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Les Justes, les survivants, et ceux qui ne sont pas revenus 


Ayant échappé aux rafles de Figeac en mai 1944, Simon Liwerant (1928- 2013) a passé une grande partie de sa vie à témoigner.

En début de semaine était célébrée « Yom HaShoah », la Journée du souvenir de la Shoah. En France, la plus poignante des manifestations s’est tenue comme de coutume à Paris où ont été lus devant le mur du Mémorial les noms des déportés juifs de France durant la Seconde guerre : ils furent 76 000 – dont 11 400 enfants – à être convoyés vers les camps de la mort. Seuls 2 600 survécurent. 

Parmi ces noms, ceux de Aron Liwerant et Sarah Redler, tous deux originaires de Varsovie, qui se marièrent en 1926 à Paris. Ils avaient trois enfants : Berthe (née en 1927), Simon (né en 1928) et Jacques (né en 1940). 

La maman a été déportée vers Auschwitz, où elle fut assassinée, par le convoi n°26 parti de Drancy le 31 août 1942. Le papa fut pour sa part du convoi n°51 du 6 mars 1943, un des rares à avoir été dirigé vers Majdanek (Lublin). On retrouvera sur le site de l’institut YadVashem la terrible destinée de la famille… Les enfants, eux, presque miraculeusement, ont survécu. Cachés. 

A l’exemple de Simon, passé notamment par Le Chambon-sur-Lignon et par Figeac, où il intègre le lycée en janvier 1944. Y étaient déjà « placés » dix autres enfants juifs.

Son témoignage, désormais consultable sur le site de l’INA : « On se retrouve à onze là-bas. Tout le monde se pointe, se présente. Voilà je m’appelle untel, untel, untel. Et là j’en vois un qui s’appelait Daniel Vincent. Je l’ai aidé à faire tous ses devoirs de maths, tous ses devoirs de physique parce qu’il ne voulait pas apprendre. Moi, j’ai voulu redoubler ma cinquième là-bas parce que je voulais faire technique. Et si je rentrais en quatrième, je ne pouvais plus faire technique, or je voulais être ingénieur en mécanique de haute précision. J’avais besoin de travailler avec mes mains. Et ça m’intéressait, l’horlogerie et les trucs très fins comme ça, j’aimais beaucoup. Donc j’ai dit : je vais faire ça. Effectivement, j’ai fait du dessin industriel, j’ai travaillé sur un tour, sur une perceuse, sur des machines à outils et tout. Et il y avait donc toute cette bande de copains, là, sauf deux qui étaient en « classique » et il y en avait beaucoup en « technique ». Donc je fais connaissance avec ceux-là. Tous les Juifs étaient sous un faux nom. Sauf moi. Liwerant (NDLR : orthographié cependant, alors, avec un « v »), j’ai toujours gardé mon nom parce que personne ne se serait douté de quoi que ce soit et c’était beaucoup plus facile pour moi, voilà. […] Mais il y avait un problème avec les élèves parce que le samedi il n’y avait pas cours à l’époque, peut-être le matin et encore pas toujours. Donc il y en avait toujours onze qui restaient. Et comme c’est un internat, tous les gosses, ils allaient chez leurs pères, leurs mères. Ils étaient paysans, ils ramenaient des valises de mangeailles parce que les parents leur donnaient. Donc, dans le réfectoire, il y avait trois cents ou quatre cents caisses sauf onze, ça se voyait. Et puis nous, par moment, nous on vendait notre savoir en échange de casse-croûte. Quand quelqu’un s’adressait à nous pour dire : dis-donc Simon, comment tu fais ce truc là ? Dis-donc, t’as bien mangé toi ce soir ? Oui ! Eh bien pas moi ! Ah d’accord, j’arrive alors. On négociait notre travail contre l’appétit. » 

« Jusqu’à ce jour de mai… » 

Question : Comment est-ce que vous avez su que les dix autres élèves étaient juifs comme vous ? 

Réponse : « Eh bien parce que celui qui nous a emmenés là-bas, il venait nous voir. Donc quand moi on m’a présenté, on m’a dit voilà il y a celui-là, celui-là, celui-là. Il les a rassemblés dans un coin de la cour en disant voilà, c’est le nouveau, il s’appelle Simon Liwerant et vous… Donc on s’est reconnus tout de suite. On jouait aux échecs, on jouait à la pelote basque, parce qu’on était toujours ensemble » 

Nouvelle question : Vous parliez de vos parents respectifs ? 

