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Comment un milliard de mètres cubes d'eau potable est perdu chaque année en France

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Par
  • France Bleu

Alors qu'Emmanuel Macron doit dévoiler le "plan eau" du gouvernement ce jeudi, France Bleu s'intéresse aux fuites sur les réseaux d'eau potable. Près d'un milliard de m³ sont perdus chaque année, soit 20% de la production annuelle. Quelles sont les causes ? Comment y remédier ? Explications.

En France, 20% de l'eau potable produite s'échappe, via des fuites sur le réseau. En France, 20% de l'eau potable produite s'échappe, via des fuites sur le réseau.
En France, 20% de l'eau potable produite s'échappe, via des fuites sur le réseau. © Getty - Aleksandr Apanasenok / EyeEm

En France, 20% de l'eau potable produite s'échappe, via des fuites sur le réseau. Selon les chiffres de l'Office français de la Biodiversité, cela représente 937 millions de mètres cubes d'eau perdus chaque année, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d'habitants (les Régions Ile-de-France et Occitanie réunies). Autrement dit, pour cinq litres d'eau mis en distribution, un litre revient au milieu naturel sans passer par le consommateur.

"Un réseau où l'on ne perdrait rien, c'est impossible, ça n'existe pas. L'objectif, c'est d'en perdre le moins possible", explique d'emblée Vazken Andréassian, hydrologue à l'Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Mais comment faire ? On vous explique.

Quelles sont les causes ?

Sur l'ensemble du territoire français, le réseau d'eau potable représente 900.000 kilomètres de canalisations, 875.000 kilomètres rien qu'en métropole. Les causes de ces fuites d'eau sont donc multiples. Tout d'abord, il y a l'âge des canalisations. D'après l'Office français de la biodiversité et l'Inrae, 60% du réseau français a été posé après les années 1970 et a donc environ 50 ans (or, les durées de vie retenues pour l’évaluation du besoin de renouvellement sont estimées entre 50 à 80 ans).

Mais l'âge des canalisations est très variable selon les territoires : par exemple, pour les 36 départements dépendants de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, qui s'étend de l'Auvergne à la pointe bretonne, les réseaux sont sensiblement plus jeunes que ceux de la façade est de la France.

Le vieillissement des canalisations est bien souvent associé à l'usure des joints d'étanchéité, la corrosion, causée naturellement par l'eau, abîme également les tuyaux.

Autre facteur qui peut provoquer l'apparition de fuites : les mouvements de sols. La sécheresse de l'été dernier a ainsi aggravé la situation par endroits, selon Marillys Macé, directrice générale du Centre d'information sur l'eau : "Avec les mouvements de sol dus à la sécheresse, ça a encore plus cassé que d'habitude. Cela a été le cas dans des villes et le milieu rural n'a pas été épargné."

"Ça peut être aussi la pression élevée de l'eau ou des incidents d'origine extérieure qui peuvent entraîner une percée des canalisations. Donc, il y a de multiples causes, mais ça reste lié à l'usure des canalisations ou à leur fragilité", commente Sophie Portela, cheffe de projet services publics eau et assainissement au sein de l'Office français de la biodiversité.

Une grande disparité selon les départements

Tous les territoires ne sont pas touchés de la même manière par cette problématique des fuites sur le réseau d'eau potable. La France compte environ 10.000 services des eaux - chargés de la distribution, de la collecte et de l'épuration - gérés par les collectivités locales. Pour évaluer les pertes, ils sont soumis à un indicateur : le rendement du réseau de distribution d'eau potable. Actuellement, ce rendement s'élève à 80% en moyenne en France, "ce qui veut dire qu'il y a à peu près 20% de fuites d'eau sur le réseau", souligne Sophie Portela, en charge également de Sispea, l'Observatoire national des services d’eau et assainissement.

Un chiffre global qui cache de fortes disparités, dans l'ouest de la France, sur quasiment toute la façade Atlantique, les rendements sont supérieurs à 80%, même chose en Ile-de-France. À l'est, certains départements comme le Doubs, le Haut-Rhin ou le Bas-Rhin progressent également. Dans d'autres territoires, du sud-est de la France notamment, les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence par exemple, la situation est bien plus compliquée, avec des rendements entre 60 et 70% seulement.

