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Excision en Afrique : quand les hommes aussi veulent en finir

La majorité des Africains se déclare contre les mutilations génitales féminines, une pratique qui demeure un fléau dans plusieurs pays. Le risque d’y être exposée a pourtant été divisé par trois en vingt ans.

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Publié le 27 mars 2023 à 19h00, modifié le 05 avril 2023 à 09h52

Temps de Lecture 6 min.

Groupe de parole mixte dans une école primaire en Somalie, en février 2014, pour expliquer les multiples conséquences graves de l’excision (mutilations génitales féminines, MGF) et changer les normes sociales.

« Tant que les hommes exigeront des femmes excisées, il y aura des femmes exciseuses et des mères pour les soutenir. » Ces mots forts ne sont pas prononcés par une militante de la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF), mais par un homme. Babacar Sy a 46 ans. Il est travailleur social à Kolda, en Casamance, dans le sud du Sénégal : « Dans ce combat difficile, il faut cibler les hommes, car ce sont eux qui ont le pouvoir de décision, eux qui président aux cérémonies, même si ce sont les femmes qui font le geste. »

Cela fait quinze ans que Babacar Sy travaille auprès des jeunes sur les questions de santé sexuelle et reproductive, qu’il informe, explique, accompagne garçons et filles pour qu’ils comprennent de quoi il est exactement question quand on parle de « pratiques néfastes ». Mais aussi pour qu’ils entrent en pleine possession de leur corps à l’aube de l’âge adulte. Qu’un espace soit ouvert pour « interroger les normes sociales toxiques. La plupart du temps, c’est par ignorance que ces pratiques perdurent. Les jeunes filles ne savent pas pourquoi elles enchaînent les infections, les douleurs, avant même d’avoir commencé leur vie sexuelle », explique le professionnel. Son engagement est devenu une vocation à 28 ans, lorsqu’il a dû prendre en charge une jeune fille que l’excision avait handicapée à vie. « Je l’ai accompagnée sur le chemin de la reconstruction. Aujourd’hui, elle a un travail et elle est autonome. Elle m’a beaucoup marquée. Sur le terrain, la mission devient personnelle, vous brûlez de faire savoir combien les femmes sont résilientes. »

Pour Brehima Ballo, « c’est d’avoir vu l’une de mes cousines excisée saigner beaucoup et tant souffrir que j’ai compris que cette pratique n’apportait rien à la femme, à part des ennuis ». Ce Malien de 48 ans a créé et dirige l’Association pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (Amsopt) et travaille en partenariat avec l’ONG française EquiPop, avec laquelle il mène des programmes au Mali et au Burkina Faso. « C’est durant mes études universitaires que je me suis intéressé à la santé sexuelle. J’ai compris que je voulais changer les choses. Lever les tabous dans les communautés. C’est un défi vraiment fort. »

Paradoxe

Babacar Sy et Brehima Ballo font partie de cette génération d’hommes dont le regard a changé sur les relations hommes-femmes, sur les conditionnements à déconstruire qui ne trouvent plus de justifications dans les traditions ni la religion. En plus du travail quotidien des services sociaux dépendants des ministères de la santé des pays africains, où les hommes trouvent leur place année après année, le programme conjoint du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) et de l’Unicef a soutenu plus de 3 000 initiatives militantes masculines ces cinq dernières années pour porter un plaidoyer de zéro tolérance.

Une lame de fond qui s’appuie sur un constat étonnant. Alors que les actes de mutilation perdurent presque partout sur le continent, les hommes y sont majoritairement opposés. En Ethiopie par exemple, l’un des trois pays où le taux d’excision des filles est le plus élevé avec l’Egypte et la Somalie, 87 % des hommes se sont déclarés contre, selon une analyse de l’Unicef mise en avant le 6 février lors de la Journée internationale dédiée à la lutte contre les MGF.

Ce qui apparaît comme un paradoxe dans ces pays où entre 85 % et 98 % de la population féminine a subi une excision partielle ou totale du clitoris, des grandes lèvres, avec parfois une fibulation – qui consiste à coudre entre elles les petites lèvres – pourrait bien se révéler l’un des leviers les plus puissants pour la reléguer aux oubliettes de l’histoire. « C’est une bataille de longue haleine, rappelle Julie Dubois, spécialiste de la protection de l’enfant au sein du programme FNUAP-Unicef lancé en 2008. Mais cette stratégie, associée à la sensibilisation des jeunes filles et des mères, porte ses fruits. En vingt ans, le risque pour les filles d’être exposées a été divisé par trois. »

Si l’on regarde en effet les chiffres de plus près, on voit une nette tendance au déclin pour la génération des 15-19 ans. L’Ethiopie enregistre de vrais progrès avec une baisse du taux de prévalence de 79 % à 47 % en 2016 sur cette tranche d’âge. Idem pour l’Egypte, l’Erythrée, le Soudan, le Burkina, la Mauritanie et le Libéria.

