nécessaire) au sujet de leur place dans le monde du travail, est-il indispensable de mêler les personnes sans-abris à ce grand déballage d'états d'âme ?

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Excellent ! Entre ça et les coachs autoproclamés en tout, on frise l’indigestion.

  2. Avatar Avatr dit :

    Plutôt intéressant je partage moi aussi ce sentiment d'être un peu sdf margi'al dans mon petit appart dans une résidence chic au cœur d'un jardin tropical alors que je me lève uniquement pour déposer ma femme au travail et qu'ensuite je retourne au lit

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