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Climat

Climat : esquisse d’une France à +4 °C

Dans une France à + 4 °C, les périodes de production agricole devront être décalées en raison des sécheresses répétées.

Le réchauffement global est inéluctable, a rappelé le Giec lundi 20 mars. En France, cela pourrait se traduire par une hausse des température de 4° C. Sécheresse, eau rare... Voici à quoi s’attendre.

On l’attend dans le courant du printemps. Le ministère de la Transition écologique a annoncé en février qu’il rendrait prochainement publique sa stratégie d’adaptation du pays, pour faire face à un réchauffement de 4 °C. Les détails manquent encore, mais cette réponse à une « trajectoire » jugée « pessimiste » par le ministre viendra compléter son pendant « optimiste » à seulement 2 °C. À ces deux qualificatifs, le directeur adjoint scientifique à Météo France Jean-Michel Soubeyroux en préférerait plutôt un troisième : réaliste. « À 4 °C, nous ne sommes pas dans un film catastrophe scénarisé par des scientifiques farfelus. C’est le scénario où nous amènent les politiques mondiales actuelles. »

Pour cerner ce que cela implique, il faut aller puiser dans les projections climatiques de Météo France [1]. En 2020, un ensemble de projections connu sous le nom de jeu Drias-2020 a calculé les niveaux de réchauffement probable de la France métropolitaine au XXIᵉ siècle par rapport à la période 1976-2005. Il est important de noter que cette période de référence n’est pas celle du Giec, qui se réfère au demi-siècle 1850-1900 considéré comme l’ère préindustrielle. Cela rend les comparaisons délicates.

D’après le jeu Drias-2020, la moyenne des 4 °C serait atteinte durant la seconde moitié du XXIᵉ siècle dans un scénario de fortes émissions. Sans surprise, dans cette France-là, le réchauffement sera nettement plus sensible l’été. Le nombre de jours de vagues de chaleur ou de canicules pourrait être multiplié par 5 à 10 ; ces phénomènes extrêmes pourraient s’étaler sur plus d’un mois, démarrer en mai pour ne finir qu’en septembre. Le nombre de nuits tropicales dans le nord de la France, où la température ne descend pas en dessous de 20 °C, pourrait atteindre 30 à 50 jours par an. « L’été 2022 a marqué les esprits, rappelle le climatologue. Mais il correspond à une hausse moyenne de 2,9 °C par rapport à 1850-1900. On est encore loin du compte. »

Hécatombe chez les plus de 75 ans ?

Comment vivra-t-on dans cette France… et d’abord comment y mourra-t-on ? La surmortalité liée aux canicules étant d’ores et déjà avérée et mesurée, faut-il craindre des hécatombes chez les plus de 75 ans ? « Cela dépendra de la façon dont nous nous serons adaptés ou pas », répond Jean-Michel Soubeyroux. Après tout, lors de la canicule de 2003, températures et humidité à Paris équivalaient à celles de Séville lors d’un été moyen, alors que dans la cité andalouse, les conséquences sanitaires n’y ont pas été aussi graves. La raison ? Un bâti adapté aux fortes températures, et une population habituée.

Autre sujet brûlant : l’effet des sécheresses sur l’agriculture. Cette fois encore, tout dépendra des modalités d’adaptation. « Il y a une profonde réflexion à mener sur ce que devra être la production agricole dans une France à 4 °C, insiste Jean-Michel Soubeyroux. Ce ne sera sûrement pas celle d’aujourd’hui. En théorie, des températures plus hautes en toutes saisons et la raréfaction des gelées permettront de décaler les périodes de production agricole afin d’éviter, en plein été, à la fois l’échaudage des cultures et la confrontation avec une ressource en eau à la baisse. Il faudra privilégier les modes d’irrigation et les cultures les plus sobres possibles, éviter les conflits avec les autres usagers de l’eau, tout en nourrissant les populations. Ce n’est pas simple… »

À 4 °C, 85 % des vignobles seraient rayés de la carte. Pexels/CC0/Jiill Wellington

Un exemple : la vigne. En 2019, une étude internationale suggérait que 56 % des régions viticoles actuelles dans le monde auraient disparu en 2100 avec un réchauffement planétaire de 2 °C. Alors qu’à 4 °C, on verrait carrément 85 % des vignobles rayés de la carte. Et dire que c’est une plante tolérante à la chaleur… Et en France ?

