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« Nous sommes devenus du bétail » : au Niger, les migrants jetés dans l’enfer d’Assamaka

Maliens, Guinéens, Ivoiriens... Ils sont plus de 4 500 refoulés d’Algérie à errer autour du centre de transit de l’OIM, où l’eau et la nourriture manquent.

Le Monde avec AFP

Publié le 06 avril 2023 à 09h46

Temps de Lecture 3 min.

Des migrants subsahariens à Assamaka, au Niger, le 29 mars 2023.

D’un moment à l’autre, ils peuvent apparaître sur l’horizon rectiligne. De longues files de silhouettes qui cheminent dans le désert, les plus forts devant, les plus faibles derrière. Chaque semaine, des centaines de migrants refoulés d’Algérie viennent s’échouer à Assamaka, premier village à la frontière du Niger. Ils sont désormais plus de 4 500 à errer dans ce minuscule îlot de terre balayé par les vents.

Maliens, Guinéens, Ivoiriens, Syriens, Bangladais... Après 15 km de marche dans le désert, les expulsés découvrent un nouveau purgatoire. Le centre de transit géré par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la principale organisation intergouvernementale dans ce domaine, est débordé par l’afflux et ne prend en charge qu’environ un tiers des refoulés. « Quand on est arrivés ici, on nous a dit qu’on ne nous reconnaissait pas en tant que migrants de l’OIM et donc qu’on n’avait qu’à payer notre transport pour rentrer au pays », s’insurge Abdoul Karim Bambara, un Ivoirien.

A Assamaka, les citernes d’eau sont vides, les rations insuffisantes et les abris trop rares, alors que la température frôle parfois les 48 °C le jour. Des milliers de personnes s’entassent contre les murs ou sous des bâches de fortune pour trouver un coin d’ombre. Dépouillés de tous leurs biens en Algérie, selon leurs témoignages, les refoulés ne peuvent ni appeler leurs proches, ni payer le voyage retour. Ils sont alors condamnés à survivre dans cette prison de sable pour une durée indéterminée, souvent plusieurs mois.

Du riz infesté de mouches

Certains sont docteurs, étudiants, commerçants. Mais autour des murs barbelés du centre, il n’y a plus d’individus. Juste une foule qui gronde et se bouscule pour hurler son désespoir, ses peaux infestées par la gale, ses blessures infectées, ses ventres vides et ses traumatismes enracinés. Et la fin de toute humanité. « Nous sommes devenus du bétail ! », fulmine Herman, un migrant ivoirien. « Tu as vu ça ! », l’interrompt un homme en montrant une poignée de riz gluant infestée de mouches : « Est-ce que toi tu peux manger ça ? On tombe malade à cause de ça ! » A l’écart, deux groupes d’affamés se lancent des pierres dans un nuage de poussière. Les rixes sont incessantes.

Quelques jours plus tôt, la mort d’un migrant camerounais a provoqué une émeute, dispersée par les gaz lacrymogènes. Le centre de transit de l’OIM a été attaqué et pillé par les manifestants. « Nous sommes tous traumatisés. Les gens n’arrivent pas à se contrôler, ça ne va pas dans leurs têtes, rien ne va ici ! Les gens meurent ! » enrage Aboubacar Chérif Cissé, originaire de Sierra Leone. « S’il y avait suffisamment à manger, les gens ne se battraient pas, mais il n’y a pas de nourriture, alors qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? S’ils n’ont rien, ils vont se battre, juste pour survivre », assure Mohamed Mambu, délégué des Sierra-Léonais au centre de transit d’Arlit.

Les 1 500 habitants d’Assamaka sont submergés par ce voisinage incontrôlable. « Ils sont là partout dans le village, vers le centre de santé, sous les murs », s’inquiète François Ibrahim, représentant de l’ONG locale Alarme phone Sahara, qui apporte les premiers au secours aux migrants dans le désert. Les migrants « volent les animaux de la population pour les égorger », déplore-t-il : « Ce n’est pas parce que ce sont des voleurs, mais quand le ventre a faim... »

« L’UE a sa part de responsabilité »

Le nombre de migrants rejetés aux portes du Niger ne cesse d’augmenter depuis le début de l’année. Une situation « sans précédent », selon Médecins sans frontières (MSF). De la frontière algérienne jusqu’à Agadez, la capitale régionale située à 350 km, les centres de transit sont tous engorgés. Les routes qui mènent plus au sud sont sous la menace des groupes djihadistes, ce qui oblige à affréter de coûteux vols charters pour rapatrier les migrants dans leurs pays d’origine. « Les vols sont souvent annulés. Or chaque semaine, il y a des expulsions », explique Ousmane Atair, gestionnaire du centre de transit d’Arlit pour l’OIM.

Située dans le nord du Niger, la région d’Agadez paye le prix d’une relative stabilité. « L’axe Assamaka-Arlit est le plus sécurisé, c’est pour cela que tous les flux migratoires sont orientés de ce côté », souligne le maire d’Arlit, Abdourahamane Maouli. Or les aides internationales sont mobilisées ailleurs par d’autres crises sécuritaires et humanitaires. Le principal bailleur de fonds de l’OIM dans la région est l’Union européenne (UE), qui finance à ce titre l’essentiel des vols ramenant les migrants dans leurs pays d’origine.

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Pour Alarme phone Sahara, « l’OIM joue un rôle clé dans la politique d’externalisation des frontières sur le sol africain par les Etats de l’UE », soucieux d’éloigner la pression migratoire. Depuis le déclenchement de la crise libyenne, en 2011, « Agadez est la dernière porte et il fallait sécuriser le trajet de tous ces demandeurs d’asile ; mais en réalité, c’était un appel d’air pour les décourager », estime Tari Dogo, secrétaire général du Conseil régional d’Agadez, qui résume un sentiment largement partagé dans la région : « L’UE a sa part de responsabilité dans cette situation. »

Le Monde avec AFP

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