Le plus brillant sursaut gamma livre ses premiers secrets

Les sursauts gamma sont parmi les événements les plus énergétiques que l’on connaisse dans le cosmos. Celui repéré le 9 octobre 2022 a une énergie telle qu’il ne se produirait qu’une fois tous les dix mille ans ! L’armada de télescopes qui a pris sur le fait ce phénomène a livré une moisson de données à toutes les longueurs d’onde, dont les premières analyses sont présentées le 28 mars 2023 dans une série d’articles. Trois astronomes les décryptent pour nous.

Découverts fortuitement à la fin des années 1960, les sursauts gamma (GRB) proviennent de tout l’Univers et leur rayonnement est enregistré à l’aide de satellites spécialisés. Ainsi, une fois par jour en moyenne, ces satellites enregistrent un intense flash de photons très énergétiques – du rayonnement gamma – de courte durée, qu’on appelle l’émission prompte. La durée de ce flash varie entre quelques millièmes de seconde et quelques minutes. Une émission rémanente reste détectable plusieurs jours, durant lesquels l’énergie couvre l’ensemble du spectre électromagnétique, des ondes radio au rayonnement X.

Les sursauts gamma et leurs événements violents associés – supernovae ou coalescence d’objets compacts – sont de parfaits laboratoires pour tester les limites de la physique extrême. Toutefois, pour les comprendre, les astronomes doivent obtenir des données à toutes les longueurs d’onde, dans un laps de temps court, avant que l’émission lumineuse ne s’amenuise et ne devienne indétectable. Depuis quelques années, la communauté scientifique s'est ainsi organisée en réseaux afin de collecter ces précieuses données.

À 1,9 milliard d’années-lumière

Le dimanche 9 octobre 2022 à 15 heures (heure de Paris), plusieurs satellites enregistrent une émission si brillante qu’elle sature leurs détecteurs pendant plusieurs secondes. L’événement est exceptionnel. Dès la tombée de la nuit, au Chili, les télescopes du VLT sont pointés en direction de la source. Grâce au spectrographe X-Shooter qui y est installé, les astronomes déterminent sa distance : 1,9 milliard d'années-lumière ! Malgré cette distance, bien au-delà de notre galaxie et des galaxies voisines, il s'agit d'un des sursauts gamma les plus proches jamais enregistrés. Ce qui explique pourquoi l'explosion était si brillante. On estime que de tels sursauts gamma, aussi proches et brillants, n’ont lieu qu’une fois tous les dix mille ans.

galaxie hôte
Le petit point indiqué par les segments rouges est la galaxie hôte du sursaut, photographiée par Hubble. Cette galaxie est située à 1,9 milliard d'années-lumière de notre galaxie (Crédit : Antonio de Ugarte Postigo/CNRS/Collaboration Hubble).

Le réseau d’alerte a fonctionné et une multitude de télescopes, au sol et dans l’espace, dans toutes les longueurs d’onde, se mettent en chasse (lire encadré ci-dessous).

En raison de sa luminosité exceptionnelle, qui a saturé la plupart des détecteurs gamma, une partie des informations relatives à cet événement a dû être reconstruite. Ainsi, les astrophysiciens ont consacré plusieurs mois à quantifier ses propriétés physiques. Dans le spectre visible, l'analyse est également ralentie par plusieurs facteurs. Étant donné que le sursaut provenait d’une direction proche du centre de notre galaxie, très dense en étoiles, celles d'avant-plan, nombreuses, interfèrent avec les calculs de brillance. De plus, l’abondance des données collectées par des télescopes de différentes tailles et sensibilités (une cinquante de télescopes a observé la rémanence), dans des conditions météorologiques variables, rend l'analyse encore plus complexe.

Les premières leçons tirées de cet événement sont révélées ce 28 mars 2023 dans une série d’articles scientifiques cosignés par des astronomes du monde entier, et publiés dans The Astrophysical Journal Letters. Que peut-on inférer de toutes les données enregistrées ?

