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On va continuer de le présenter comme le génie aux cinquante mille œuvres mais on va ajouter : "attention, c'était aussi Barbe bleue". La stature du peintre n'a jamais cessé de grandir mais en même temps progresse la revendication féministe.

Notre époque tolère mal les propos que Picasso, initié aux bordels catalans à l'âge de 14 ans, n'a cessé de tenir sa vie durant, du genre: "Les femmes sont soit des tapis-brosses soit des déesses". Le magazine "Elle" en 1977 avait publié une liste de ses "victimes" sous le titre "Les femmes du diable".

Un livre avait donné le branle à ce courant critique dès 1964, c'était l'œuvre d'une de ses anciennes compagnes, Françoise Gilot : "Ma vie avec Picasso". Elle y disait son admiration pour l'artiste mais insistait sur sa cruauté et son indifférence. Elle avait été sa maîtresse. Soit. Fallait-il pour autant qu'il fût le maître? Les amis de Picasso avaient fait donner la grosse artillerie contre Françoise: une pétition avait été lancée que signa Fernande Olivier, compagne des années de grande pauvreté au Bateau-Lavoir. Néanmoins, en même temps que s'imposait l'image d'un Picasso symbole de l'oppression masculine, ses compagnes devenaient des figures de la cause des femmes: Dora Maar, Olga Kakhlova, Fernande Olivier elle-même ont fait l'objet d'expositions tandis que Françoise Gilot, toujours vivante le nargue du haut de ses 101 ans.

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En 1918, il avait signé un serment sur papier à en tête de l'hôtel Lutetia : "Moi, Pablo Picasso et Olga Kakhlova, danseuse des Ballets russes, promettons de vivre jusqu'à la mort en paix et amour. Qui cassera ce contrat sera condamné à mort". Olga mourra enfermée dans une clinique, désespérée d'avoir été abandonnée. Et si l'acte d'accusation ne concernait que les infidélités ! "Après ma mort, avait -il prédit, ce sera un naufrage". Et il emportera aussi enfants et petits enfants : Pablito, la vingtaine, meurt après avoir absorbé de l'eau de Javel. Deux ans plus tard c'est son père Paulo, la cinquantaine, le fils d'Olga qu'emporte un cancer du foie précipité par l'alcool. En 1977, la très joyeuse Martie-Thére Walter se pend. En 1986, la dernière épouse, Jacqueline, se tire une balle dans la tête, une fois close une succession insensée.

Cependant une fois qu'on a répété que le maitre était un prédateur, qu'a-t-on dit de juste ?

Faisons un pas de coté.

L'écrivain Claude Arnaud fait une observation en trois points.

  • "Pour travailler, Picasso a besoin d'un atelier" où vienne le monde mais qui l'en protège.
  • "Pour travailler, Picasso a besoin d'une femme qui conforte son être", qui lui donne la plénitude sexuelle et organise sa vie quotidienne.
  • Enfin, "pour travailler, Picasso a besoin d'un écrivain qui vante son art", qui soit son haut-parleur. En effet, le peintre pouvait n'être qu'un bloc de silence et quand il ouvrait la bouche, on comprenait souvent mal son Français heurté. Cet écrivain doit évidemment être proche de ses compagnes.

S'il en est un qui fut capable de tenir ce rôle et pendant de longues périodes, c'est Jean Cocteau, que Claude Arnaud connait parfaitement. Aussi publie-t-il pour cet anniversaire 1973-2023 un "Picasso tout contre Cocteau".

Cocteau, de douze ans son cadet, s'est énamouré de Picasso. Leur travail commun, avec Satie et Stravinski, pour le ballet "Parade" de 1917 les a rapprochés. Ensuite, à l'époque du surréalisme, Picasso qui a besoin de zélateurs renouvelés, tient un moment à distance Cocteau mais c'est pour le récupérer ensuite. Sans que Cocteau n'exprime jamais de plainte en public. "Pourquoi n'attaques-tu jamais Picasso ?", lui demande Stravinsky. "C'est, répond Cocteau, que j'aime sa cruauté". Alors qu'ii manque d'argent, jamais Picasso ne lui offre une toile, seulement des rogatons de céramique. Il s'en contente. Pour Claude Arnauld , dans cette relation souvent suspendue, toujours reprise, Picasso tient le rôle du sadique. Et Cocteau consent à celui du masochiste. L'un est de la race du diamant, l'autre de celle du verre qui se laisse blesser par le diamant.

Hypothèse de Claude Arnaud : quand Picasso essorait d'autres artistes, il les traitait comme ses femmes

De Georges Braque, aux côtés de qui il pratiqua le plus beau cubisme pendant deux ans et qu'ensuite il planta là, il disait : "Braque, c'est ma femme".

Vous devinez comment va évoluer la démonstration de Claude Arnaud, l'éloignant du lieu commun: "Picasso est un satyre".

Il observe par exemple la relation que le peintre a avec Jean Marais, le comédien-amant de Cocteau. Marais est optimiste, joyeux, il va naturellement à la vie comme Picasso qui ne se lasse pas de considérer sa beauté, d'autant plus noble qu'elle n'a pas de fonction reproductrice - Picasso pouvait être embarrassé par les femmes enceintes... " Il voudrait être Jean Marais', confie Dora Maar à Cocteau dont c'est aussi le cas.

Pour Claude Arnaud, il existait chez Picasso une forme dormante d'homosexualité qui dérivait naturellement de son hyper-virilité.

Mais les féministes et lui se retrouveront néanmoins sur un point. Au-delà de sa virilité et de sa sa féminité supposée, il ne cherchait pas à briller en humanité.

Picasso était davantage fait pour recevoir et même arracher, piller que pour donner.

A l'époque de Dora Maar, il habitait un immense atelier rue des Grands Augustins. On y accédait par un escalier étroit en haut duquel on trouvait une porte sur laquelle il affichait des messages. "Je suis au café en bas, je reviens dans une heure". Il aimait bien cette affichette où il affirmait "Je ne suis pas un gentleman".

Une fois, survint Boris Kochno, l'ancien directeur artistique des Ballets russes. Ne trouvant pas Picasso, il fixa à la porte un œillet coupé. J'entends encore Boris me raconter: "Croyez-moi si vous voulez, quand je suis revenu quelques jours plus tard, l'œillet était toujours frais". Je l'ai cru bien volontiers parce qu'on a beau dire et maudire, Picasso, c'était une eau rafraichissante qui coulait en abondance comme d'une pomme d'arrosoir".

La formule est de Jean Cocteau.

Claude Arnaud, Picasso tout contre Cocteau, Grasset.

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