escargot de mer« Il va devenir un produit de luxe… » Le sacré coup de chaud du bulot

« A ce rythme, il deviendra un produit de luxe… » Le sacré coup de chaud du bulot

escargot de merVictimes du réchauffement climatique et de la surpêche, les bulots se sont raréfiés et ont vu leur prix s’envoler ces derniers mois. Les pêcheurs sont inquiets, la clientèle s’interroge
Un panier de bulots (vivants) sur l'étal d'une poissonnerie nantaise, le 8 avril 2023.
Un panier de bulots (vivants) sur l'étal d'une poissonnerie nantaise, le 8 avril 2023. - F.Brenon/20Minutes / 20Minutes
Frédéric Brenon

Frédéric Brenon

L'essentiel

  • Le bulot ou buccin est un gastéropode marin adepte des eaux froides que l’on retrouve dans l’Atlantique nord.
  • En France, ce coquillage est principalement pêché en Normandie, notamment à Granville.
  • Le volume de pêche a beaucoup diminué. Le prix de vente, lui, s’envole.

On l’appelle buccin ou bulot, mais certains le surnomment aussi « torion », « calicoco » ou « bavoux ». Ce mollusque marin d’une dizaine de centimètres, semblable à un escargot, est un plat populaire typique et de la gastronomie française, que l’on déguste en entrée, parfois à l’apéro, avec de la mayonnaise ou du pain beurré. Mais, depuis plusieurs mois déjà, ce petit gastéropode à la coquille pointue n’est plus vraiment bon marché. Son prix a littéralement flambé : en moyenne 20 euros le kilo de bulots cuits sur les étals des poissonneries, environ 16 euros le kilo de bulots vivants, soit le double de l’an passé. Un coup de chaud tarifaire qui a refroidi la clientèle. « J’en achète tous les dimanches, c’est comme une tradition avec mon mari, raconte Brigitte, sur le marché de Talensac à Nantes. Mais désormais j’en prends beaucoup moins. C’est trop cher. » « C’est devenu excessif, ça ne vaut pas le coup », considère Régis, un autre client.

« Il y a sept à huit ans de ça, le kilo je le vendais autour de 4 euros, se souvient Alric Paon, à la tête d’un réseau d’une quinzaine de poissonneries et points de vente en Loire-Atlantique. Ça représente une sacrée différence. Les clients habitués nous posent des questions, forcément. Alors on réduit nos marges. Et on explique le contexte, pour ne pas entendre dire que c’est le poissonnier qui se gave. »

Le contexte, c’est celui de la raréfaction du bulot. Un phénomène observé depuis quelques années, qui s’est intensifié avec les pics de chaleur de l’année 2022. Car le changement climatique en est la principale raison avancée. « L’élévation de la température de l’eau [+1 à +1,5° C] impacte la reproduction du buccin. Elle a pour effet de réduire de manière importante l’émission de pontes par les femelles et l’éclosion de juvéniles », rapporte l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui a planché sur le sujet. Le réchauffement de l’eau entraîne, de plus, un allongement de la durée d’enfouissement du mollusque, lequel apprécie surtout les eaux fraîches.

« Il faut faire 4 à 5 kilomètres pour en trouver »

Des bulots moins fertiles et plus difficiles à capturer : un double handicap pour les pêcheurs, en particulier ceux du Cotentin (Normandie), dont le coquillage est la grande spécialité. « A Granville, le principal port d’activité, on en trouvait habituellement 30 tonnes sur la criée il y a moins de dix ans. Maintenant, s’ils en ont 7 à 8 tonnes, c’est déjà bien. Même constat en Seine-Maritime et en baie de Somme », déplore Alexandre Leclerc, pêcheur professionnel et membre du conseil du comité régional des pêches de Normandie. Il explique être obligé d’aller chercher le bulot de plus en plus loin. « Il faut faire 4 à 5 kilomètres pour en trouver dans des zones plus profondes, là où l’eau est plus froide. Avant, on pêchait à 500 m du rivage. »


La pêche aux bulots s'effectue au moyen de casiers posés au fond de la mer.
La pêche aux bulots s'effectue au moyen de casiers posés au fond de la mer.  - M.Mochet/AFP

Le réchauffement climatique ne serait toutefois pas le seul responsable de la raréfaction du buccin. La surpêche est une autre cause avancée. « La ressource a été mal gérée par rapport au nombre de bateaux, on ne va pas se mentir, analyse Alexandre Leclerc. A un moment, beaucoup de pêcheurs se sont mis sur le bulot car il y avait des crises sur d’autres produits, comme la sole par exemple. Peut-être trop. Maintenant on connaît l’effet inverse. L’activité a été divisée par deux. Le prix permet de compenser mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? » Pour tenter d’endiguer la tendance, les quotas de pêche ont été diminués, la pêche a été fermée le week-end dans la plupart des ports, et même tout le mois de janvier à Granville. La taille des grilles de triage a également été augmentée pour « ne pas prendre les trop petits », en lien avec la communauté scientifique.

« Aujourd’hui même le bulot moche est recherché »

« A ce rythme, je pense qu’un jour le bulot deviendra un produit de luxe, parie Alexandre Leclerc. Aujourd’hui, même le bulot moche, qui auparavant n’était pas conservé par les mareyeurs, est recherché. » Le patron des poissonneries Paon est moins convaincu par cette montée en gamme. « Je n’y crois pas. Les prix ont aussi été dérégulés par la faiblesse des stocks après le Covid-19, je pense qu’ils vont redescendre un peu. Et puis le bulot n’a pas l’image d’un produit de luxe. Ça reste un coquillage complémentaire qu’on met dans un plateau de fruits de mer. Quand je fais un devis de plateau, ce sont très souvent les bulots qu’on nous demande de retirer si nécessaire. Ça s’est passé pareil avec le tourteau devenu rare et qu’on ne vend quasiment plus, c’est trop cher pour le produit. »

Réalisée à l’aide d’appâts et de casiers spécifiques posés au fond de l’eau, la pêche au bulot est principalement pratiquée en régions Normandie, Bretagne et Hauts-de-France. Face aux difficultés de la ressource et la concurrence des pêcheurs britanniques et irlandais, certains bulotiers plaident pour un report de pêche vers la coquille Saint-Jacques, l’araignée de mer, voire le bernard-l’hermite.

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