Une énergie rayonnée un million de fois supérieure à celle du Soleil au cours de sa vie

L’analyse minutieuse des données collectées a confirmé le caractère exceptionnel de ce sursaut gamma nommé GRB 221009A (GRB signifie Gamma Ray Burst, soit sursaut gamma en français ; 221009 est la date ; et A, première lettre de l’alphabet, signifie que c’est le premier sursaut enregistré ce jour-là). GRB 221009A est de loin le sursaut gamma le plus brillant jamais observé à ce jour, ce qui lui vaut le surnom de BOAT pour Brightest Of All Time. L’énergie totale rayonnée en quelques dizaines de secondes est plus d’un million de fois supérieure à celle produite par le Soleil durant les dix milliards d’années de sa vie !

La rémanence du sursaut observée est moins lumineuse que ce que l'intensité du flash laissait présager, surtout dans les longueurs d’onde visible, en raison de la forte quantité de poussières galactiques le long de la ligne de visée qui absorbent une partie de la lumière. La présence d’une telle quantité de poussières lors de l’observation d’un sursaut gamma est très inhabituelle et complexifie l’analyse détaillée des observations (c’est l’un des rares sursauts gamma connus dont la source est dans la direction du plan galactique et dont on a pu mesurer la distance).

Généralement, ce type de sursaut résulte de différents processus consécutifs à la fin de vie d’une étoile massive. En un bref instant, le cœur de l’étoile s’effondre en un trou et il se produit une éjection de particules. Celles-ci forment un jet qui s’échappe à travers les couches extérieures de l'étoile en effondrement, à une vitesse proche de celle de la lumière. L'émission gamma résulte de la collision de couches de matière de différentes vitesses au sein même du jet, tandis que sa rémanence est due à l'interaction du jet avec le milieu environnant.

mécanisme
Processus d’émission typique d’un sursaut gamma tel que GRB 221009A. Le cœur d'une étoile massive (à gauche) s'est effondré, formant un trou noir qui envoie un jet de particules se déplaçant à travers les couches extérieures de l'étoile en effondrement à une vitesse proche de celle de la lumière. L’émission gamma est issue des collisions des couches de matière se déplaçant rapidement à l'intérieur du jet, tandis que sa rémanence est due à l'interaction du jet avec le milieu environnant (NASA/Goddard Space Flight Center).

Les quantités physiques que l’on peut déduire en étudiant la rémanence d’un sursaut gamma sont notamment l’énergie du jet, sa géométrie, et l’environnement dans lequel il se propage. L’analyse des données en rayons X suggère que l’ouverture du jet émis est bien plus étroite que ce l’on connaît, conduisant à une focalisation très intense de l’énergie. Cependant, en combinant ces données avec les observations dans le visible sur plusieurs mois, la situation se complique. En s'appuyant sur des modèles d'ajustement empiriques des courbes de lumière, ou des modélisations numériques plus complexes, certains scientifiques proposent des conclusions plus prudentes. Les observations montrent que les processus physiques mis en jeu ne peuvent pas être reproduits avec les modèles les plus simples de rémanence utilisés habituellement.

