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Impasses palestiniennes (1/3)

"À Gaza ou en Cisjordanie, la situation est totalement désespérée pour les jeunes Palestiniens"

De passage à Paris, l’ancien négociateur palestinien et avocat spécialisé dans les droits de l’Homme Ghaith al-Omari, fervent défenseur du dialogue et de la solution à deux États, a accordé un long entretien à France 24. Ce premier volet est consacré à la jeunesse palestinienne et à ses maigres perspectives d’avenir.

Des membres d'une famille palestinienne dans une charrette tirée par un âne dans une allée de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, le 23 décembre 2021.
Des membres d'une famille palestinienne dans une charrette tirée par un âne dans une allée de Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, le 23 décembre 2021. © Mohamed Abed, AFP (archives)
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Avocat spécialisé dans les droits de l’Homme et chercheur éminent au sein du groupe de réflexion du Washington Institute for Near East Policy, Ghaith al-Omari est un acteur reconnu du processus de paix israélo-palestinien, au point mort depuis 2014.

Ancien négociateur palestinien, notamment au sommet de Camp David et aux pourparlers de Taba, et ancien conseiller du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas jusqu’en 2006, il était de passage à Paris cette semaine pour la présentation du projet "Murmuré depuis Gaza" auquel il a participé. Il s’agit d’une série de courts-métrages animés mettant en scène des témoignages de Palestiniens racontant leur quotidien difficile sous l’emprise du mouvement palestinien Hamas.

L'ancien négociateur palestinien Ghaith al-Omari, le 22 mars 2023 à Paris.
L'ancien négociateur palestinien Ghaith al-Omari, le 22 mars 2023 à Paris. © Marc Daou, France 24

 

L’occasion pour Ghaith al-Omari d’accorder un entretien à France 24 où il aborde, dans ce premier volet, les difficultés et les obstacles rencontrés par la jeunesse palestinienne dans un contexte de crise économique et de paralysie politique, à la fois à Gaza et en Cisjordanie occupée. Il évoque aussi les tensions avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu, le plus à droite de l'histoire d'Israël, qui excluent pour le moment tout espoir de relance du processus de paix.

France 24 : Le projet "Murmuré depuis Gaza" rappelle les difficultés de la vie quotidienne des Palestiniens vivant sur ce territoire contrôlé par le Hamas et sous blocus israélien depuis 2007. Quelles sont aujourd’hui les perspectives pour un jeune Palestinien de 20 ans ?

Ghaith al-Omari : Aujourd’hui, à Gaza ou en Cisjordanie occupée, la situation est totalement désespérée pour les jeunes Palestiniens. Les perspectives sont extrêmement limitées pour les jeunes Gazaouis. Ils n’ont pas d’options. La possibilité de trouver un emploi dans ce territoire est inexistante, l’économie ayant été détruite à cause du blocus israélien mais aussi à cause des pratiques du Hamas. Aujourd'hui, si un jeune – ou un moins jeune d’ailleurs – veut faire des affaires à Gaza, il doit être soit membre soit proche du Hamas. S’il ne l'est pas, il n'a aucune chance d’y parvenir. C'est pourquoi nous voyons tant de jeunes de Gaza prendre d’énormes risques pour émigrer via la mer Méditerranée. Tous les jours, ou tous les deux jours, nous entendons parler de Palestiniens qui se noient en essayant de rejoindre l'Europe. D’autres décident de prendre les armes et de rejoindre les groupes armés.

En Cisjordanie occupée, la situation est également sans espoir. La situation économique est certes un peu meilleure, car le territoire est plus ouvert aux marchés israélien et jordanien, mais il n'y a pas non plus beaucoup de perspectives. L'occupation israélienne limite le développement économique, tandis que la corruption qui règne au sein de l'Autorité palestinienne génère elle aussi un manque d'opportunités pour la jeune génération.

Ce n'est pas seulement l'économie qui est morte dans ces deux territoires, la vie politique y est morte aussi puisqu’il n'y a pas non plus d'espace pour l'activisme politique. Selon un sondage que j’ai récemment consulté, 50 % des Gazaouis estiment qu'ils ne peuvent pas critiquer le Hamas en toute sécurité, et 50 % des habitants de la Cisjordanie occupée estiment qu'ils ne peuvent pas critiquer l'autorité palestinienne en toute sécurité. La vie politique palestinienne n'a jamais été démocratique, mais elle était vivante et active. Les jeunes Palestiniens pouvaient rejoindre le Fatah, de petites formations, et devenir politiquement actifs et importants, et réussir. Aujourd'hui, cela n'existe plus, parce que cet espace politique s'est fermé. Vous ne pouvez pas critiquer l'Autorité palestinienne sans risquer d’aller en prison. Il en va de même à Gaza avec le Hamas, comme on peut le voir dans "Murmuré depuis Gaza". Donc lorsque vous n'avez pas d'opportunités économiques et que vous êtes privé d’espace politique, vous finissez par être désespéré.

Cette jeune génération croit-elle encore dans la politique et la démocratie ? Vous parlez de désespoir. Que faut-il faire pour leur redonner espoir ?

