L’idée de manger sain pour avoir un bon microbiote intestinal et donc une bonne santé non seulement physique, mais aussi mentale, fait son chemin : de nombreuses études ont prouvé que le type de bactéries (inoffensives) qui peuplent nos intestins influe sur le cerveau. Mais comment ? L’équipe de David Holtzman, de l’école de médecine de l’université Washington, à Saint Louis, aux États-Unis, a montré qu’une modification de ce microbiote diminue directement la mort des neurones dans la maladie d’Alzheimer, en révélant le mécanisme en jeu. C’est la première fois que l’on met réellement en cause le microbiote dans la survenue d’une maladie cérébrale.
On savait déjà que les bactéries intestinales de patients atteints de la maladie d’Alzheimer différaient de celles des personnes âgées non malades et qu’une perturbation de ce microbiote, ou la présence de certaines souches, suffisait à augmenter le risque de dépression, de maladies neurodégénératives ou de troubles du développement neurologique… Les chercheurs américains ont alors travaillé avec des souris porteuses du gène humain de l’apolipoprotéine E, l’ApoE, soit dans sa version ApoE3, soit dans sa version ApoE4, toutes deux étant responsables de formes génétiques de la maladie d’Alzheimer chez l’homme ; par exemple, les personnes portant l’ApoE4 ont trois à quatre fois plus de risques de développer Alzheimer que celles qui ont une autre version. En effet, ces mutations augmentent l’inflammation cérébrale, ou neuro-inflammation, et l’accumulation de protéines tau, l’une des lésions de la maladie, ce qui provoque des dommages aux neurones ; d’où, chez les souris de laboratoire âgées de neuf mois des troubles cognitifs de type Alzheimer, ainsi qu’une atrophie du cerveau, liée à la mort des neurones.
David Holtzman et ses collègues ont eu l’idée d’élever une partie de ces souris mutées dans une cage stérile, dès leur naissance, afin qu’elles ne développent aucun microbiote intestinal – de toute leur vie. Résultat : elles n’ont alors presque pas souffert de la maladie d’Alzheimer à un âge avancé, contrairement aux souris ApoE3 et ApoE4 ayant un microbiote normal, presque toutes atteintes. Puis les chercheurs ont simplement donné à d’autres rongeurs nouveau-nés, âgés de deux semaines, une cure d’antibiotiques d’une semaine afin de perturber temporairement leur composition en bactéries intestinales. De même, les souris ainsi traitées ont moins souffert de la maladie d’Alzheimer à l’âge de neuf mois que les animaux mutés avec un microbiote normal, mais l’effet était bien plus important pour les souris ApoE3 que ApoE4 (cette mutation étant plus délétère pour les neurones) et pour les mâles, en comparaison des femelles. Par ailleurs, quand les animaux ApoE, quelle que soit la version, étaient moins atteints par la maladie d’Alzheimer, c’est parce qu’ils présentaient une inflammation générale de leur organisme et surtout une neuro-inflammation bien moins importantes que celles des souris n’ayant pas eu d’antibiotiques : les cellules gliales immunitaires de leur cerveau, la microglie et les astrocytes, étaient bien moins activées ! D’où de moindres dégâts aux neurones. Toutefois, on ignore pourquoi la « gliose », l’activation des cellules gliales, est moins dépendante du microbiote chez les femelles que chez les mâles, un phénomène que l’on a déjà observé pour d’autres pathologies…
Les chercheurs ne se sont pas arrêtés là : ils ont identifié, dans le microbiote des rongeurs mutés développant la maladie, les trois acides gras à chaîne courte responsables de la gliose cérébrale, ainsi que les souches bactériennes les produisant. Ces molécules sont bien absentes chez les souris ApoE stériles dès la naissance et presque inexistantes chez celles qui ont eu une modification de leur microbiote intestinal toutes jeunes. En revanche, des rongeurs privés de microbiote mais nourris avec ces trois acides gras déclenchent une inflammation et une gliose, une accumulation excessive de protéines tau et développent donc la maladie d’Alzheimer…
David Holtzman n’hésite pas à commenter ces résultats : « Ce qui est excitant, c’est que la manipulation du microbiote intestinal pourrait être un moyen de traiter le cerveau sans rien lui administrer directement. » Ce qui ne signifie pas qu’il faut se priver totalement de microbiote ! Bien au contraire : on pourrait en effet envisager des thérapies à base d’antibiotiques, de probiotiques, de psychobiotiques, ou de microbiote fécal (greffe de selles) – en gros des traitements régulant la composition de nos bactéries intestinales –, pour sélectionner les bonnes souches de bactéries, à savoir celles qui ne produisent pas les trois acides gras, et prévenir, voire traiter, les maladies neurodégénératives…
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