Résistances tenaces

Mais les résistances sont tenaces et les crises économiques, l’instabilité politique, les conflits, les déplacements de populations, les pandémies qui déstabilisent les structures sociales et les relais de santé freinent les actions de plaidoyer.

Brehima Ballo en sait quelque chose. Sur le terrain, son action sociale et sanitaire continue, mais la lutte militante a marqué le pas. Son association Amsopt mène une bataille contre l’Etat malien, signataire, à l’instar de 48 autres pays du continent, du Protocole de Maputo (2003-2005), un texte ambitieux de l’Union africaine (UA) relatif aux droits humains qui garantit l’intégrité physique des femmes et la lutte contre les MGF. « Il s’agit d’une loi supranationale que le Mali a ratifiée, explique Brehima Ballo. Face à l’échec des discussions pour accélérer l’éradication de ces pratiques néfastes à laquelle l’Etat s’est engagé, nous avons introduit en 2020 une plainte auprès de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest pour “défaut de protection de ses enfants et non-respect du Protocole”. Mais la CEDEAO a exclu le Mali de ses rangs après les deux coups d’Etat de 2020 et 2021. La cause des femmes est donc suspendue au retour de la démocratie dans notre pays », se désole-t-il.

Est aussi observée une tendance à la médicalisation des MGF notamment en Egypte, au Soudan, en Guinée, à Djibouti, au Kenya et au Nigeria, où une fille sur dix a été excisée par un professionnel de santé. « Quand le geste s’installe à l’hôpital, comme c’est le cas en Egypte, explique Julie Dubois, il est beaucoup plus difficile de l’éradiquer, car les familles s’abritent derrière le soignant, garant d’une relative sécurité sanitaire. Elles sont persuadées qu’elles ne prennent aucun risque pour leur enfant. »

Pis, le geste se pratique de plus en plus tôt, comme en Côte d’Ivoire, pourtant l’un des champions ouest-africains de la lutte avec des taux de prévalence de 36,7 % (15-49 ans) et de 10,9 % (0 à 14 ans) : « Beaucoup d’Etats du continent ont adopté des lois qui punissent de plusieurs années d’emprisonnement et d’amendes les auteurs de MGF. C’est une bonne chose, mais on ne change pas les mentalités de toute une population en faisant de la répression, analyse Ghislain Coulibaly, fondateur et président du Réseau des hommes engagés pour l’égalité de genre en Côte d’Ivoire. L’infatigable militant a participé à l’élaboration de la Stratégie nationale d’autonomisation de la femme de son pays. Cela aboutit à renforcer la culture du secret que nous combattons et nous voyons des bébés excisées au berceau, lors des cérémonies d’accueil dans la communauté. »

« Parler aussi de sexualité »

Le sociologue, à l’instar de tous les « he for she » (hommes engagés pour l’égalité), est convaincu que seule la pédagogie fait émerger de nouvelles normes sociales élaborées par les communautés elles-mêmes. Dans les causeries de village et de quartier, la question de la santé des femmes met tout le monde d’accord. « C’est l’argument le plus efficace, témoigne le Sénégalais Babacar Sy. Il faut du temps pour préparer un auditoire, parler d’anatomie et des graves conséquences de l’excision. Mais quand on sent que la salle est prête, on leur montre photos et vidéos, ils entendent la parole des femmes elles-mêmes. A ce moment-là, les gens sont touchés dans leur chair et beaucoup pleurent, même les hommes. Ce n’est que comme cela que toute une communauté en arrive à déclarer publiquement l’abandon de l’excision. »

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A l’appui de cette démonstration, les chefs traditionnels et religieux, musulmans comme catholiques, s’associent davantage à la lutte. Comme la Fondation Djigui La Grande Espérance, créée il y a vingt ans par l’imam ivoirien Cissé Djiguiba qui parcourt la région et les plateaux télé pour convaincre que ces pratiques n’ont rien à voir ni avec l’islam ni avec l’impureté supposée des femmes. « Aujourd’hui, nous travaillons ensemble, se réjouit Ghislain Coulibaly. Tant que les femmes continuent d’être des victimes de toutes ces violences, c’est tout le pays qui est perdant, y compris sur le plan économique. »

Un argument qui fait aussi son chemin auprès des décideurs politiques et a été évalué par la Banque mondiale en 2018 dans son rapport « Et si le développement était une femme ». Pour ce seul pays, le deuxième plus riche d’Afrique de l’Ouest, la perte de revenus due aux inégalités s’élève chaque année entre 6 et 8 milliards de dollars.

Mais le signe qu’un changement profond est en cours, ce sont ces maux échangés encore timidement dans l’intimité des groupes de parole. « Les hommes viennent désormais aussi parler de leur sexualité. Du désarroi qu’ils vivent face à la souffrance de leur femme. C’est un sujet encore tabou, mais les hommes qui s’engagent le font aussi parce qu’ils veulent en finir avec le malheur », explique Babacar Sy. « Santé du couple, plaisir, douleur, épanouissement, les préjugés tombent quand le dialogue s’installe », conclut le Malien Brehima Ballo.

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