Améliorer la démocratie par la cogestion des biens communs urbains

BeeOzanam, un bâtiment polyvalent doté d'un jardin communautaire situé à Turin. [Silvia Ellena]

Cet article fait partie de l'édition spéciale Un aperçu des expériences démocratiques à travers l’Europe.

Les villes européennes et leurs habitants utilisent de plus en plus d’outils de collaboration permettant aux habitants de participer à la conception et à la gestion des biens municipaux. Selon les experts, cette pratique peut rendre les sociétés et les marchés plus démocratiques.

L’idée sous-jacente à ce modèle est d’établir des collaborations civiques avec les communautés locales, les gouvernements, les entreprises, les chercheurs et les ONG, en vue de faire participer les habitants au processus de prise de décision et à la gestion des biens municipaux ou des biens communs urbains.

« Nous appelons cela la démocratie administrative collaborative », explique Christian Iaione, professeur de droit à l’Université LUISS et codirecteur de LabGov.

« Il ne s’agit pas seulement de participer au sein des gouvernements locaux, mais de partager la gestion et la copropriété des services et des biens avec les habitants de la ville », a-t-il ajouté.

Le BeeOzanam de Turin, un vaste espace civique situé dans le nord de la ville, en est un exemple. L’enceinte, qui était autrefois une usine, a été transformée en un bâtiment polyvalent, comprenant une maison temporaire pour les migrants, un restaurant géré par des travailleurs défavorisés et un jardin communautaire aménagé sur un toit.

« C’est le résultat d’initiatives communautaires visant à revitaliser l’endroit », a déclaré Emanuela Saporito, cofondatrice et planificatrice communautaire d’Orti Alti, une association d’architectes travaillant sur la régénération urbaine et l’une des personnes à l’origine de l’initiative BeeOzanam.

« Nous avions notre propre vision et nous avons discuté de l’idée de créer un lieu ouvert à la participation des habitants, proposant des activités culturelles, et également de co-concevoir ces activités avec le voisinage », a-t-elle indiqué lors d’une visite organisée par la Commission européenne dans le cadre du Forum des villes à Turin.

Le processus de revitalisation a d’abord été soutenu par des fonds privés, avant d’être financé par le projet Co-City, dans le cadre du programme Action innovante urbaine de l’UE. L’objectif du projet était de promouvoir la collaboration entre l’administration locale et les citoyens pour la gestion partagée et la régénération des biens communs urbains.

Des initiatives similaires ont également eu lieu dans d’autres villes européennes. Par exemple, Gdansk, Amsterdam, Iaşi et d’autres villes font partie du réseau Civic eState qui promeut la co-conception de biens communs urbains.

Impact

Selon M. Iaione, cette pratique exerce une pression sur le gouvernement pour qu’il améliore et innove ses services et « constitue un moyen d’améliorer la qualité de la démocratie et de parvenir à la justice sociale tout en relevant les défis considérables des transitions technologiques et écologiques ».

Parallèlement, de telles initiatives créent « une pression sur les marchés », qui se trouvent diversifiés, tout en « créant des modèles commerciaux et financiers plus équitables, inclusifs et justes », a-t-il expliqué. L’idée est de générer de l’autosuffisance et d’éviter la dépendance constante de la société et des marchés vis-à-vis des politiques publiques et des décideurs politiques, a ajouté M. Iaione.

« Nous devons nous assurer qu’il existe davantage de projets économiques coopératifs, durables et innovants basés sur les biens communs, de sorte que, grâce aux habitants des villes, aux jeunes innovateurs, aux entrepreneurs soucieux de durabilité et aux acteurs de la société ou aux groupes sociaux, nous ayons non seulement des institutions plus démocratiques, mais aussi des marchés plus démocratiques. »

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Un processus complexe

Cependant, l’autosuffisance représente un défi, en particulier pour les communs urbains qui ne sont pas guidés par une logique de profit.

Par exemple, le centre culturel et social Cascina Roccafranca ouvert en 2007 à Turin, qui est cogéré par la municipalité et les associations locales, a indiqué qu’il ne parvenait à atteindre que 66 % d’autosuffisance, notamment grâce à la location d’espaces et à des activités commerciales dans ses locaux.

Selon M. Iaione, la nécessité d’investir dans des programmes de renforcement des capacités constitue un autre problème.

« Les habitants qui travaillent pour les biens communs n’ont pas reçu le même type de connaissances et de ressources techniques que le secteur public et le secteur privé », explique-t-il.

Par ailleurs, ce modèle de participation peut s’avérer crucial pour faire face aux crises actuelles et futures, telles que les sécheresses ou la crise migratoire, selon le professeur.

« En fin de compte, lorsqu’une crise survient, c’est la communauté qui se rassemble et qui apporte la première réponse et prend l’initiative, mais il faut ensuite que toutes les parties prenantes se mobilisent ».

« Comme l’a démontré la pandémie, l’humanité ne peut sortir des crises qu’en coopérant. »

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[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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