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Il y a 20 ans, l’invasion de l’Irak : la nouvelle vie des familles du groupe terroriste Daech

© Charles Thiefaine

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Par Wilson Fache pour la RTBF

À cause d’un père, d’un frère ou d’un mari qui avait rejoint l’organisation terroriste État islamique, des milliers de familles irakiennes vivent comme des parias en marge de la société, considérées comme coupables par association. Mais cinq ans après la fin de la guerre contre Daech, l’heure est à la réconciliation.

C’est un bazar abandonné situé en périphérie de Mossoul, ex "capitale" en Irak du groupe État islamique. "Bienvenue chez moi. Là, il y a la cuisine et la salle de bain… Et ici, il y a le salon qui sert également de chambre", raconte Ahlam en montrant la pièce éclairée au néon d’un geste de la main. Depuis la fin de la guerre, cette mère de 37 ans et ses cinq enfants vivent dans ce magasin aménagé en habitation. C’est elle la cheffe de famille depuis que son mari Jassem – membre du groupe État islamique – a été tué dans une frappe aérienne.

"J’aurais souhaité que mon mari choisisse une autre voie. Tout le monde meurt un jour mais j’aurais préféré qu’il décède dans des circonstances normales. Au moins, nous aurions pu obtenir un peu plus de soutien. Et nous aurions pu organiser des funérailles avec une vraie tombe. Nous aurions pu lui rendre visite chaque semaine", raconte Ahlam, assise sur le canapé à côté de l’une de ses filles, plongée dans ses devoirs.

Une quinzaine de familles affiliées à Daech ont trouvé refuge dans ce bazar situé dans le quartier d’Al-Intissar. Au départ, la cohabitation avec les habitants du quartier fut compliquée, admettent plusieurs de ces femmes, car certains résidents les tenaient pour responsable des crimes commis par l’organisation terroriste, elles qui ont un mari, un frère ou un père qui avait rejoint les djihadistes et a depuis été tué ou emprisonné.

Il y a 20 ans, l’invasion de l’Irak : la nouvelle vie des familles du groupe terroriste Daech.
Il y a 20 ans, l’invasion de l’Irak : la nouvelle vie des familles du groupe terroriste Daech. © Charles Thiefaine

"Ils ont compris que nous n’étions pas dangereux"

"Nos relations avec nos voisins étaient initialement tendues", confie Sahba, 42, qui vit ici avec ses six enfants depuis 2018. "Au début, certains enfants du quartier harcelaient et parfois frappaient nos enfants, les accusant d’être des ‘fils de Daech’. Et leurs parents aussi nous rejetaient. Mais la situation va beaucoup mieux. À force de vivre à côté de nous, ils ont compris que nous n’étions pas dangereux et certains nous viennent même en aide maintenant".

Face au bazar, une longue file commence à se former face à un camion appartenant à une organisation humanitaire locale, venue distribuer des bouillottes électriques à ces familles. Abu Walid, un résident du quartier, explique les raisons qui l’ont poussé à leur venir en aide : "Ce garçon, ce garçon, et celui-ci, ce ne sont que des enfants. Leurs pères sont décédés ou sont en prison, mais quelle est la culpabilité de l’enfant ?", demande-t-il en pointant du doigt le groupe d’enfants qui l’entoure.

"Peut-être qu’à l’avenir, l’un d’entre eux voudra devenir officier ou médecin, mais ils n’ont pas de papiers en règle et ne peuvent donc pas recevoir d’éducation. Demain, ils auront 20 ans. S’ils n’obtiennent pas un emploi correct, ils choisiront peut-être la même voie que leurs pères", met-il en garde.

La plupart des familles qui logent aujourd’hui dans ce bazar ne sont pas originaires de Mossoul mais de villages alentour où elles ne peuvent désormais plus rentrer. Certaines femmes expliquent que leur maison a pu être endommagée dans les combats et qu’elles n’ont pas les moyens de payer les travaux de rénovation. Les écoles sont aussi meilleures à Mossoul que dans de petits villages. Surtout, ces veuves sont devenues, malgré elles, des cheffes de famille à la mort de leur mari et doivent donc travailler. Or, les opportunités d’emploi sont plus nombreuses en ville.

Il y a 20 ans, l’invasion de l’Irak : la nouvelle vie des familles du groupe terroriste Daech.
Il y a 20 ans, l’invasion de l’Irak : la nouvelle vie des familles du groupe terroriste Daech. © Charles Thiefaine

Vengeance tribale

Mais leur exil s’explique aussi par les menaces qui pèsent sur certaines d’entre elles. "Certaines de ces familles ne peuvent pas retourner chez elles car leur lieu d’origine est régi par les lois tribales. Il y a donc un risque qu’elles subissent des actes de vengeance", analyse une travailleuse humanitaire pour une ONG occidentale.

"Dans certaines zones rurales, ce système tribal fait que si, par exemple, un membre de Daech appartenant à telle tribu a tué quelqu’un appartenant à une autre tribu, cette dernière se vengera contre les membres de la première. Les enfants des membres de Daech pourraient donc être en danger, c’est pourquoi ces familles préfèrent vivre en ville plutôt que de retourner chez elles. Elles sont donc plus en sécurité ici car l’influence tribale est moins forte dans les grandes villes et ici les membres de la communauté respectent la loi civile et non pas la loi tribale."

Ahlam, elle, n’est pas menacée par le risque de vengeance tribale mais préfère vivre à Mossoul pour les opportunités offertes pas une grande ville. Au fil des années, elle a su rebâtir une vie pour sa famille malgré la stigmatisation. Elle a trouvé un travail, ses enfants sont scolarisés et ils ont pu aménager leur abri grâce à des donations.

​​​​​​​Oser l’espoir

Il est presque 18 heures. C’est l’heure de passer à table. C’est Sara, 15 ans, qui est derrière les fourneaux. "J’ai perdu mon père mais maintenant ma mère est à la fois ma mère et mon père, elle est ma sœur et mon frère, elle est toute ma famille. Donc, la situation ne m’a pas trop affectée, ma mère est à mes côtés… Mais… je suis tout de même triste d’avoir perdu mon père", dit l’adolescente avec un sourire triste.

La situation de cette famille reste précaire mais s’est nettement améliorée. La mère et sa fille aînée travaillent dans une usine et mettent de l’argent de côté pour pouvoir bientôt quitter le bazar et – c’est leur rêve – emménager dans une maison du quartier.

"Je dois être forte pour ma famille. Je dois toujours espérer que demain sera meilleur. Je dois les aider à réaliser leurs rêves, en espérant qu’on puisse bientôt vivre dans une vraie maison et non pas un magasin", raconte Ahlam au moment de se mettre à table. Après les années de guerre et d’obscurantisme, cette famille ose l’espoir. La paix, dit Ahlam, semble enfin à portée de main.

Sur le même sujet : extrait du JT du 23/03/2023

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