Interrogé sur le sujet, le géographe et climatologue au CNRS-université Rennes 2, Hervé Quénol, hésite avant de se prononcer : « Un horizon de 2 °C est déjà très contraignant. À 4 °C, ce sera nettement plus brutal. Il faudra sortir de la quinzaine de cépages principaux aujourd’hui utilisés et implanter des cépages vraiment adaptés aux températures, voire à la sécheresse. » En contrepartie, de nouveaux terroirs s’ouvriront au vin dans la moitié nord du pays puisque, en moyenne, chaque degré de température gagné autorise un déplacement de la vigne de 200 kilomètres vers le nord.

Adieu soles, merlus, maquereaux…

Mais une grande inconnue demeure : l’état de la ressource en eau. Concernant les précipitations, le jeu Drias-2020 prédit une légère hausse, mais assortie d’une grande incertitude. « Certains modèles climatiques annoncent un peu plus de pluies, d’autres plutôt un peu moins », note Jean-Michel Soubeyroux. En moyenne, on s’attend néanmoins à davantage de précipitations en hiver, et moins en été. La moitié nord de la France restera plus arrosée que la moitié sud, cette dernière connaissant des baisses dans certaines régions.

« La variabilité naturelle continuera à exister, poursuit le scientifique de Météo France. Dans cette France à 4 °C, toutes les années ne se ressembleront pas, il y en aura toujours des sèches et des plus humides. En année sèche, ce sera beaucoup plus dur que ce qu’on a connu en 2022. » Pour mémoire, en 2023, le réchauffement moyen en France par rapport à 1850-1900 n’est « que » de 1,7 °C.

Si les environnements humains peuvent espérer profiter d’une adaptation, il n’en sera pas de même des écosystèmes naturels. À commencer par le premier de ces parents pauvres : l’océan. Dans toutes les mers du globe, le changement climatique réchauffe les eaux de surface. En France, si les courants de marée et les vents d’ouest permettent un brassage des eaux sur l’ouest et le nord, il n’en est pas de même en Méditerranée.

« Avec son régime de marées faibles, elle va se réchauffer beaucoup plus vite que l’Atlantique ou la Manche. Les écosystèmes y seront plus vulnérables, pronostique Bruno Lansard, enseignant-chercheur en sciences de l’environnement marin à l’université de Versailles. Comment les communautés phytoplanctoniques ou microbiennes vont-elles s’adapter à cette tropicalisation ? Bien malin qui saura le dire. Or le phytoplancton est à la base de la chaîne alimentaire océanique : sans lui, il n’y a ni soles, ni merlu, ni maquereaux. »

En raison du fort réchauffement de la Méditerranée, les soles pourraient disparaître dans une France avec un réchauffement de +4 °C. Ifremer/CC/Dugornay Olivier (2012)

Quant à l’augmentation du niveau des océans, elle ne sera pas la même à 2 ou à 4 °C. La hausse du niveau moyen est actuellement de 3 à 4 mm par an sur les côtes françaises. « À l’horizon 2100, ça fait environ vingt-cinq centimètres. Mais c’est une limite basse, le phénomène n’est pas linéaire et peut s’emballer, complète Bruno Lansard. Si ça fond plus vite que prévu en Antarctique ou au Groenland, on pourrait atteindre un centimètre par an. Certaines estimations correspondant à une France à 4 °C vont jusqu’à un mètre en 2100. » Cette montée, inexorable, va se poursuivre durant des siècles.

Le plus délicat, dans cet exercice de projection, reste de cerner les répercussions sociales, à long terme, du changement climatique. Une France à 4 °C sera-t-elle un pays socialement chaud ? Nul ne saurait le prédire, mais une analyse mérite d’être entendue, celle de Jean-Paul Vanderlinden, enseignant-chercheur en économie écologique et études de l’environnement à l’université de Versailles : « Plus une société est inégalitaire, plus elle est vulnérable aux chocs. Est-ce que la France à 4 °C sera plus vulnérable ? Ma conviction est : oui. Car l’incertain exacerbe les inégalités », explique-t-il.

Et de donner l’exemple du Covid-19, « typique » : « Une fenêtre énorme d’opportunités s’est ouverte, et tout d’un coup il y a eu une redistribution des richesses vers les plus influents qui ont su en profiter. C’est platement normal. Une France à 4 °C, c’est ça. Elle ne sera pas invivable parce qu’il y aura des vagues de chaleur ; elle sera invivable si elle n’a pas réussi à se transformer en profondeur pour éviter que l’espace d’opportunités soit confisqué par une minorité. »

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