Des comportements inédits enregistrés chez les cachalots de l'Île Maurice

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Des comportements inédits enregistrés chez les cachalots de l'Île Maurice

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Le clan de Irène Gueule Tordue
Le clan de Irène Gueule Tordue
- René Heuzey/ Indian ocean marine life foundation

Grâce au suivi sur 12 ans d'un clan de cachalots au large de l'Île Maurice, des chercheurs ont réussi à reconstituer leur arbre généalogique. Appuyée par des plongeurs de l'Indian Ocean Marine Life, cette équipe révèle aussi des comportements jamais observés auparavant dans le monde.

Depuis 2011, René Heuzey nage avec les cachalots de l'Île Maurice. Ce réalisateur chef opérateur sous-marin les a croisés à l'occasion d'un tournage de film promotionnel et depuis, chaque année, il va à leur rencontre, souvent aux côtés de scientifiques qu'il a embarqués dans son sillage. Ces heures de films désormais enrichies d'enregistrements haute qualité ont permis de connaitre chaque individu, sa personnalité, et de suivre la vie du clan de cachalots, baptisé "clan d'Irène Gueule tordue", nom attribué à la plus âgée du troupeau.

À une heure de bateau de la côte, à l'aplomb d'une falaise de 3000 mètres, les animaux sont là. Dix-sept femelles adultes et 20 petits nés depuis le début des observations. Les mâles adultes ont quitté les lieux vers d'autres océans mais l'étude génomique des lambeaux de peau naturellement perdus dans l'eau par les animaux a permis de réaliser une première mondiale : l'arbre généalogique de l'ensemble du clan.

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"Nous avons pu reconstituer les liens de parenté et remonter jusqu'à l'arrière arrière grand-père du clan", détaille l'océanographe François Sarano, océanographe et président d'honneur de l'Indian Ocean Marine Life Foundation. Les mâles essaiment et partent vers d'autres horizons. "Nous avons pu démontrer grâce à cette analyse génétique les liens entre les cachalots qu'on voit à Kerguelen, les grands mâles de Kerguelen et les cachalots qu'on voit ici à l'Île Maurice", ajoute t-il. Un lien de parenté que ni les balises ni les observations visuelles n'avaient jusque-là permis de mettre au jour.

Les Savanturiers
4 min

Mère-nourrice et femelle baby-sitter

Le suivi au long cours a permis de mettre en évidence des comportement sociaux particuliers, des affinités entre individus, entre femelles qui sans lien de parenté semblent passer beaucoup de temps ensemble. Parmi les images étonnantes, ces parties de jeux avec les algues ou un morceau de bois flottant.

Des femelles semblent endosser le rôle de nourrice. Elles allaitent des petits qui ne sont pas les leurs, leur permettant ainsi de grandir et de survivre dans l'océan en l'absence de soins suffisants prodigués par la mère. Plus stupéfiant est le comportement de Germine, une femelle dont le rôle est essentiel au clan. Quand les mères plongent pour chasser le calamar, Germine reste en surface entourée des juvéniles. "Germine s'occupe depuis 2011, année après année des petits. Elle s'occupe de la crèche, se laisse téter bien qu'elle n'ait pas de lait, elle est la baby-sitter!" s'enthousiasme François Sarano. Pour lui, c'est "quelque chose d'unique, d'exceptionnel".

Germine, la "babay-sitter" du groupe
Germine, la "babay-sitter" du groupe
- Fabrice Guérin / Indian Ocean Marine Life Foundation

Chaque individu désormais bien connu des plongeurs et scientifiques grâce à sa morphologie et son comportement a sa personnalité, insistent les chercheurs. Soucieux de ne jamais toucher les animaux, les humains semblent ne pas les déranger si l'on en juge par les scènes exceptionnelles filmées (allaitement, jeux, tentative de se débarrasser d'un déchet plastique coincé dans la bouche). Les affinités repérées visuellement sont corroborées par les échanges sonores. Par son organe acoustique particulier, le cachalot émet les sons les plus forts du règne animal, précise François Sarano. Il s'en sert pour localiser ses proies mais aussi parler à ses congénères.

Écoutez cet échange entre deux cachalots.

51 sec

À chacun sa voix

La mise au point d'un système d'enregistreurs avec cinq hydrophones a permis à l'équipe de la fondation de quantifier le temps des dialogues mais surtout d'identifier qui parle à qui.  Hervé Glotin, chercheur en bio acoustique au CNRS et spécialiste en IA utilise désormais l'intelligence artificielle pour traiter ces heures d'enregistrement accumulées. Il cherche à identifier la signature sonore de chaque individu, autrement dit son timbre de voix.

François Sarano avec l'enregistreur à 5 hydrophones
François Sarano avec l'enregistreur à 5 hydrophones
- Fabrice Guérin / indian ocean marine life foundation

Une fois encore, le suivi depuis leur naissance de certains cachalots a révélé une forme de mue chez les jeunes mâles. Cela a été le cas pour Eliott, dont les vocalises seront bientôt publiées dans un article scientifique, raconte Hervé Glotin : "Les juvéniles jusqu'à 12 ou 15 ans vont changer de voix. Eliott n'a cessé de changer de fréquences jusqu'à aujourd'hui où il émet des sons particuliers qui sont ceux des adultes."

Avec suffisamment d'heures de données, la question est maintenant de savoir s'il est possible d'associer certaines vocalises à des comportements spécifiques et si chez cette espèce des dialectes existent. Car lorsque le clan se divise ou que les mâles se dispersent, ils pourraient, comme le font les orques en Alaska, adopter une autre grammaire. Une hypothèse qu'il faut à présent vérifier.

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