La vie politique française – peut-être plus encore – semble désormais suspendue à la prochaine décision du Conseil constitutionnel et les avis sont pour le moins partagés. Sa prudente jurisprudence laisse penser qu’il s’en tiendra à une censure partielle, limitée aux seuls cavaliers sociaux maladroitement mais volontairement, glissés dans le projet de loi. A l’inverse, certains avancent qu’il aurait toutes les raisons de déclarer cette loi contraire à la Constitution, au motif que le gouvernement a abusé des procédures du parlementarisme rationalisé, voire a commis une erreur manifeste de qualification juridique, la loi votée ne correspondant nullement à une loi de financement « rectificative » de la Sécurité sociale.
La diversité des solutions défendables montre à quel point le droit n’est pas fait de règles claires et mécaniquement applicables. Dès lors, il peut sembler vain de chercher à prévoir la prochaine décision du Conseil constitutionnel en s’attachant au texte de la Constitution, comme si ce texte contenait à lui seul une solution juridique, ou même à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme si cette dernière avait une cohérence. Plutôt que de se fier au texte, lequel reste d’interprétation libre, mieux vaut prendre en compte deux autres éléments : l’un est tiré des rapports entre le Conseil constitutionnel et les autres pouvoirs, l’autre de ce que l’on peut appeler l’idéologie interprétative du Conseil constitutionnel.
Une Constitution est certes un texte, mais elle peut aussi être vue de façon plus réaliste comme un système au sein duquel les acteurs sont liés les uns aux autres et agissent en fonction des uns et des autres. Le contexte actuel en est la manifestation éclatante : quelle qu’elle soit, la décision que rendra le Conseil constitutionnel affectera profondément les relations entre les pouvoirs publics dont le Conseil constitutionnel se disait être, dans une fameuse décision de 1962, un « régulateur ».
Equilibre des pouvoirs
En effet, s’il ne censurait pas la loi ni l’usage des différents articles de procédure, le Conseil constitutionnel confirmerait une conception présidentialiste de la Constitution actuelle. Inversement, s’il annulait la loi en se fondant sur des motifs tirés des procédures suivies, voire en invoquant la violation d’un principe de sincérité des débats parlementaires ou même une erreur de qualification de la loi, il donnerait de la Constitution une conception clairement parlementariste.
De plus, on ne peut guère envisager cette décision sans tenir compte de la perception de l’équilibre des pouvoirs institué par la Constitution de 1958, revue, et profondément modifiée, en 1962, par l’élection du président au suffrage universel direct. Cette élection contribue très largement à accroître le pouvoir du président, au point qu’il en vient lui-même à justifier toute son action par cette élection. C’est précisément l’argument dont s’est servi Emmanuel Macron en ce qui concerne la réforme litigieuse, au point qu’elle est désormais indéfectiblement associée à son nom, peu importe qu’elle ait été portée par un gouvernement dont le texte de la Constitution dit qu’il « détermine et conduit la politique de la nation » et que le premier ministre en « dirige l’action ».
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