C'est une décision radicale. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et ses nuisances sonores, l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol va interdire les jets privés et les vols de nuit. Des activistes avaient bloqué le tarmac en 2022 face à la hausse rapide des voyages en jets privés, contraire aux objectifs climatiques et jugée insupportable dans un contexte de crise sociale. Le gouvernement néerlandais avait également imposé un plafonnement du nombre de vols.

Plus aucun jet privé et des nuits silencieuses, c’est ce qui attend l’aéroport d’Amsterdam-Schipol, troisième plus fréquenté d’Europe, à l’horizon 2025-2026. "La seule voie à suivre est de devenir plus silencieux et plus propre, plus rapidement", a déclaré le PDG du groupe Royal Schiphol, Ruud Sondag, dans un communiqué. La décision vise à réduire structurellement les émissions de CO2. C’est aussi une réponse à la demande du gouvernement néerlandais de limiter le nombre de vols à 440 000 par an contre 500 000 atteintes avant la pandémie de Covid-19.
De quoi calmer la colère des centaines de militants pour le climat qui, en novembre 2022, s’étaient assis devant des jets ou faisaient du vélo pour les empêcher de décoller, avant de se faire arrêter par la police néerlandaise. Le PDG de l’aéroport le reconnaît, les jets privés "causent des nuisances sonores et des émissions de CO2 disproportionnées par passager, environ 20 fois plus par rapport à des vols commerciaux". "Entre 30% et 50% de ces voyages sont à destination de lieux de vacances comme Ibiza, Cannes et Innsbruck, or il y a suffisamment de services programmés pour ces destinations", ajoute-t-il. Les jets utilisés par les hôpitaux et la police resteront autorisés. 

Le premier signal fort face à l’explosion des jets privés


Cette décision est le premier signal fort pour faire face au développement massif des jets privés. Selon une étude publiée par Greenpeace et le cabinet CE Delft, les voyages en jets privés ont augmenté de 64% entre 2021 et 2022 en Europe. "Les jets privés, réservés à une minorité d’ultra-riches, ont des conséquences désastreuses sur le climat, sur l’environnement et sur la santé de toutes et tous", déplore Klara Maria Schenk, responsable de la campagne européenne Mobility for All de Greenpeace, dans le communiqué de l’étude. Le chiffre doit être relativisé car l’activité des jets privés ne dépasse, en 2022, que légèrement le niveau d’avant-Covid. Toutefois, la reprise du jet privé est beaucoup plus rapide que pour les lignes régulières. Le trafic des vols privés était en 2022 15% plus haut qu’en 2019 selon l’EBAA alors que l’activité des lignes régulière était, en février 2023, encore inférieure de 3% par rapport à 2019 selon l’IATA.
Autre apprentissage de l’étude de Greenpeace, le bilan carbone du jet privé en Europe a doublé en un an. Il équivaut, pour 572 806 vols recensés en 2022, à celui de 550 000 habitants de l’Union Européenne. Si l’empreinte carbone augmente encore plus vite que le nombre de vols, c’est à cause des longs trajets. "La part des vols long-courriers a considérablement augmenté entre 2020 et 2022 même si les vols de très court-courrier restent nettement prédominants dans l’ensemble" précise Greenpeace à Novethic. L’étude porte sur les vols au départ et à l’arrivée des pays européens entre 2020 et 2022 et exclut les avions de moins de trois places ou qui reviennent dans l’aéroport de départ.

Le marché des jets devrait croître de 50% d’ici 2030


Gain de temps, flexibilité, luxe… Les attraits du jet sont multiples. Le marché devrait croître de 50% entre 2020 et 2030 selon une étude du cabinet Allied Market Research citée dans un rapport publié en 2021 par l’association Transport & Environnement. Ce spécialiste de la mobilité durable montre également, dans une étude réalisée en 2023, que plus de 80% des plus grandes entreprises mondiales n’ont pas pris d’engagements suffisants de réduction des vols d’affaire. Une hausse des émissions de CO2 est donc attendue alors qu’elles avaient déjà progressé de 31% entre 2005 et 2019. L’association alerte aussi sur le développement des jets supersonics qui consomment entre 5 et 7 fois plus. "Ces jets ne serviraient qu’à une petite élite et réduiraient le temps de leurs trajets de moitié", indique Transport & Environnement.
La France est le pays de l’Union Européenne qui compte le plus de voyages en jet privé. Selon l’étude de Greenpeace, quatre villes françaises se trouvent dans le top 10 des trajets les plus empruntés : Paris-Londres, Nice-Londres, Paris-Genève et Paris-Nice. La moitié des voyages en jets privés proviennent d’une location ou d’une "fractionnal ownership", une possession partagée, un tiers provient de particuliers et le reste correspond à des vols gouvernementaux, médicaux ou militaires, selon EBAA France.

Faut-il interdire le jet privé ?


Greenpeace appelle à interdire le jet privé, un sujet qui sera à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 6 avril dans le cadre de la niche parlementaire du groupe écologiste. "Cet essor des vols en jet privé est un scandale à l’heure où l’on demande aux citoyens de faire des efforts pour limiter leur consommation d’énergie" indique Klara Maria Schenk. Le ministre des transports Clément Beaune appelait l’été dernier à réguler les vols en jet privé, "symboles d’un effort à deux vitesses".
Les jets privés cristallisent les tensions car de nombreuses alternatives moins carbonées existent. S’ils représentent 4% des émissions du secteur aérien au niveau mondial, ils émettent 10 fois plus de CO2 en moyenne par passager et par kilomètre que des vols de ligne commerciale régulière, selon Transport & Environnement. De plus, Greenpeace explique que 55% des trajets étudiés étaient des déplacements courts ou très courts, inférieurs à 750 km, qui auraient pu être effectués en train.
Les tensions à l’encontre des jets privés ont atteint leur paroxysme l’été dernier avec la vague de tracking des données de vol, accessibles à tous. Le compte twitter @i_fly_Bernard dénombrait, pour cinq patrons français, rien qu’au mois de juillet 2022, 123 heures de vols et 520 tonnes de carbone. Récemment, ce sont les méga-chalutiers, des "navires usines" contestés pour leur impact environnemental, qui étaient scrutés par le compte @TrawlWatch créé par l’ONG Bloom.
Fanny Breuneval
[Mis à jour le 5 avril 2023]

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