Si vous regardez le public palestinien en général, aujourd'hui, il ne fait confiance à personne. Les Palestiniens n'ont pas confiance dans les intentions d'Israël d'aller de l'avant, et n'ont pas plus confiance dans leurs gouvernants pour améliorer leur quotidien. C'est le résultat d’une combinaison de plusieurs raisons : l'échec du processus de paix, l'échec et l'incurie des dirigeants, et la fermeture de l'espace politique. Nous ne pouvons rien faire pour le processus de paix aujourd'hui en raison de ce qui se passe en Israël, mais nous pouvons faire beaucoup pour les réformes et la gouvernance.

Premièrement, la communauté internationale doit recommencer à prendre des mesures concernant les relations entre les Palestiniens et les Israéliens parce qu'on ne peut pas parler des affaires domestiques palestiniennes sans parler de l'occupation israélienne. La communauté internationale doit faire pression, avec l’appui des nouveaux partenaires arabes d’Israël, sur le gouvernement israélien pour qu'il prenne des mesures qui nous rapprocheront de la fin de l'occupation. Elle doit également adopter des positions plus fermes lorsque certains ministres israéliens, comme Bezalel Smotrich qui ne reconnaît même pas l'existence des Palestiniens, font des déclarations inacceptables.

Deuxièmement, nous devons faire pression sur les alliés des dirigeants palestiniens, tant à Gaza qu'à Ramallah, pour qu’ils libèrent un espace politique pour ceux qui ne se reconnaissent pas en eux. En ce qui concerne le Hamas, il faut regarder du côté de ses soutiens régionaux : le Qatar, qui est son principal bailleur de fonds, et la Turquie, son principal soutien politique. Ces deux pays sont sensibles aux pressions européennes et américaines, puisque Doha est un important partenaire commercial de l'UE et des États-Unis, et que la Turquie est membre de l'Otan. Quant à l’Autorité palestinienne, la communauté internationale doit travailler avec ses alliés arabes, la Jordanie et l'Égypte.

Enfin, troisièmement, il faut se pencher sur la situation économique et tenter de traiter directement avec le secteur privé palestinien. Nous devons trouver des projets sur le terrain qui bénéficient à un grand nombre de Palestiniens ou bien des projets qui investissent dans le secteur privé afin de permettre à ce dernier d'être indépendant et de résister aux pressions des gouvernants, souvent corrompus.

Vous avez participé à plusieurs rounds de négociations en tant que négociateur palestinien. Diriez-vous à un jeune Palestinien de toujours croire en la solution à deux États, c’est-à-dire d'un État palestinien coexistant avec Israël ?

Oui, car il n’y a tout simplement pas d’alternative à cette solution. Si l'on se penche sur la nature et les fondements même du conflit, on peut voir qu’il s'agit d'un conflit entre deux mouvements nationaux qui ont un lien très fort avec la même parcelle de terre, et qui ont également une identité propre très forte. Pourquoi l’État d’Israël a-t-il été créé ? Parce que le peuple juif avait besoin d'un pays à lui, pour sa propre sécurité, mais aussi afin de pouvoir exprimer librement son identité. Si vous regardez du côté des Palestiniens, vous verrez qu’ils veulent la même chose. Leur identité nationale et leur connexion avec cette terre sont très fortes aussi. C’est pourquoi l'idée d'un État unique n'est pas une bonne solution. Quelle serait sa langue officielle, l'hébreu ou l'arabe ? Son drapeau porterait-il les couleurs israéliennes ou palestiniennes ? Si vous réunissez ces deux identités nationales dans un même État, elles ne disparaîtront pas. Simplement, d'un conflit diplomatique, vous passerez à une guerre civile. Si vous réunissez les Palestiniens et les Israéliens dans un seul État, vous devrez détruire soit l'identité israélienne soit l'identité palestinienne, or aucune de ces solutions n'est morale et aucune n'est réaliste. En fin de compte, seule la solution à deux États, où chaque nation peut exprimer ses aspirations et son identité, est valable.

Le défi aujourd'hui, puisqu’on ne peut pas obtenir une solution à deux États en raison de la faiblesse politique du côté palestinien et de l'extrémisme du gouvernement israélien actuel, est de s’assurer avant tout que la possibilité d'une solution à deux États reste viable et possible pour les générations futures. C'est la raison pour laquelle la question des colonies israéliennes est capitale. Il faut également veiller à ce que le système politique palestinien reste intact. S'il s'effondre, il n’y aura plus personne à qui parler du côté palestinien. C'est pourquoi il faut réformer l'Autorité palestinienne et faire renaître l'espoir dans la validité de la coopération en encourageant les initiatives économiques conjointes et en poursuivant la coopération en matière de sécurité. Car au final, on sait que l’État d'Israël est là pour rester et ne disparaîtra pas, tout comme les Palestiniens ne disparaîtront pas non plus. Donc le seul moyen de résoudre ce conflit est le dialogue. Même si, aujourd'hui, il est impossible.

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