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Vêtu de déchets, ce Sénégalais milite contre la pollution plastique

Depuis dix-sept ans, Modou Fall arpente plages, écoles ou tournois de luttes pour sensibiliser à la pollution plastique.

Modou Fall, « l’homme plastique », arpente le Sénégal depuis plus de quinze ans pour sensibiliser ses concitoyens aux dangers des déchets plastiques.

Dakar (Sénégal), reportage

Et si les vrais héros ne portaient pas de cape ? Sur la plage de Yarakh, à l’ouest du Sénégal, l’imposant Modou Fall attache précautionneusement les fils de son costume fait de centaines de déchets plastiques collés les uns aux autres.

Malgré la chaleur, cet habitant de Guédiawaye, en banlieue de Dakar, enfile son béret militaire, fixe son pin’s aux couleurs sénégalaises et accroche fièrement sa médaille nationale de l’ordre du Mérite. Sous le regard de quelques curieux, il passe autour de son cou la dernière touche de la panoplie de Plastic Man, la pancarte « Non aux sachets plastiques ».

© Louise Allain/Reporterre

C’est sous cette deuxième identité que l’ancien militaire de cinquante ans arpente depuis dix-sept ans plages, écoles ou tournois de luttes du Sénégal pour sensibiliser à la pollution causée par les déchets plastiques. « Celui-ci vient de Mauritanie », peste le géant en montrant du doigt un sachet jaune, perdu dans un tapis multicolore composé de bouts de plastiques et de restes de filets de pêche.

Les bouillons Maggi cohabitent avec les yaourts Dolima, le poivre ou les biscuits Biskrem et jonchent le sol de cette plage de la baie de Hann, autrefois prisée des touristes. « Chaque jour, 5 millions de sacs plastiques sont jetés à Dakar. C’est un fléau », dit le militant écologiste, les yeux rivés sur cet amas de déchets à deux pas de l’océan.

Autrefois, la baie de Hann était prisée des touristes. © Guy Peterson / Reporterre

Entre plusieurs va-et-vient dans l’eau rendue noire par les écoulements nauséabonds des industries, trois pêcheurs s’arrêtent pour féliciter « l’homme plastique ». « Bravo à toi ! Ta voix est très importante », s’enthousiasme Gaetan Coly, en wolof.

Après trente ans de pêche, cet enfant de Hann constate que « les truites de mer ont disparu et le reste des poissons se fait de plus en plus rare dans les filets. Au contraire du plastique, de plus en plus présent ». « C’est du poison pour la planète et surtout pour la santé de l’être humain, dit Modou Fall. Et c’est à chaque citoyen de prendre ses responsabilités pour que cela cesse », conclut le super-héros sous les hourras.

Depuis 2006, la protection de l’environnement est devenue « le combat » de la vie de Modou Fall. « J’en ai eu assez d’entendre les touristes se plaindre de la saleté, au marché de Sandaga de Dakar. Un jour, je me suis décidé à tout nettoyer et cela m’a permis de constater que le plastique constituait l’immense majorité des déchets. » Un déclic pour le Sénégalais qui a décidé de lancer une association, Sénégal propre, pour poursuivre son engagement pour son pays en troquant la tenue de militaire pour celle de militant.

« C’est à chaque citoyen de prendre ses responsabilités pour que ce fléau cesse », estime le Sénégalais. © Guy Peterson / Reporterre

En 2011, l’activiste a alors eu une idée pour donner plus de visibilité à sa cause : « Je me suis inspiré des tenues de sniper pour me constituer un uniforme qui symbolise les amas de plastiques sur les plages et me suis lancé dans des marches quotidiennes. »

Entre 2011 et 2014, le justicier Plastic Man, comme l’a surnommé un journaliste anglais, était partout. Sa popularité a explosé au rythme des kilomètres qu’il a parcourus et son style original a commencé à faire le tour des médias et des réseaux sociaux, où il est aujourd’hui suivi par plus de 10 000 personnes.

« On m’a souvent pris pour un fou »

« On m’a souvent pris pour un fou. Encore aujourd’hui, j’essuie des critiques », explique-t-il en dépassant un groupe d’enfants qui tirent sur son costume, interloqués. Et le gouvernement sénégalais ? « J’ai travaillé avec eux pendant quelques années », dit-il, amer. Point d’orgue de cette collaboration, sa décoration de la médaille de l’ordre national du Mérite pour service rendu à la nation en 2016.

