Menu
Libération
Intimidations

La voiture de la journaliste Morgan Large à nouveau sabotée : «Un mode d’action de plus en plus décomplexé»

Deux ans après un premier sabotage, la journaliste d’investigation bretonne, experte des dérives de l’agribusiness, a de nouveau été victime d’un acte d’intimidation dans la nuit de jeudi à vendredi. Elle alerte sur la banalisation de ces pressions.
par Ludovic Séré
publié le 30 mars 2023 à 7h50

Cela s’est passé le week-end du changement d’heure, comme la dernière fois. Sur la même roue de la même voiture. La journaliste d’investigation spécialiste des enquêtes sur l’agroalimentaire Morgan Large, déjà visée par des menaces il y a deux ans presque jour pour jour, affirme avoir subi un nouveau sabotage de sa voiture dans la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 mars. «Notre consœur et collègue Morgan Large a de nouveau été prise pour cible», ont écrit conjointement la radio RKB, où Morgan Large est animatrice, et le média Splann !, qu’elle a cofondé, dans un communiqué.

Le vendredi, après avoir parcouru quelques centaines de mètres seulement au volant de sa voiture personnelle, alarmée par un bruit inhabituel, la journaliste bretonne s’est rendue chez son garagiste. Celui-ci a alors constaté que «les écrous de la roue arrière gauche [étaient] complètement desserrés […], la roue bouge à la main et ne tient presque plus». «Le véhicule roulait parfaitement la veille lors d’un trajet jusqu’à Rennes», explique une membre de Splann ! à Libération. «L’acte criminel que nous suspectons s’est très certainement produit dans la nuit du 23 au 24 mars, exactement dans les mêmes circonstances, sur la même roue, au même endroit et quasiment à la même date que la première fois.»

«Pour moi, c’était fini tout ça…»

«Franchement, je ne m’y attendais pas du tout. Je pensais avoir été protégée par la médiatisation [de l’affaire précédente», s’étonne Morgan Large auprès de Libération. La plainte déposée il y a deux ans avait mis un coup d’arrêt «extrêmement net» aux appels téléphoniques la nuit, aux menaces sur les réseaux sociaux, rappelle la journaliste. Depuis, elle a continué de travailler – même s’il lui a fallu beaucoup de temps pour revenir sur le terrain – et ses rapports avec des acteurs locaux ne sont pas si mauvais que cela, témoigne-t-elle. «On m’a reconnue une fois et demandé si c’était bien moi «la fille de la radio». Après que j’ai dit oui, le gars sur son tracteur m’a répondu en rigolant qu’il devrait me casser la gueule. Mais en se marrant…» Le représentant d’une coopérative l’a menacée de lui causer «des ennuis» si elle citait son nom dans un article. Une autre fois, devant 300 porchers en colère à Saint-Brieuc, on lui a interdit de poser des questions. «Mais je n’ai pas de problèmes avec les éleveurs, pour moi c’était fini tout ça…»

Déjà en avril 2021, une information judiciaire avait été ouverte contre X pour «destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet de tout moyen de nature à créer un danger pour les personnes», «entrave concertée à la liberté d’expression», ainsi que «destruction, dégradation ou détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui dont il ne résulte qu’un dommage léger». Le 31 mars 2021, Morgan Large avait déjà découvert que deux des boulons fixant une des roues arrière de sa voiture avaient disparu. Ceci peu de temps après la diffusion d’un documentaire dans lequel elle témoignait des dérives de l’agroalimentaire («Bretagne, une terre sacrifiée», Le monde en face, France 5). Cet événement faisait suite à une double fracturation des portes de son employeur, RKB, à Saint-Nicodème et Rostrenen.

Plusieurs plaintes avaient été déposées, ainsi qu’une demande de protection policière. Mais cette demande avait été refusée, et les plaintes classées sans suite en décembre 2022. Un non-lieu justifié par un manque de preuves. Ces décisions ont-elles «favorisé un sentiment d’impunité chez ses agresseurs ?», se demandent les représentants de Morgan Large. «Nous considérons que ce sabotage est une nouvelle tentative de porter atteinte à la vie et au travail d’enquête de notre collègue et consœur. En instillant la peur dans la profession, il participe du climat de menaces qui pèse sur la liberté de la presse et sur les lanceurs d’alerte.»

«Un climat global inquiétant»

«On a vu tout de même des choses inadmissibles sur le territoire», dénonce Morgan Large. «Des menaces de mort visant des élus voulant accueillir des migrants à Callac (Côtes-d’Armor). Des journalistes du Poher ont également été visés. C’est une stratégie visiblement, le mode d’action semble être de plus en plus décomplexé.» Une conférence de presse est prévue ce vendredi à 11 heures à Guingamp, en présence d’autres journalistes ayant également connu des pressions. «J’essaie de défocaliser de ma personne, je n’ai pas envie de devenir une égérie, la martyre ou l’héroïne. Je veux que mes collègues puissent parler pour que l’on puisse rendre compte d’un climat global inquiétant.»

Sur un plan plus personnel, la journaliste d’investigation se pose la question de la suite de sa carrière. «Sur le moment je me suis dit : c’est bon, j’arrête», explique-t-elle, encore choquée par ce nouvel incident. «J’aimerais pouvoir me trouver un travail pépère, vivre sans avoir peur de ce que je vais trouver chez moi.» Est-ce l’annonce d’une retraite du journalisme ? «Je ne sais pas encore.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique