50 ans de Libé : le journal a porté tous les combats féministes mais... "c'était très macho"

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50 ans de Libé : le journal a porté tous les combats féministes mais... "c'était très macho"

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Une du journal Libération du 7 novembre 2016, consacrée aux inégalités salariales.
Une du journal Libération du 7 novembre 2016, consacrée aux inégalités salariales.
- Journal Libération

Pour les 50 ans de Libération, qui a porté tous les combats féministes, France Inter est allé à la rencontre d'Annette Lévy Willard, grand reporter à Libération durant 42 ans. L'occasion d'évoquer la place des femmes au sein du journal il y a un demi-siècle.

Libération, le journal fondé par Serge July et Jean-Paul Sartre, fête ses 50 ans. Un demi-siècle d'engagement politique, et de combats notamment pour les droits des femmes. Pourtant y être une femme journaliste, aux débuts, n'était pas une mince affaire. Annette Lévy-Willard, grand reporter à Libération pendant 42 ans, s'est confiée à France Inter. Elle raconte le décalage qu'il y a pu avoir entre les convictions d'un journal progressiste et marqué à gauche et la façon dont les femmes ont dû se battre, en son sein, pour trouver leur place.

FRANCE INTER : Lorsque vous entrez à Libération trois ans après son lancement, en 1976, des femmes y sont-elles déjà journalistes ?

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ANNETTE LÉVY-WILLARD : "Oui, mais très peu. Il y avait Martine Storti, féministe très militante, Blandine Jeanson,
la femme de Serge July qui avait fondé le journal avec lui, et Béatrice Vallaeys. De très bonnes journalistes, mais quand je suis arrivée, il n'y avait absolument aucune journaliste ou cadre qui ait du pouvoir au sein de Libération. L'héritage de mai 68 et du gauchisme faisait que c'était très macho, très violent. Il n'y avait pas de règle, pas de syndicat, c'était la volonté du plus fort qui gagnait. On pouvait se balancer une machine à écrire à la figure ! Béatrice Vallaeys avait un principe qu'on a appliqué : montrer tout de suite qui est Raoul, comme dans les Tontons Flingueurs ! Déterminer tout de suite ton territoire."

"L'idéologie, les principes d'un côté et la réalité de l'autre !"

À quel genre de sujets étiez-vous assignée ?

"J'étais féministe mais je n'avais pas forcément envie d'écrire sur les femmes. Et évidemment, c'est ce qu'on m'a demandé. Jusqu'au jour où j'ai dit que ça commençait à suffire. J'avais été envoyée pour couvrir un procès pour viol à Metz dans les années 80, vraiment horrible. Une jeune ouvrière qui tous les matins allait à la même heure à l'usine en traversant un bois. Trois hommes l'ont violée. Pendant le procès, ils décrivaient les scènes de viol absolument insupportables, et de torture. Et là un des types dit "mais Monsieur le Président, elle aimait ça". Et là, il y a un cri, la jeune femme s'effondre. Moi, j'ai été vomir dans les toilettes tellement j'étais malade de ça. Je suis rentrée à Paris et j'ai dit "je ne comprends pas pourquoi ce sont les filles qui doivent couvrir les procès pour viol. Ça nous rend malades et je pense que ce serait très bien que les journalistes masculins s'en chargent, ce serait beaucoup mieux". Et cela a été fait."

À réécouter : Annette Lévy-Willard
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Pourtant Libération a toujours porté tous les grand combats féministes ?

"C'est une vieille tradition de la gauche française, l'idéologie et les principes d'un côté et la réalité de l'autre ! Parler d'IVG, de pilule, de contraception, tout cela embêtait les mecs. Cela ne m'amusait pas non plus, mais c'était des combats complètement décisifs. Cela dit, tous ces sujets ont été très bien été couvert et suivis par Libération car il y avait une vraie volonté de la direction, de tout le monde au journal, de défendre ces sujets-là."

Vous avez le sentiment d'avoir essuyé les plâtres pour les femmes journalistes qui sont arrivées après ?

"Oui mais on a essuyé les plâtres déjà en créant le MLF [Mouvement de libération des femmes, ndlr] ! On se faisait insulter, y compris par nos mecs. Mais c'est vrai que c'était très dur au début. À la guerre par exemple, on envoyait souvent un homme à ma place et à chaque fois j'étais très humiliée. Maintenant, on a l'impression qu'il y a une vraie égalité. Encore que... je ne suis pas allée voir !"

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