Publié

Un rapport de la Confédération admet pour la première fois un racisme structurel en Suisse

Un rapport de la Confédération admet pour la première fois un racisme structurel en Suisse. [Keystone - Olivier Maire]
Racisme systémique en Suisse / La Matinale / 2 min. / le 17 avril 2023
Un rapport diffusé en mars par le Service de lutte contre le racisme (SLR) de la Confédération atteste de l'existence d'un racisme systémique en Suisse dans plusieurs domaines. Inédite, cette prise de conscience appelle désormais des actions concrètes.

Par racisme "structurel" ou "systémique", on qualifie les formes de discrimination ou d'exclusion fondées sur des critères raciaux (couleur de peau, noms, langues, accents, etc...) qui ne se manifestent pas seulement par des actes punis par la loi (insultes, agressions), mais aussi par des préjugés construits au cours de l'Histoire et désormais tellement ancrés dans notre société qu'ils passent inaperçus.

Pour évaluer l'état de ce phénomène en Suisse, dans la société et les institutions, le Forum suisse pour l'étude des migrations et de la population de l'Université de Neuchâtel - mandaté par le SLR - a passé en revue plus de 300 études scientifiques et rencontré des spécialistes du terrain. Il en conclut que ce racisme systémique "est une réalité" et que des mesures s’imposent.

Une première pour la Confédération

Dans un communiqué, le SLR prône notamment un changement de perspective dans la lutte anti-raciste. "Les mesures prises jusqu'ici [...] visaient avant tout à modifier les attitudes des personnes ou à soutenir les victimes. Si cette démarche n’est pas erronée, elle n’en est pas moins insuffisante", écrit-il. C'est la première fois qu'un rapport de la Confédération reconnaît l'ampleur du problème en Suisse.

Le rapport évoque des difficultés pour trouver un logement quand on porte, par exemple, un patronyme albanais, turc ou tamoul, ou un emploi lorsqu'on est noir ou maghrébin. Il note aussi que les représentations stéréotypées jouent un rôle dans certaines décisions des autorités.

Le service rattaché au Département fédéral de l'intérieur invite désormais à l'action. Cela commence par identifier les domaines et les catégories de personnes les plus touchés, puis travailler en collaboration avec tous les acteurs concernés, de la société civile, des institutions ou de la recherche.

"Ce n'est pas le Service de lutte contre le racisme qui va décider des mesures à mettre en place", précise sa responsable suppléante Katja Müller.

>> Lire sur le même sujet : "Enfant, j'ai souvent prié de me réveiller blanche"

Multiplication des appels à réagir

Interrogé à ce sujet dans La Matinale, le conseiller national genevois Vincent Maitre (Le Centre) estime qu'il sera possible d'agir "facilement et rapidement" pour améliorer les choses dans le cadre des administrations. En revanche, "dans des secteurs strictement privés, comme le marché de l'emploi ou le logement, ça paraît beaucoup plus difficile d'agir rapidement et concrètement, parce qu'on se trouve dans des relations contractuelles qui passent un peu sous les radars."

La Suisse a été la cible de plusieurs critiques en début d'année au sujet de sa prise en charge du racisme, notamment de la part du Conseil des droits humains de l'ONU. L'ONG Amnesty International avait aussi dénoncé un "racisme systémique" en Suisse dans son rapport annuel.

>> Lire : La Suisse peut faire mieux face au racisme, selon les Etats membres de l'ONU

Enfin, début 2022, la Suisse avait été vivement critiquée par plusieurs membres du Groupe de travail de l'ONU sur les personnes d'ascendance africaine qui avait dénoncé un racisme systémique et réclamé, entre autres, l’interdiction du profilage racial ou la création d'organismes civils indépendants de contrôle de la police.

Sujet radio: Camille Degott

Texte web: Pierrik Jordan

Publié

La nécessité de quantifier le phénomène

Pour la juriste Meriam Mastour, consultante sur les questions de discriminations et militante anti-raciste, il est avant tout essentiel d'avoir des statistiques fiables sur le sujet.

"Sans avoir des chiffres fiables, c'est extrêmement difficile de mettre en place des politiques sur le terrain", souligne-t-elle. Elle appelle notamment à augmenter le nombre et la qualité des bureaux d'écoute, afin que "les populations discriminées se sentent à l'aise de venir déposer leurs témoignages".

Dans une longue enquête sur le racisme en Suisse parue cette année, le média scientifique Heidi.news décryptait - entre autres - comment le manque de moyens des 23 centres d'écoute du pays, ainsi que le rattachement de certains d'entre eux à l'Etat, participait à "sous-estimer le racisme en Suisse".

Interrogée dans La Matinale de la RTS, Meriam Mastour appelle aussi le monde politique à "refuser de débattre ou de voter sur des lois qui sont manifestement racistes" et, au niveau de la société, de "refuser de d'avoir des débats qui sont stigmatisants".

>> Voir par exemple : Le Conseil municipal de Genève autorise le burkini dans les piscines de la Ville

Différent état des connaissances selon les domaines

Dans sa synthèse, le Service de lutte contre le racisme rappelle que la discrimination se manifeste de manière différente selon les groupes et les domaines de vie. Il explique qu'à travers cet état des lieux de la recherche, il a été possible d'identifier "des indices de discriminations institutionnelles et structurelles" principalement dans les domaines du travail, du logement ainsi que des démarches administratives et de la naturalisation.

Dans une moindre mesure, la protection sociale, la police et la justice sont aussi concernées. Enfin, l'existence d'une telle discrimination dans les domaines de la santé et de l‘instruction ou la formation fait l‘objet d‘un débat au sein de la recherche.

Quant aux domaines "médias et internet" et "vie quotidienne, espace public et famille", ils n’existe pas encore suffisamment d’études pour que l’on puisse tirer des conclusions en matière de racisme systémique.

Quoi qu'il en soit, "pour ancrer durablement la protection contre la discrimination raciale au sein de la société, il faut jeter un regard critique sur nos structures et nos institutions", estime le document. Les chercheurs et chercheuses appellent aussi à poursuivre la recherche en la matière: "Il revient à la politique, aux autorités et aux institutions de permettre à ce savoir de se constituer et de circuler, de soutenir ce processus et de tirer profit de ces connaissances."

>> Lire aussi l'interview de la chercheuse Pamela Ohene-Nyako sur le site de la Confédération