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Luttes

Gérald Darmanin veut dissoudre Les Soulèvements de la Terre

Plus de 30 000 personnes ont manifesté contre la mégabassine de Sainte-Soline, le 25 mars 2023.

En réponse à la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur a annoncé la dissolution prochaine des Soulèvements de la Terre, l’un des collectifs organisateurs. Plusieurs écologistes et politiques se disent « sous le choc ».

L’annonce est tombée brutalement mardi 28 mars. Gérald Darmanin a annoncé qu’il engageait la procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre, lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale mardi 28 mars.

Le ministre de l’Intérieur estime que « ce groupement de fait » est à l’origine des actions violentes survenues lors du rassemblement contre les mégabassines à Sainte-Soline les 25 et 26 mars. « Violences répétées, attaques contre les forces de l’ordre, appels à l’insurrection… Les Soulèvements de la Terre ont encore montré à Sainte-Soline la menace qu’ils représentent », a tweeté le ministre.

Les Soulèvements de la Terre ont dénoncé dans un communiqué de presse « une tentative crapuleuse par le ministre de l’Intérieur de faire baisser l’attention sur les violences meurtrières qu’il a déchaînées contre les manifestantes de Sainte-Soline. Il s’agit là encore d’étouffer un mouvement politique fédérateur qu’il considère comme un affront. Après l’attaque brutale pour briser les corps samedi, vient naturellement le pendant politico-judiciaire ». Ils s’interrogent sur la possibilité juridique d’une dissolution de leur collectif. « Nous sommes bien curieuxses de voir ce que représenterait la “dissolution” d’une coalition qui regroupe des dizaines de collectifs locaux, fermes, sections syndicales, ONGs à travers le pays. »

Ils craignent que leur compte Twitter ne soit plus accessible. Ils invitent donc à les suivre sur une boucle Telegram, leur compte Mastodon ou leur blog de Mediapart.

Le mouvement des Soulèvements de la Terre était depuis plusieurs semaines dans le viseur de l’État. Un rapport des renseignements territoriaux qui a « fuité » dans Le Parisien en décembre dernier décrivait un « inquiétant virage radical des activistes écologistes ». « Le mouvement des SLT affiche la volonté de fédérer au-delà des sphères de l’ultragauche et a su incarner le concept de transversalité des luttes, en rassemblant associations, syndicats et mouvements écologistes autour de combats communs. »

En novembre dernier, Gérald Darmanin avait qualifié ses membres d’« écoterroristes ». Une façon de criminaliser les militants politiques pour minimiser les crimes climatiques.

« Sous le choc »

Présente lors de la manifestation à Sainte-Soline le samedi 25 mars, la députée La France insoumise (LFI) Clémence Guetté s’est dite « sous le choc », « abasourdie » par cette annonce : « Après l’intense répression policière de Sainte-Soline, on se doutait que la répression prendrait d’autres formes, a-t-elle déclaré à Reporterre, alors qu’elle rentrait de la mobilisation contre la réforme des retraites. Mais là, le gouvernement déploie un outil supplémentaire. »

En effet, pour son confrère Loïc Prud’homme, Gérald Darmanin avait préparé le terrain à l’occasion de la loi séparatisme : « Elle introduit une grande part d’arbitraire et permet au gouvernement de museler toutes les formes de contestation, même les plus légitimes, à partir du moment où elles pratiquent la désobéissance civile. On attend d’en savoir un peu plus sur le contenu du dossier, mais il faut faire très attention à ce que l’arbitraire ne devienne pas la règle dans notre pays. Nous sommes sur une pente dangereuse. »

Les Soulèvements de la Terre ont été lancés en mars 2021. Il s’agit d’un rassemblement de plusieurs collectifs écologistes qui luttent contre l’accaparement des terres agricoles. Ils ont organisé plusieurs séries d’actions : aux jardins des Vaîtes à Besançon, contre la RN88 au Pertuis en Haute-Loire et à Saint-Colomban en Loire-Atlantique ou encore contre les chantiers de construction du Grand Paris. Ils sont l’un des collectifs organisateurs de la mobilisation contre la mégabassine de Sainte-Soline, avec notamment la Confédération paysanne.

« Ce n’est pas une possible dissolution qui éteindra le feu autour du dérèglement climatique »

Nicolas Girod, éleveur et porte-parole de la Confédération paysanne, estime d’ailleurs auprès de Reporterre que Gérald Darmanin « est à côté de la plaque. Ce n’est pas une possible dissolution qui éteindra le feu autour du dérèglement climatique. Au contraire : elle va souffler sur les braises. Cette annonce intervient suite aux affrontements et à la répression policière brutale survenus à Sainte-Soline. Plutôt que d’endosser la responsabilité de l’État dans ces violences, M. Darmanin préfère retourner la faute aux organisateurs ».

Nicolas Girod estime que les Soulèvements sont une organisation « qui a un rôle important dans les luttes écologistes. Certes, face à l’urgence et à la nécessité d’agir, elle utilise des formes de lutte plus avancées, avec des dégradations matérielles — je n’appelle pas cela des violences. Mais c’est aussi grâce à cela que l’on a pu mettre le problème du partage de l’eau au centre du débat public. Vouloir mettre un couvercle là-dessus, c’est indécent et dangereux. Ce n’est ni courageux, ni à la hauteur de l’urgence écologique et climatique ».

Le député européen Benoît Biteau (EELV), qui était également à Sainte-Soline, qualifie cette décision d’« éclairage supplémentaire de la régression de la démocratie dans ce pays ». Pour lui, « Les Soulèvements de la Terre sont des citoyens qui se fédèrent pour restaurer le dialogue complètement absent autour des mégabassines et, plus largement, sur la gestion de l’eau », dit-il à Reporterre. Et d’ajouter : « Ils apportent une lueur d’espoir de sortie de crise, et on les flingue. Je me demande si M. Darmanin a vraiment envie d’en sortir par le haut, regrette l’élu-paysan. Ce n’est en tout cas pas en bâillonnant ce mouvement que l’exécutif éteindra la non-acceptation sociale de ses projets. »

Pour Jean-François Julliard, le directeur de Greenpeace : « Cette annonce n’a aucun sens. Ça fait des mois qu’on demande aux différents ministres des réponses sur tout un tas de sujets écologiques… sans succès. La seule réponse du gouvernement semble être celle-ci : une possible dissolution d’une organisation écolo. Ça me met en colère. Et surtout, si cette procédure aboutissait, elle ne résoudrait rien du tout. »

Et d’ajouter : « Darmanin jette de l’huile sur le feu, afin de détourner l’attention et de ne pas avoir à parler des problèmes de fond : le partage de l’eau, les réactions disproportionnées des forces de police. Il emploie le terme d’“écoterrorisme”, mais le terme de “terrorisme” a une définition précise, qui renvoie à des attentats, des prises d’otage. Je ne connais pas en France d’associations écologistes terroristes. »

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