Une mine d’or d’informations pour contraindre les modèles

Comment pourra-t-on en savoir plus ? Une circulaire annonce que l’observatoire chinois LHAASO, consistant en un réseau de détecteurs situés sur un haut plateau à Daocheng (à plus de 4000 mètres d’altitude), a détecté 5 000 photons d’énergie comprise entre 100 GeV et 10 TeV, environ 2 000 secondes après les sursauts. Et un photon d’énergie de 18 TeV aurait également été enregistré. On ne connaît cependant pas le détail des dates d'arrivée des photons, de sorte que, pour le moment, on ne peut pas dire s'il s'agit de l'émission prompte ou de la rémanence. Mais détecter un photon à 18 TeV est extrêmement intrigant : à cette énergie, seul un photon sur un milliard conserve son énergie durant sa propagation. L’origine de cette émission à très haute énergie est elle aussi encore très incertaine : certains modèles prédisent qu’elle est due à des processus de diffusion entre les photons de plus basse énergie et les électrons accélérés dans le jet, d’autres qu’elle résulte de la présence de rayons cosmiques d’ultra haute énergie dans le jet. La détection de neutrinos (particules élémentaires très difficilement détectables) pourrait être capitale pour contraindre cette composition des jets. Malgré d’intenses recherches par les deux grands détecteurs à neutrinos en activité, IceCube au Pôle Sud et KM3NeT en mer Méditerranée, aucun neutrino n’a été détecté. La seule analyse des photons de très haute énergie fait de ce sursaut une potentielle mine d’or d’informations pour contraindre ces différents modèles dans les années à venir.

Autre question majeure à élucider à propos de ce sursaut gamma : la nature de son progéniteur. Sa durée semble indiquer une explosion d’étoile massive en supernova, plutôt que la coalescence de deux étoiles à neutrons (qui produisent généralement des sursauts plus courts). Toutefois, les données des télescopes spatiaux Hubble et James Webb, ainsi que celles d’autres observatoires, n'ont pas mis en évidence la présence claire d'une telle supernova dans la galaxie hôte. Quelques mois après son observation, de nombreux mystères restent donc à élucider à propos de GRB 221009A. Cette publication conjointe d’analyse de données émanant de tant de télescopes et à toutes les longueurs d’onde laisse augurer de nouveaux succès pour l’étude du ciel transitoire.

 

AUTEURS

Sarah Antier, astronome-astrophysicienne à Observatoire de la Côte d’Azur, est spécialiste de l’astronomie multimessagers et responsable de la collaboration GRANDMA.

Damien Dornic, chargé de recherche au CNRS, est spécialiste de l’astronomie multimessager, en particulier des émissions de haute énergie et des neutrinos. Il travaille au centre de physique des particules de Marseille.

Clément Pellouin, Doctorant en astrophysique à Sorbonne Université, il mène ses travaux sur la modélisation des rémanences des sursauts gamma à l’Institut d’astrophysique de Paris.

 

 

LA CHASSE EST OUVERTE

Aussitôt l’alerte lancée par les satellites consacrés à l’étude des sursauts gamma comme Fermi et Swift, les télescopes du monde entier, au sol et dans l’espace, se mettent en chasse et visent le lieu du sursaut gamma. Sarah Antier déclenche des observations dans tout le réseau GRANDMA (Global Advanced Rapid Network Devoted to the Multi-messenger Addicts). L’information est aussi relayée auprès des amateurs du consortium du projet de sciences participatives Kilonova Catcher. D’autres observatoires français sont mobilisés, dont le radiotélescope NOEMA situé sur le plateau de Bure, près de Grenoble, ou encore le tout nouvel instrument Mistral, monté sur le télescope historique de deux mètres de diamètre à l’Observatoire de Haute-Provence. Dans la partie à haute énergie du spectre électromagnétique, les instruments embarqués à bord du satellite IXPE de l’ESA mesurent la polarisation en rayonnement X, qui aide à comprendre la géométrie et les champs magnétiques engendrés par l'explosion. Les télescopes HESS (en Namibie) et CTA (aux Canaries et au Chili) tentent de capter le rayonnement gamma à l’aide de détecteurs Tcherenkov. Même les neutrinos, particules cosmiques difficiles à repérer, sont recherchés dans les deux détecteurs en construction de KM3NeT, au large de Toulon et de la Sicile. Une dizaine de jours après le flash, un consortium international pointe pour la première fois le télescope James-Webb dans la direction du sursaut, et Hubble capture l’image de la galaxie hôte de l’événement.

 

Image d'ouveture : Représentation artistique du jet émis par un sursaut gamma (crédit : Nasa/Swift-Cruz deWilde).

Bloc en kiosque

Mobile : L'application mobile