Réponse : « Jamais. Jamais, on avait l’habitude. On nous avait dit : c’est silence, vous êtes comme les autres. Les autres, ils ne parlent pas de leurs parents, nous non plus ! C’est vrai que les gosses de là-bas, ils parlaient de quoi ? Ils parlaient ; « Bon euh, j’ai vu ma copine, j’ai été ici, j’ai fait ça »… Mais les parents… Vous savez à quatorze-quinze ans les parents, on ne s’en occupe pas beaucoup, hein. Donc, on nous avait dit ces histoires-là vous les gardez quand vous vous baladez ensemble, le restant on ne veut pas savoir. […] Il y avait quand même une certaine discipline pour éviter les qu’en dira-t-on… mais les autres, les gosses ils le savaient ! Alors, t’as vu tes parents ? T’es sorti ? t’es… Ah non j’ai pas pu ! Mon machin il est malade, j’ai pas… Bon, on ne peut pas raconter ça tous les samedis… Donc les gars de la Sixième (*) ils venaient, ils nous sortaient. D’abord on allait à la messe, parce qu’il y avait l’église qui était attenante au collège. C’était un ancien couvent ou un ancien monastère qui était transformé en lycée. Et puis l’après-midi de temps en temps, ils venaient nous chercher, ils nous baladaient. Mais bon, les gosses… Il y en a peut-être… Les grands savaient peut-être, les autres peut-être pas mais il n’y avait pas de bruit de ce côté là, et il n’y avait pas d’Allemands non plus à Figeac. Ce n’était pas un coin… Il y en avait surtout à Brive, à Tulle, à Toulouse, à Cahors mais pas à Figeac. Il n’y en avait pas… Il y avait une usine de munition mais c’est tout : mais il n’y en avait pas jusqu’au jour où, au mois de mai… » 

La suite, telle que décrite sobrement par l’institut Yad Vashem : « Le 12 mai 1944, des SS arrivent à Figeac à l’improviste, et rassemblent tous les habitants. Quelque 800 personnes sont emprisonnées et envoyées vers des camps d’internement. Parmi les prisonniers : neuf jeunes Juifs. Simon Liwerant et un autre jeune ont réussi à se cacher et à éviter l’arrestation. Ils passeront clandestinement en Suisse, grâce à l’organisation de sauvetage de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants). Seul un des neuf jeunes Juifs raflés ce jour-là à Figeac a survécu. » 

Simon, qui passa en Suisse quelque temps plus tard, a consacré une grande partie de sa vie d’adulte à témoigner. Il fut également l’un des artisans de la reconnaissance de l’action de Noël Gozzi. Arrivé en 1941 comme proviseur du collège et lycée Champollion, ce dernier a donc protégé 11 enfants, les cachant dans l’internat, puis leur procurant de faux papiers d’identité. Déporté, il revint de l’enfer et mourut à Nérac (Lot-et-Garonne), en 1964. Il a été fait « Juste parmi les Nations » en 2012. Simon Liwerant a travaillé durant trois années pour reconstituer le parcours du proviseur héroïque du lycée de Figeac… 

« Je pars confiant… » 

Après la guerre fut également retrouvée une lettre du père, Aron, à sa fille Berthe, datée du 3 mars 1943 : « Je suis maintenant dans le train. Nous allons sûrement en Allemagne. J’espère, mon enfant, que tu reçois toutes mes lettres. Si tu peux, conservez-les en souvenir. Chère Berthe, je joins deux billets de loterie. Je n’ai pas de journal. J’espère, mon enfant, que tu sauras te comporter comme une personne indépendante. Même si tu es sans tes parents pour l’instant, n’oublie pas que tu dois survivre et n’oublie pas de rester juive, tout autant qu’un être humain. Dis-le aussi à Simon. Restez libres et gardez les yeux ouverts. Ne vous laissez pas influencer par les premières impressions. Sachez qu’on ne peut ouvrir une personne pour voir ce qu’il s’y passe à l’intérieur, voir ses pensées cachées, qu’elle ait un visage sérieux ou qu’elle rit et soit agréable. Je ne pense pas à quelque chose en particulier, mais à tout ce qui vit autour de vous et à tout ce que vous voyez. […] Dis à Simon tout ce que je t’ai écrit. Dis-lui d’étudier et d’être un bon élève, car il est doué. Je termine ma lettre. Beaucoup de baisers. Je pars confiant de savoir que tu vas grandir et devenir une fille bonne, intelligente, et en bonne santé. » 

Ph.M. 

(*) « La Sixième », surnom des Eclaireurs Israélites de France devenu sous l’Occupation la 6e section de l’Union générale des Israélites de France. « La Sixième » était notamment composée des réseaux de l’OSE dédiés au sauvetage des enfants et à leur passage en Suisse. 

Photos : archives INA et Mémorial de la Shoah (Simon Liwerant adulte et Simon et sa sœur avec leurs parents avant la guerre). 

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