Les départements d'Outre-mer ont, eux aussi, de grandes difficultés. Le rendement est même en dessous de 60% en Guadeloupe. Cela signifie que sur l'île, 40% de l'eau injectée dans les tuyaux ne va pas jusqu'au consommateur.

Rendement moyen du réseau de distribution des services d'eau potable
Rendement moyen du réseau de distribution des services d'eau potable - Sispea
Rendement moyen du réseau de distribution des services d'eau potable en Outre-mer
Rendement moyen du réseau de distribution des services d'eau potable en Outre-mer - Sispea

Globalement, ce sont les grandes métropoles qui ont un rendement assez élevé. "Dans le Grand Paris par exemple, on a des taux de fuites qui sont assez faibles, car on a un réseau d'eau qui est globalement très dense, assez maillé, sur lequel on peut intervenir facilement, explique Guillaume Dolques, chercheur à l'Institut de l'économie pour le climat. Les grandes collectivités ont aussi les moyens notamment d'investir dans ces réseaux." À l'inverse, les collectivités plus rurales ont des "linéaires de réseaux d'eau beaucoup plus longs pour aller desservir chaque hameau ou chaque logement isolé", souligne le chercheur, et pas forcément la capacité financière pour investir.

"Quand vous avez des tuyaux qui vous incombent et qui sont sous une route nationale où passent des camions toute la journée, on peut comprendre que les vibrations aussi fragilisent les canalisations, insiste Maryllis Macé, du Centre d'information sur l'eau, association créée par les professionnels assurant la gestion des services publics d’eau et d’assainissement en France. Quand on a des terrains en montagne, c'est la même chose. Au-delà du sous-investissement, on a aussi des impératifs géographiques qui font que toutes les canalisations ne sont pas à la même enseigne."

De l'énergie gâchée

Quand on parle de "pertes d'eau potable", cela signifie surtout beaucoup de gâchis. En effet, "l'eau n'est jamais détruite", souligne Vazken Andréassian. "Si elle est perdue par le réseau, elle s'infiltre dans le sol, dans le sous-sol. Si on est au bord de la mer, elle va suinter vers la mer donc, elle est perdue pour l'eau douce. Mais sinon, elle va finir par rejoindre une nappe souterraine. Et puis d'une nappe souterraine, elle se propagera vers une rivière", explique l'hydrologue.

Le problème d'un point de vue environnemental réside dans le fait que cette eau a été traitée, mise dans le réseau et que cela a donc consommé beaucoup d'énergie. "On a fait des dépenses pour ça, donc c'est gâché. Et puis quand on est en période de sécheresse et que toute cette eau est prise dans les ressources et notamment dans les rivières et qu'elle n'arrive pas aux consommateurs, pendant ce temps-là, elle manque au milieu naturel, qui lui s'est réchauffé, qui a besoin de plus d'eau, pour les animaux, la flore, etc", renchérit Maryllis Macé.

À l'heure où la sécheresse menace de très nombreux départements français, arrêter de gâcher de l'eau potable devient un enjeu majeur. En Haute-Corse ou en Ariège par exemple, le stock d'eau dans les nappes souterraines est faible et l'été, les petits cours d'eau sont parfois asséchés. "Donc, on est vraiment sur des systèmes où les ressources en eau sont fragiles", précise Eddy Renaud, ingénieur en eau potable dans une unité de recherche de l'Inrae.

"Si on venait à ne rien faire, on aurait de plus en plus de pertes de fuites en réseau. On aurait une pression encore plus forte sur les ressources naturelles, donc sur les cours d'eau, sur les lacs, toutes les sources d'approvisionnement en eau potable. Donc ça aurait un impact, d'un point de vue quantitatif, sur la ressource en eau", souligne Sophie Portela.

