Notre cerveau, ce fabuleux objet. Des millions d’années d’évolution ont creusé des dédales de voies neuronales dans ce matériau « à la consistance de porridge tiède », selon le mathématicien Alan Turing. Mais comment cette matière molle peut-elle sécréter des pensées et des émotions, piloter des comportements complexes, commander des mouvements qui eux-mêmes modulent nos états mentaux – et réciproquement ?
Platon (v. 427 av. J.-C. − v. 347 av. J.-C.) et Descartes (1596-1650) d’un côté, Spinoza (1632-1677) de l’autre. Pour les premiers, l’esprit et le corps étaient deux substances de natures radicalement différentes. Pour Spinoza, ils sont « une seule et même chose exprimée de deux façons différentes ».
Le penseur néerlandais avait vu juste. Une étude publiée dans la revue Nature, le 19 avril, en fournit de nouvelles preuves, imagerie cérébrale à l’appui. Les auteurs ont cartographié avec précision notre cortex moteur primaire, cette étroite bande qui court d’une tempe à l’autre, à la surface du cerveau, et pilote nos mouvements. En révélant la complexité de son organisation et des connexions neuronales du cortex, ce travail montre que « l’action et le contrôle du corps sont fondus dans un circuit commun », résument les chercheurs de l’université Washington, à Saint-Louis, dans le Missouri. Une découverte qui, selon eux, « pourrait aider à expliquer pourquoi les états mentaux et les mouvements du corps interagissent si souvent ».
Cette nouvelle carte du cortex conduit à redessiner une étrange créature couchée à la surface de notre cerveau (nous en hébergeons une dans chaque hémisphère, étendue sur le cortex moteur primaire). Un petit bonhomme difforme, en réalité. Il présente, de la tempe vers le milieu du cerveau, une langue qui pend, une tête énorme, une bouche monstrueuse, des doigts et une main surdimensionnés, un bras, une épaule et un tronc rabougris, et une jambe toute grêle munie d’un grand pied.
Une vision globale du système nerveux
Ce personnage iconique, l’« homoncule de Penfield », figure dans d’innombrables manuels de médecine. Il tire son nom du neurochirurgien canadien Wilder Penfield (1891-1976), qui en a dressé le portrait à partir de 1937. Une prouesse à l’époque : chez ses patients opérés du cerveau mais conscients, il notait les mouvements induits par la stimulation électrique de points précis du cortex. Il en déduisait que telle région contrôle le mouvement du pouce, telle autre de la main, telle autre des orteils, etc. Si la langue ou les mains occupent des espaces disproportionnés, c’est que leurs mouvements ultraprécis (pour parler ou saisir un objet) mobilisent davantage de ressources cérébrales.
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