E-Pal, la plateforme qui loue des e-girls contre quelques dollars

© E-Pal

Cette plateforme californienne réunit près de 2 millions de gamers qui payent des jeunes femmes pour jouer à leurs côtés ou les appeler tard le soir avant de s’endormir. 

Sun, 19 ans, gagne 800 dollars par mois en jouant à Valorant, un jeu de tir en ligne. Elle ne se contente pas de diffuser ses parties sur Twitch, comme une streameuse classique. Sun, interrogée par le youtubeur Eggwick, gagne sa vie en jouant aux côtés d’autres gamers qui la payent pour cela. Comme des milliers d’autres jeunes femmes, Sun est une « ePal ». Elle vend via le site éponyme qui compte quelque 1,8 million d’utilisateurs quelques minutes de jeux en sa compagnie, ou juste la possibilité de discuter avec elle. 

E-pal.gg se présente comme un « réseau social » pour gameurs. « Pour se faire des amis du monde entier en jouant au jeu vidéo », peut-on lire sur le site de cette entreprise californienne créée en 2020. Sauf que ces amitiés sont payantes. La page d’accueil ressemble plutôt à une sorte de supermarché d'e-girls. On peut aussi louer les services d'ePals masculins, mais ils sont bien moins nombreux. La plateforme, financée par l’un des plus gros fonds d’investissement de la Silicon Valley a16z, se baptisait d'ailleurs e-girl.gg avant de changer d’identité. 

La petite copine stéréotypée du gameur 

Chacune des ePals affiche des caractéristiques : « cultivée », « drôle », « bavarde », « bonne écoute »... Mais aussi les jeux auxquels elles ou ils jouent, leur nombre de clients… Un service comparable à une agence d’escorts 2.0., correspondant à une certaine catégorie de femmes, comme Internet sait en créer à la chaîne : celui de l'e-girl. Ce terme apparu en 2009 selon le site Know Your Meme était à l’origine dépréciatif. Il désigne une fille qui cherche l’attention, avec un style assez précis : cheveux colorés, oreilles de chats, casque de streameuse, moue façon Hentai, les mangas érotiques… L'e-girl incarne la petite copine fantasmée et stéréotypée du gameur

Les e-girls « à louer » sur E-Pal sont commentées et notées sur 5 étoiles par les utilisateurs qui s’offrent leurs services. On peut lire ce genre de commentaire en dessous des profils : « superbe voix, charmante, fille très ouverte : ) », « je n’ai pas aimé, ce n’était pas très fun de jouer avec elle ». Certaines ePals proposent des formules fidélité : pour 5 jeux payés en leur compagnie, vous obtenez une partie gratuite. Outre le jeu en ligne, différents services sont proposés : la possibilité de discuter avec elle, demander un avis sur sa vie amoureuse, parler dans une langue étrangère, leur passer un coup de fil juste avant de s’endormir ou au réveil, recevoir un selfie… Les utilisateurs doivent acheter des « buffs », la monnaie virtuelle de la plateforme, pour pouvoir se payer ces prestations, vendues entre 2 et une vingtaine de buffs. Les « clients » peuvent aussi offrir des pourboires et des cadeaux virtuels à leur ePal. La plateforme prolonge et renforce d'une certaine manière les relations parasociales que certains viewers vivent avec les steamers et influenceurs qu'ils suivent.

« Gameur alcoolique achète gameuses inconnues »

Le site ne se définit pas comme une appli de dating, encore moins comme un service de cybersexe. « Les contenus et activités pornographiques, sollicités ou non, sont interdits. Aucune nudité ou activité sexuelle n’est autorisée », peut-on lire sur le site d'E-Pal. Mais sur le Discord de la plateforme, des utilisatrices se plaignent de publicités diffusées sur TikTok qu’elles jugent trop aguicheuses, donnant l’impression qu’elles se doivent de flirter avec leurs interlocuteurs. 

Sur YouTube et Twitch, les parties jouées avec une ePal sont un sous-genre de vidéo. Elles s’intitulent « ma pire expérience avec une ePal », « j’ai loué une e-girl », ou encore « gameur alcoolique achète des gameuses au hasard ». Des streamers diffusent des vidéos de leurs échanges, parfois sans prévenir leur partenaire. C'est notamment ce qu'a fait Josheki (233 000 abonnés sur Twitch) en septembre 2022, lors d’une partie de Valorant, aux côtés d’une ePal, choisie pour être la moins bien notée. La jeune femme turque de 23 ans se livre sur son rapport à la plateforme. « Je voulais juste me faire des amis, mais les gens ne sont pas tellement amicaux… Ce sont juste des mecs excités. » Elle explique aussi avoir été mal notée par un utilisateur après avoir refusé d’envoyer des nudes. 

Interrogée il y a trois mois par le youtubeur Eggwick, Sun explique que son statut d’ePal l’expose encore plus au cyberharcèlement qu’elle subissait déjà en tant que simple streameuse. Depuis cette interview, la jeune femme a désactivé tous ses comptes de réseaux sociaux où elle partageait son quotidien d’ePal et ne semble plus être active sur la plateforme.  

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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