Témoignage

Shimin, rescapée de l’enfer d’une prison iranienne : «Des hommes armés m’ont menottée et jetée dans un fourgon»

Arrêtée début novembre après un rassemblement, une militante téhéranaise raconte les conditions «catastrophiques» de sa détention et de son procès.
par Léa Masseguin
publié le 30 mars 2023 à 19h51

Quatre-vingt-dix-sept jours de prison pour avoir commémoré la mort de Hadis Najafi, une Iranienne de 20 ans tuée de six balles dans la tête, le cou et l’abdomen par les forces de sécurité. Alors qu’elle participait à une manifestation le 3 novembre à Karaj, Shimin, 38 ans, a été arrêtée et transférée dans la prison de Katchoï, dans le nord de l’Iran. Deux mois après sa libération, cette Téhéranaise divorcée, qui refuse de porter le voile depuis le début du vent de révolte soufflant dans le pays, raconte à Libération comment cette expérience traumatique n’a fait que renforcer sa détermination.

«La mort de Mahsa Amini, consécutive à son arrestation par la police des mœurs, a immédiatement résonné en moi. J’ai toujours eu peur de sortir dans la rue, d’être arrêtée ou agressée parce que je portais mal mon voile. Le décès de cette jeune femme a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’étais en colère ! J’ai participé à toutes les manifestations – du premier jour jusqu’à mon arrestation. La population était pacifique, il n’y avait aucune violence. En face, en revanche, les forces de sécurité ont très vite fait usage d’une répression féroce, en nous tirant dessus avec des carabines à plomb.

«J’ai été arrêtée lors d’un rassemblement qui marquait le 40e jour de deuil suivant la mort de la manifestante Hadis Najafi. C’était le 3 novembre, dans la ville de Karaj [ce jour-là, un membre de la milice des bassidji, liée aux Gardiens de la révolution, a été tué, ndlr]. J’étais très angoissée car il y avait beaucoup de monde, j’étais loin de chez moi. Les forces de l’ordre ont tenté de disperser les protestataires en réprimant la manifestation et en fermant l’accès au cimetière… En vain. Il a fallu l’intervention d’un hélicoptère qui nous tirait dessus pour nous stopper. Je ne retrouvais plus ma voiture et j’avais laissé mon téléphone portable pour éviter les problèmes en cas de contrôle. En cherchant mon véhicule, seule dans une ruelle dans la banlieue de Karaj, deux civils m’ont interpellée : “Pourquoi t’as pas de voile ? Tu l’as mis où ?” Des hommes armés de kalachnikovs les ont ensuite rejoints. Ils m’ont mise à terre, menottée et m’ont bandé les yeux avant de me jeter dans un fourgon.

«J’ai été battue, insultée et humiliée»

«Il s’est ensuivi un long interrogatoire de quinze heures où j’ai été battue, insultée et humiliée. On me mettait des coups de pied, des coups de poing. On m’a même balancé deux fois une table sur les genoux. Je n’ai pas pu marcher pendant deux jours. On me disait que j’étais une prostituée, on me tripotait les seins et on refusait de me donner de la nourriture, de l’eau ou de me laisser dormir. Puis ils m’ont tendu un texte pré-écrit d’aveux que j’ai dû signer pour mettre un terme à cette torture. Je m’accusais d’être une émeutière qui voulait porter atteinte à l’ordre public et organiser des tueries.

«Les conditions de détention dans le centre de Katchoï étaient catastrophiques, surtout le premier mois. Les prisonniers politiques étaient répartis dans deux cellules – une grande et une petite. J’étais dans la plus exiguë, où seize personnes s’entassaient comme dans une boîte de sardines. Il y avait beaucoup de problèmes d’hygiène : l’apparition de maladies de peau contagieuses et digestives, l’absence d’eau potable ou l’insuffisance de nourriture. Nous pouvions prendre une douche, froide, seulement un jour sur deux. Dans la prison, la violence physique a laissé place à la violence verbale. Nos geôliers nous disaient que nous avions décidé de descendre dans la rue, et qu’il fallait désormais assumer.

«Mon procès a eu lieu en appel vidéo, le 29 décembre, face à Mousi Assef Al Hosseini – que l’on surnomme “le juge de la mort” [il a notamment condamné à mort les manifestants Mohammad Mehdi Karami et Seyed Mohammad Hosseini, exécutés le 7 janvier, ndlr] et sans avocat. L’audience a été expéditive. Le juge voulait surtout savoir pourquoi je refusais de porter le voile et pourquoi je ne vivais pas avec mes parents en tant que femme célibataire. J’ai été accusée d’avoir participé à un projet de tuerie de masse et de “complot en réunion contre la sécurité nationale”, ce qui m’a valu une condamnation d’un an de prison et de deux ans d’interdiction de me rendre à Rasht, ma ville natale.

«On m’a demandé de signer un texte de pardon»

«Avec quatorze autres femmes, nous avons entamé une grève de la faim pour alerter sur notre sort. Le comportement des gardiens de prison a commencé à changer. J’ai été transférée dans une autre cellule. Puis vingt-quatre heures avant ma libération, le 7 février, on m’a demandé de signer un texte d’excuses – ce que j’ai refusé. Je n’ai rien fait qui puisse justifier une condamnation ou de m’excuser.

«Avant mon arrestation, j’étais comptable dans une entreprise de Téhéran. A ma sortie de prison, mon employeur a mis fin à mon contrat. Malgré ces déceptions, nous n’avons pas d’autre choix que de continuer la guerre contre ce régime. Les manifestations dans les rues sont plus rares, mais d’autres moyens de contestation se sont mis en place. Le feu de la révolte couve sous les cendres. La colère, la détermination sont plus fortes que jamais.»

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