"Jusqu'à aujourd'hui, on était plutôt dans une posture un peu de réaction. On réagit face à un choc. Ça a été le cas par exemple l'été dernier avec la sécheresse. Jusqu'à maintenant, ça marchait assez bien parce que les chocs climatiques étaient d'ampleur assez moindre et leur récurrence était plutôt faible, analyse Guillaume Dolques. Aujourd'hui, on rentre dans un monde où le GIEC nous dit que l'importance des chocs, que ce soit en intensité, en durée ou en fréquence, va augmenter. Cette logique réactive va finalement commencer à avoir ses limites."

Un renouvellement du réseau qui coûte cher

D'un point de vue économique, ces pertes d'eau potable ont aussi un coût, même s'il reste variable en fonction du territoire. "Si on est dans un endroit où on a une ressource qui est de bonne qualité, où on a besoin de faire des traitements finalement assez minimes et où on a un système sans grosses stations de traitement, sans trop de pompage, le coût de production de l'eau va être assez faible, explique Eddy Renaud, de l'Inrae. Inversement, quand on va être dans des endroits où il y a des traitements lourds, où il y a des grandes distances de transport de l'eau, le coût de production, lui, va être plus important."

En octobre 2022, l'Union des industries et entreprises de l'eau (UIE) a publié une étude sur les enjeux financiers liés à l'eau en France. Il y est indiqué qu'au vu de l'âge des réseaux d'eau potable, l'investissement annuel de renouvellement s'élèverait à 2,7 milliards d’euros. "Ce sont des investissements globalement très importants" et "quasi entièrement portés aujourd'hui par les collectivités", note Guillaume Dolques.

Pour le chercheur de l'Institut de l'économie pour le climat, "le problème de la perte en efficacité de la distribution d'eau, c'est un phénomène qui va a priori s'accroître. Donc, à un moment donné, il faut qu'on se pose la question de combien ça coûte, combien est-ce que ça va coûter" dans les prochaines années, si rien n'est fait. Dans le contexte d'inflation que l'on connaît actuellement, avec un prix des matériaux en hausse notamment, "cela pourrait se traduire par une augmentation du prix du service d’eau et une baisse du nombre d’opérations d’investissement, ce qui se traduirait par un besoin de renouvellement physique accru", estime l'UIE.

Quelles solutions pour y remédier ?

1. Mieux connaître son réseau

Les experts s'accordent à dire que les pouvoirs publics ont pris conscience de l'enjeu de traiter ces fuites sur le réseau d'eau potable. Et pour remédier à ce problème, il faut déjà que les collectivités aient une meilleure connaissance de leur réseau. Selon Sophie Portela, "ça va être un préalable pour, derrière, mettre en place une politique de gestion patrimoniale. Il y a la partie connaissance des réseaux qui est importante. Il faut aussi pouvoir géolocaliser ces réseaux sur un système d'information géographique." C'est-à-dire avoir un outil qui cartographie les canalisations, mais aussi le matériau utilisé, le diamètre ou encore l'âge du réseau.

Aujourd'hui, les collectivités sont dans une phase transitoire : il y a encore des communes en France qui gèrent l'eau potable ou l'assainissement. Mais d'ici au 1er janvier 2026, toutes vont devoir transférer leurs compétences vers des communautés de communes, des communautés d'agglo, des métropoles, des communautés urbaines ou des syndicats. Pour aider les collectivités, Sispea, l'Observatoire national des services d'eau et d'assainissement, a créé des guides à leur destination pour apprendre à mieux gérer leur réseau.

2. Repérer et réparer les fuites

Les gestionnaires doivent également aller chercher les fuites. "Certaines ne font pas de bruit, on ne s'en aperçoit pas tout de suite, donc ça coule gentiment", explique Maryllis Macé, directrice du Centre d'information sur l'eau. Des équipements peuvent être mis en place pour repérer ces fuites comme l'installation de capteurs sur les canalisations : "Vous avez un tableau de bord centralisé où vous voyez dans votre ville tous vos tuyaux. Et ça s'allume quand il y a une fuite détectée." Une autre méthode, plus artisanale, revient à dépêcher des techniciens, équipés d'écouteurs, qui captent les sons souterrains et reconnaissent quand il y a un débit d'eau anormal.

