C'est un symbole. Le Luxembourg est contraint par une décision de justice à réautoriser le glyphosate sur son territoire alors que cet herbicide controversé y était interdit depuis le 1er février 2020. De quoi ravir les géants de l'agrochimie comme Bayer qui se félicitent de ce retour en arrière. Une décision qui passe mal auprès des ONG environnementales alors que le gouvernement français s'est rétracté sur une possible interdiction du glyphosate. Il est d'ailleurs en train de revenir sur une autre suspension, celle du S-métolachlore. 
Coup de théâtre du côté des interdictions nationales du glyphosate. Le Luxembourg, premier pays à avoir interdit cet herbicide controversé au sein de l’Union européenne, a annoncé le 3 avril qu’il réautorisait sa commercialisation. Il avait retiré le 1er février 2020 l’autorisation de mise sur le marché aux produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate, tout en tolérant l’écoulement des stocks existants, avant d’interdire complètement leur utilisation sur les sols luxembourgeois à partir du 1er janvier 2021.


Ce retour en arrière est motivé par la décision de la Cour administrative du Luxembourg rendue le vendredi 31 mars. Les juges ont pointé "l’absence d’indication de la moindre argumentation juridique" pour interdire les 8 produits concernés en contradiction avec le régime juridique de l’UE qui permettait leur distribution. "L’annulation a pour conséquence que les autorisations pour les produits phytopharmaceutiques en cause sont rétablies à compter de la date du prononcé de l’arrêt", a réagi lundi le ministère luxembourgeois de l’Agriculture.


Bayer obtient gain de cause 


"La Cour a confirmé que le retrait (des autorisations de marché) violait le droit européen", s’est félicité le géant allemand de la chimie Bayer qui avait déposé un recours devant les juridictions administratives contre l’interdiction de ses produits, notamment de sa marque Roundup. "Ce retrait n’était basé sur aucun élément scientifique ou réglementaire incriminant le glyphosate ou les produits basés sur cette substance", a réagi un porte-parole du groupe auprès de l’AFP.


"Ce n’est pas une bonne nouvelle, on va regarder en détail l’argumentaire de la Cour", a réagi auprès de Novethic le directeur de Générations futures, François Veillerette. Le spécialiste est d’autant plus surpris que les éléments scientifiques sont connus. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), dépendant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé le glyphosate comme cancérigène probable pour l’humain. L’Institut national de recherche médicale (INSERM) jugeait lui en 2021 que "la présomption de lien entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien (cancer du système lymphatique, NDR) est moyenne", reconnaissant ainsi l’existence d’un lien. 


Mais le sujet est controversé, plusieurs agences nationales et européennes ont estimé que le risque cancérigène du glyphosate était improbable. "Les études universitaires sont tellement peu prises en compte qu’à la fin, seules les études de l’industrie, avec des conclusions diamétralement opposées, sont intégrées", dénonce François Veillerette. "La situation au Luxembourg montre que face à Bayer et compagnie, les États doivent être armés jusqu’aux dents, monter un dossier solide", avance-t-il. 


La France a changé de position 


Au niveau européen, la prochaine échéance est fixée à la fin de l’année. La Commission européenne a en effet délivré son autorisation de mise sur le marché des produits à base de glyphosate jusqu’au 15 décembre 2023. Reste à savoir si les États européens auront le même positionnement qu’en 2017, lorsqu’ils avaient accordé à ces pesticides un sursis de 5 ans (prolongée d’une année). La France était alors très critique envers le glyphosate. Elle avait proposé un délai d’autorisation de 3 ans. Mais depuis, elle a changé de braquet. Emmanuel Macron qui avait fait de l’interdiction du glyphosate une de ses promesses de campagne s’est rétracté face à la pression du principal syndicat agricole, la FNSEA. 


C’est d’ailleurs au congrès annuel de la FNSEA, à Angers, que le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau a provoqué un tollé en annonçant revenir sur l’interdiction du S-métolachlore. Le 15 février, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) avait engagé une procédure d’interdiction de ce pesticide moins connu par le grand public que le glyphosate. En cause : la pollution de l’eau et des nappes phréatiques qu’il génère. Or, le 30 mars, alors qu’Emmanuel Macron présentait son plan eau, Marc Fesneau a demandé à l’Anses une "réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore, parce que cette décision n’est pas alignée sur le calendrier européen et qu’elle tombe sans alternatives crédibles".


Une décision qui passe mal alors que depuis 2014 c’est bien l’Anses et non le ministère de l’Agriculture qui est chargée des autorisations de mise sur le marché. "C’est la science qui décide, pas le politique. C’est vraiment une situation catastrophique, je n’ai jamais vu ça. Ça s’annonce très mal pour la suite", dénonce François Veillerette. 
Marina Fabre Soundron avec AFP


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