Depuis, les relations se sont dégradées. « J’ai compris que j’étais une mascotte mais que je n’étais pas pris au sérieux. J’ai arrêté de courir après les ministres… », balaie-t-il en s’arrêtant sous une bâche pour partager un café Touba avec des pêcheurs. « Son action est magnifique », dit l’un d’eux avant d’avaler une gorgée de cette boisson poivrée typiquement sénégalaise dans un gobelet en carton.

Dans les marchés, le plastique reste roi

Un détail que ne manque pas de souligner Modou Fall. La quasi-disparition des gobelets en plastique est la conséquence de l’entrée en vigueur en 2020 d’une loi contre le péril plastique qui proscrit les plastiques à usage unique ou jetable, comme les gobelets, les couverts, les pailles ou les sachets. Elle a remplacé un texte de 2015 difficilement applicable sur l’interdiction du plastique de faible micronnage (moins de 30 microns).

« Une bonne loi pourtant mort-née », juge le super-héros en montrant des commerçantes emballer leurs poissons dans des sachets. Si l’interdiction a eu un effet dans les grandes surfaces, au niveau des petits commerces, le plastique reste roi. Avec un regroupement d’associations mené par Zéro Déchet Sénégal, l’homme plastique dénonce qu’aucun décret de mise en application de la loi de 2020 n’a été pris.

« Chaque jour, 5 millions de sacs plastiques sont jetés à Dakar. C’est un fléau », dit l’activiste. © Guy Peterson / Reporterre

« Il faudrait mettre en place des contrôles et des sanctions. D’autant que les solutions existent ! » insiste Modou Fall, en énumérant : « Il faut encourager la production de sacs réutilisables en tissu ou en papier, les consignes des bouteilles systématiques en grande surface et les filières pour recycler le plastique à usage unique en briques ou en tapis. Aujourd’hui, on ne recycle que le dur (bidons ou flacons), car le kilo de plastique jetable ne rapporte que 75 francs CFA (0,11 euro). »

Résultat : les associations estiment qu’au Sénégal, seuls 5 % des 200 000 tonnes de déchets produits chaque année sont recyclées. « Pour moi, cela démontre que l’environnement n’est pas une priorité politique. Donc, les industriels ne jouent pas le jeu et les citoyens ne suivent pas le mouvement », se désespère-t-il en interpellant Magath Fall, vingt ans, qui jette son mini sachet d’arachides vide sur la plage. « Tout le monde le fait », se défend le jeune, bien que conscient que son détritus mettra « cinquante ans à se décomposer ». « 400 ! » le reprend alors Modou Fall.

Au Sénégal, les associations estiment que seuls 5 % des 200 000 tonnes de déchets produits chaque année sont recyclées. © Guy Peterson / Reporterre

« Au Sénégal, on sait conjuguer le verbe jeter à toutes les formes mais le verbe ramasser n’existe pas », dit Valentin Mendy. À 55 ans, cet enseignant a connu l’homme plastique, dont il juge la cause noble, par internet. « Les mentalités évoluent doucement », juge le Dakarois. Mais, à l’image des sachets d’eau filtrés vendus 50 francs CFA (0,08 euro) et consommés par de très nombreux Sénégalais, « on ne peut pas reprocher à des gens qui doivent d’abord penser à se nourrir de ne pas avoir de conscience environnementale ».

Depuis ses débuts, Modou Fall constate ces progrès et a vu l’apparition de collectifs, d’associations ou encore la fondation allemande Heinrich Boll pour le soutenir. De quoi pousser le pionnier à ranger le costume ? « J’aimerais prendre ma retraite, me consacrer à mon métier de pépiniériste et à ma famille, mais je ne peux plus reculer », assure celui qui concède avoir ralenti depuis quelques mois, inquiet pour sa sécurité. « Je ne me rends plus qu’aux événements auxquels je suis sollicité car cela devient dangereux de sortir tout seul. J’ai déjà été pris à partie par des commerçants ou reçu des menaces de mort de la part d’industriels du plastique. » Pas de quoi décourager l’activiste. Bientôt, il parcourra à nouveau les 250 kilomètres entre Dakar à Saint-Louis afin d’écrire un nouveau chapitre dans les aventures de Plastic Man.



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