Quand une fuite est repérée, il faut alors poser un diagnostic, en identifiant la fuite et sa localisation précise. D'où l'importance d'avoir une bonne connaissance de son réseau. "Les outils de gestion patrimoniale vont permettre de pouvoir optimiser les interventions en réseau, soit pour une maintenance très localisée, parce qu'il y a une fuite à un endroit, soit pour prévoir les investissements pour renouveler les réseaux", résume Sophie Portela, cheffe de projet services publics eau et assainissement à l'Office français de la biodiversité. Si les collectivités ne veulent pas se retrouver face à un mur financier, il faut anticiper, optimiser les moyens.

3. Renouveler le réseau

Ensuite, vient la solution la plus coûteuse : le renouvellement des canalisations. En France, le rythme de rénovation du réseau est "beaucoup trop faible parce qu'on n'est même pas à 1% de rénovations annuelles. Et à ce rythme-là, avant que tout soit rénové, il va falloir attendre plus d'un siècle", estime Maryllis Macé, directrice du Centre d'information sur l'eau.

Eddy Renaud estime lui qu'il ne faut renouveler que quand c'est nécessaire : "Ce qui est primordial, ce n'est forcément de faire plus, c'est de faire mieux." "Si on est dans un endroit où il n'y a pas trop de tension sur la ressource, on n'a pas, ni d'un point de vue économique, ni d'un point de vue environnemental, intérêt à renouveler. Parce que renouveler, ça veut dire amener des tracteurs, des pelleteuses, ça veut dire faire des grands trous, enlever un tuyau ou le laisser sur place donc faire un déchet. Ensuite, fabriquer de nouveaux tuyaux, quelles que soient les technologies, ça a un coût environnemental important, précise l'ingénieur de l'Inrae. C'est comme si on luttait contre le froid avec des climatiseurs. Si on lutte contre les fuites en aggravant le changement climatique, on n'a pas gagné grand-chose, en tout cas sur le long terme."

4.  Soutenir les collectivités

Réparer ou renouveler un réseau d'eau, ça coûte cher. Les gestionnaires se retrouvent à devoir faire face à des dépenses conséquentes s'ils veulent entretenir leurs canalisations. Sophie Portela les invite à planifier au maximum : "Il faut s'y atteler maintenant et faire le nécessaire pour planifier l'ensemble de ces réparations et de ces renouvellements dans les prochaines années de manière progressive. Parce que de toute manière, il faut prévoir le budget chaque année. Et comme ces montants sont importants, on est obligé de l'étaler dans le temps." Et pour réduire les coûts, il y a aussi la solution d'une mutualisation des moyens avec une autre collectivité.

Aider financièrement les collectivités est donc nécessaire pour les experts, surtout en zone rurale. "Dans les campagnes, c'est là où il va y avoir beaucoup de fuites, mais c'est là où il n'y a pas d'argent. Et donc ça veut dire qu'il faut remettre des systèmes qui font aller de l'argent des villes vers les campagnes", plaide Eddy Renaud. Il pense notamment à un modèle qui reprendrait le fonctionnement du Fonds national de développement des adductions d’eau, supprimé en 2005 : "Avec ce système, la redevance était perçue sur l'ensemble des usagers de l'eau, y compris les villes. Mais les seuls qui pouvaient se servir de cet argent-là, c'était dans les campagnes. Tout l'argent, toutes les subventions étaient données pour alimenter en eau les campagnes."

Guillaume Dolques estime lui que tous les acteurs de l'eau et l'État doivent se mettre autour de la table et planifier les investissements, les solutions techniques à mettre en place : "Se poser la question de ce que seront les sécheresses chroniques dans cinq ans, dix ans, mais déjà ce qu'elles sont aujourd'hui finalement, et de mettre en place les instances de dialogue, les investissements, les moyens d'ingénierie nécessaires."

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