Oui, vous lisez bien, le Japon vient de mettre en service des distributeurs automatiques de viande d’ours sauvages chassés pour l’occasion. Ceci seulement quelques semaines après le lancement polémique des machines automatiques vendant de la viande de baleine fraîche à Tokyo. Selon les entreprises à l’origine de ces « concepts modernes », ces machines rencontrent un succès aussi important qu’inattendu. Comment expliquer un tel phénomène ?

Le Japon était déjà le pays des distributeurs automatiques et au contenu souvent des plus surprenans. La gamme des produits alimentaires s’étend des classiques boissons chaudes/froides pour aller jusqu’aux insectes comestibles. Selon l’Association japonaise des fabricants de systèmes de distribution automatique, le nombre de machines a atteint un pic de 5,6 millions d’appareils en 2000, soit une pour 23 personnes !

Impossible de ne pas croiser un distributeur en visitant le Japon. Source : flickr

Si depuis ce chiffre est tombé à un peu plus de 4 millions en 2020, le Japon compte toujours le plus grand nombre de distributeurs par habitant au monde. Une « famille » qui vient de s’agrandir avec l’apparition dans la préfecture d’Akita d’un nouveau modèle proposant de la viande d’ours fraîche. Un produit assez déconcertant vu d’Occident, mais un pari qui a néanmoins rencontré un succès improbable comme le rapportent des médias locaux.

La viande d’ours comme opportunité touristique…

Depuis que la machine a pris ses fonctions en novembre 2022, les clients se sont montrés très intéressés par cette nouvelle offre. L’idée a germé après qu’un restaurant local, Soba Goro, ait décidé de cuisiner de la viande d’ours dans le but d’attirer les touristes. D’autant plus que selon un porte-parole du restaurant « La viande d’ours a un goût propre et ne devient pas dure même réfrigérée. » Sa saveur serait légèrement giboyeuse et c’est de plus au nord du Japon que l’on consomme le plus de viande d’ours de manière saisonnière. On peut la trouver vendue en conserve, préparée en curry instantané, et souvent accommodée en ragoût. Pour ces commerçants, l’opportunité était trop belle pour passer à côté.

Comme le journal Mainichi Shimbun le rapporte, le distributeur propose un mélange de viande maigre et grasse au prix de 2 200 ¥ (environ 18 euros) pour 250 grammes. Elle a trouvé sa popularité auprès des voyageurs arrivant à la gare ferroviaire voisine de Semboku, mais pas seulement. Car cette viande d’ours, présentée comme une spécialité régionale, a franchi les frontières de sa préfecture, l’opérateur ayant du répondre à des commandes par correspondances de Tokyo, à environ 400 km de distance !

De la viande de sanglier, de phoque et d’ours en vente dans un supermarché de Tokyo. Source : flickr

La viande du distributeur provient d’ours sauvages capturés dans les montagnes locales par des membres d’un club de chasse qui sont autorisés à en tuer un certain nombre pendant la saison de chasse annuelle. Mais si la viande d’ours a trouvé des amateurs, des défenseurs des droits des animaux ont élevé la voix contre cette nouveauté et ont demandé à ce que la chasse à l’ours soit interdite au nom de la protection de l’espèce et de l’environnement. Pour cause, vendre cette viande de manière automatisée, c’est aussi une manière d’industrialiser sa consommation. Ainsi, Nick Stewart, directeur de la campagne pour la protection de la faune chez World Animal Protection, a déclaré au Guardian qu’« Il s’agit là d’un nouveau coup bas pour la faune et la flore. »

…au détriment de l’espèce ?

Nick Stewart développe sa pensée :

« Les ours ont une grande importance pour l’écosystème dans lequel ils vivent. Si nous les protégeons, leur habitat, les animaux et les plantes qui s’y trouvent en bénéficieront également. C’est de l’exploitation animale à outrance. Les ours sont des animaux sauvages, pas des aliments de commodité. Laissons-les dans la nature pour qu’ils vivent leur vie sauvage. »

Un ours d’Hokkaido. Source : flickr

Mais si les arguments des défenseurs des animaux sont légitimes, ils risquent d’avoir du mal à être entendus alors qu’une forte augmentation de rencontres humains/ours est observée par le ministère de l’environnement : ce nombre a grimpé d’environ 4 800 en 2009 à plus de 20 000 en 2020. En 2020, deux personnes ont même été tuées et 158 autres blessées…

D’après les experts, ce phénomène est du à un manque de nourriture poussant les ours à s’éloigner de leur habitat pour se rapprocher des installations humaines et se nourrir. Favorisant de fait des rencontres involontaires. Rappelons aussi que c’est l’Humain qui empiète sur les terres naturelles toujours plus loin ! Le Yomiuri Shimbun rapporte ainsi qu’en 2020 environ 40 % d’entre elles ont eu lieu dans des zones résidentielles et urbaines ou sur des terres agricoles. Cependant, on ne peut que comprendre la crainte des habitants locaux qui risquent parfois leur vie. Des incidents, parfois mortels, ont lieu chaque année.

L’apparition de ce distributeur de viande d’ours fait suite à celui de viande de baleine dont le lancement à Tokyo avait fait polémique fin janvier. Une idée venue de la plus grande entreprise baleinière japonaise, Kyodo Senpaku, qui espère en installer 100 d’ici 5 ans dans tout le pays pour relancer la consommation de cette viande au nom d’une tradition culinaire discutée et en perte de vitesse. Mais les baleines ne mettent pas la vie des Japonais en danger contrairement à l’ours qui souffre de cette excuse. Pour autant, développer le commerce de sa viande est-elle une réponse appropriée ? Les japonais eux-mêmes se posent aujourd’hui la question.

– Mr Japanization

Image d’en-tête : un Ours noir du Japon ; source : flickr