Les crises de l'eau liées à sa surconsommation par les élites, démontre une étude

Des simulations montrent le rôle décisif de la surconsommation d'eau des ménages privilégiés dans les zones urbaines manquant de ressources aquifères.

Eau désalinisée au Chili
Un agriculteur utilisant de l’eau désalinisée dans une ferme du désert de l’Atacama (Chili), le 27 février 2019 ©BelgaImage

Ces vingt dernières années, plus de 80 métropoles ont dû faire face à une crise de l'eau dans le monde. On peut citer des exemples bien connus comme Le Cap mais aussi des villes européennes, à l'instar de Londres, Rome, Barcelone ou encore Istanbul. Bien sûr, le climat joue un rôle primordial dans ces moments de tension, mais il n'est pas le seul facteur. Ce 10 avril, une étude publiée dans Nature pointe un autre élément: la "consommation non durable des élites". Il s'avère ainsi que l'utilisation inégale de l'eau domestique a un impact non négligeable sur les grandes zones urbaines, les plus riches étant épargnés alors que les plus pauvres paient les pots cassés.

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Une consommation déraisonnée et une privatisation inquiétante des ressources

Pour le montrer, les chercheurs de l'université d'Uppsala, en Suède, se sont notamment penchés sur le cas critique du Cap. La population de la ville sud-africaine a été divisée en plusieurs catégories socio-économiques, les "élites" et les revenus intermédiaires supérieurs représentant 14% des Captoniens, tandis que les ménages modestes, ici surnommés "habitants informels", comptent pour 61,5% du total. Il s'avère que les premiers consomment 51% des stocks d'eau, tandis que les seconds se limitent à 27,3%. La cause de cette différence: les personnes plus aisées utilisent beaucoup d'eau pour arroser leurs grands jardins et remplir leurs piscines, ce que les "habitants informels" font beaucoup moins. En d'autres termes, ces derniers subissent un manque d'eau dans laquelle ils ont un responsabilité moindre.

Mais l'injustice ne s'arrête pas là! Pour s'assurer que leurs propriétés soient continuellement irriguées, les Captoniens les plus riches ont commencé à privatiser les ressources en eau de la région, notamment souterraines. Celles-ci sont donc mises à la disposition d'une poignée d'utilisateurs privilégiés au détriment des autres, sans compter le risque d'épuisement des nappes phréatiques que cette pratique engendre.

"Au final, les groupes d'élites et à revenu intermédiaire supérieur ont tendance à améliorer leur niveau de sécurité en eau après une sécheresse, tandis que les groupes à faible revenu deviennent plus précaires en eau", notent les auteurs suédois. "Les ménages privilégiés ne sont pas affectés par les augmentations tarifaires et continuent de dépendre des sources d'eau privées développées en réponse à la récente sécheresse. Au contraire, les groupes à faible revenu deviennent moins résilients car ils ne peuvent pas facilement se permettre les augmentations tarifaires qui sont devenues permanentes".

La nécessité d'une consommation sobre en eau

Au vu de ces constatations, l'étude estime que si le Cap continue dans cette dérive, les conséquences peuvent être terribles. En plus de la concrétisation déjà bien réelle de ces inégalités dans le tissu urbain, le poids des élites sur les ressources en eau de la ville pourrait être encore plus préjudiciable que l'impact du changement climatique.

Les chercheurs suédois préviennent: concevoir une stratégie basée "uniquement sur l'augmentation de l'approvisionnement en eau est contre-productive car elle élargit l'empreinte hydrique des villes tout en perpétuant des niveaux de consommation inégaux". De même, "l'augmentation des tarifs s'est révélée inefficace en termes d'équité et de durabilité environnementale".

À l'inverse, si les différents groupes sociaux adoptent tous une consommation plus durable, les simulations sont beaucoup plus encourageantes. "Dans ce scénario, les forages privés ne sont pas exploités et l'aquifère local reste relativement préservé. Ainsi, en ce qui concerne Le Cap, nous concluons que si chaque groupe social avait utilisé une quantité d'eau similaire et limité la quantité d'eau utilisée pour les commodités, la ville aurait pu éviter certains des pires effets du jour zéro" (qui marque la date où l'eau ne coule plus au robinet).

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"En d'autres termes, il n'y a rien de naturel dans la surconsommation et la surexploitation des ressources en eau par les élites urbaines et la marginalisation de l'eau d'autres groupes sociaux. Au lieu de cela, les inégalités en matière d'eau et leurs conséquences insoutenables sont le produit de l'histoire, de la politique et du pouvoir", conclut l'étude.

Et ailleurs qu'au Cap, cela se passe comment?

Ce phénomène de privatisation de l'eau qui pose tant de soucis à l'Afrique du Sud n'est toutefois pas spécifique à ce pays. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher a par exemple retiré la gestion publique de l'eau aux agences régionales pour la transférer à 18 compagnies privées. Pendant une dizaine d'années, les foyers ne pouvant payer leurs factures pouvaient voir leur robinet coupé. Depuis, une loi a interdit cette pratique mais les conséquences sont quand même bien visibles. Les prix ont flambé de 30-40 % en valeur réelle, les investissements cumulés du secteur ont chuté d’un cinquième, et de nombreux cours d'eau ont été pollués faute d'entretiens suffisants. Cette situation est devenue particulièrement problématique en 2022, lorsque l'amont de la Tamise était à sec alors qu'en aval, le rejet incontrôlé d'eaux usées a affecté la qualité des ressources aquifères.

Aujourd'hui, ce système est critiqué jusqu'au sein du gouvernement britannique. Le ministre Michael Gove a notamment critiqué ces entreprises en affirmant qu'elles étaient "plus intéressées par l’ingénierie financière que par l’ingénierie réelle”. Il a ainsi noté que de 2007 à 2016, les dix-huit sociétés ont reversé 95% de leurs profits à leurs actionnaires, souvent étrangers (canadiens, koweïtiens, émiratis, etc.). Une partie de l'opposition travailliste demande une renationalisation mais ce n'est pas le cas des conservateurs au pouvoir.

En Australie aussi, ce commerce de l'eau privatisée fait la fortune de quelques financiers, comme ces investisseurs chinois basés à Brisbane qui puisent l'or bleu pour la vendre en bouteille. La récurrence des périodes de sécheresse n'a fait que dopé les prix du marché. Face à cette situation, de nombreux agriculteurs ont dû vendre leurs fermes, la facture étant devenue trop élevée.

Dans l'Union européenne, pour l'instant, on n'en est pas là. Il existe néanmoins certains États membres qui semblent tentés par l'aventure de la privatisation, comme en Italie où le sujet revient régulièrement dans les médias de la Botte.

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